• À force de vouloir que la force reste à la loi, la police a pris le risque d'envoyer à l'eau des jeunes gens. Une question s'impose : était-ce bien nécessaire ?

    À force de vouloir que la force reste à la loi, la police a pris le risque d'envoyer à l'eau des jeunes gens. Une question s'impose : était-ce bien nécessaire ?

     

    À force de vouloir que la force reste à la loi, la police a pris le risque d'envoyer à l'eau de jeunes gens. Une question s'impose : était-ce bien nécessaire ?

    Sur le quai de Nantes près duquel le corps de Steve Maia Caniço a été retrouvé, le 31 juillet 2019. | Loïc Venance / AFP

    Ne saura-t-on jamais ce qui s'est passé à Nantes, le soir où Steve est tombé à l'eau, dans cette Loire qui allait devenir son cercueil ? Comment est-il seulement possible qu'un jeune homme venu là s'étourdir de musique puisse finir son existence dans le lit d'un fleuve posé là comme un piège fatal? Comment admettre qu'une fête censée célébrer la venue de l'été s'achève de la sorte, dans le désordre et la mort, sans qu'il soit possible de déterminer les vrais responsables de cette tragédie ?

    Évidemment, Steve a pu tomber à l'eau bien avant l'intervention policière. D'autres que lui lors de cette soirée ont connu pareille mésaventure. Le possible mélange d'alcool et de drogues, la nuit, la Loire toute proche, la musique qui assourdit, l'ivresse des sens, l'air de la fête, la perte des repères: un pas de côté, et c'est la chute assurée.

    Mais quand bien même Steve serait tombé par inadvertance dans le fleuve, serait tombé seul, serait tombé bien avant le début des débordements, cela n'excuse en rien le comportement de la police dont, dans cette affaire, on peine à comprendre les motivations –si ce n'est par une application obtuse et bornée de la loi.

    Oui, dans un monde idéal, il aurait fallu que la soirée se termine à quatre heures précises. Que cesse alors la musique afin de permettre à tout le monde de rentrer chez soi dans la joie et la bonne humeur. Que personne, dans un acte qui ressemble plus à de la forfanterie qu'à une démonstration de force, ne se décide à défier la police en rallumant les décibels.

    Oui, aux yeux de la loi, l'heure, c'est l'heure, et on ne badine pas avec les forces de l'ordre; on obtempère. On n'en rajoute pas ; on obéit. On ferme son clapet et on quitte les lieux sans broncher, quand bien même trouverait-on la mesure absurde ou injuste. On ne manifeste pas sa désapprobation par l'envoi de projectiles divers et variés. C'est ainsi que va la République, dans le strict respect des lois et des règlements.

    Il est vrai que l'on ne demande pas à l'institution policière d'être intelligente, juste efficace. Il est vrai aussi que de subir les assauts désordonnés d'une foule plus ou moins vindicative n'a rien d'une partie de plaisir. Que rien ne justifie de s'en prendre aux forces de police par le jet de canettes de bières ou autres munitions. Que ceux qui s'adonnent à de telles pratiques n'ont jamais, en temps de paix, de bonnes raisons d'agir de la sorte. Qu'ils franchissent la ligne rouge des comportements admissibles et qu'ils doivent s'attendre à être punis pour leur agissement délétère. Cela est entendu et ne souffre d'aucune contestation.

    Il n'empêche.

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    Au regard de la dangerosité nulle des participants à cette fête –ils ne dérangeaient personne, pas plus qu'ils ne dégradaient l'endroit où ils se trouvaient–, de la configuration de la scène, du danger réel de voir certains tomber à l'eau sous l'effet confondu des gaz lacrymogènes et des tirs de grenades de désencerclement, jamais la police n'aurait dû prendre le risque d'intervenir. Il n'y avait rien à gagner, si ce n'est la satisfaction d'avoir rempli à la lettre la mission qui leur était assignée: l'arrêt de toute musique après l'heure prévue à cet effet.

    D'elle-même, la fête se serait terminée –une heure après, sans anicroches ni provocations. Mais non, il fallait coûte que coûte que la force revienne à la loi, comme s'il en allait de l'honneur de la police.

    Mais où est l'honneur quand on en arrive à précipiter à l'eau des personnes juste coupables d'avoir voulu prolonger un peu plus que nécessaire l'esprit de la fête? Où est le discernement quand on se risque à intervenir à proximité d'un fleuve dont on ne peut ignorer la présence? Où est l'esprit de service public, de protection des biens et des personnes, quand on met en danger la vie de dizaines de jeunes dont on se doute bien vu les circonstances présentes qu'ils doivent se trouver dans un état qui ne leur permet peut-être pas d'avoir les réactions appropriées? Où est la grandeur d'imposer à tout prix la stricte application des dispositions prévues, quand on se retrouve confronté à une situation capable de semer la mort et le chaos? La République n'était pas en danger, ce soir-là!

    Après, chacun se plaira à renvoyer la balle dans le camp adverse. Déjà, dans le clair-obscur des enquêtes à venir, on devine que personne ne voudra endosser la responsabilité de cette inconséquence. On dira la préfecture, on dira la mairie, on dira l'absence de barrières, on dira la drogue et l'alcool, on dira l'entêtement des organisateurs, on dira le non-respect de l'horaire convenu, on dira les provocations et les jets de projectiles, on dira la nécessité de se protéger, on dira c'est pas moi, c'est l'autre, on dira Castaner, on dira Macron, on dira tout et son contraire pour se dédouaner. Surtout, on ne dira rien.

    On ne dira pas pourquoi des jeunes se sont retrouvés à barboter dans l'eau et pourquoi l'un d'entre eux n'a jamais regagné la rive. Cela, on ne le saura jamais.

    Ce sera une mort par mésaventure.

    Et rien d'autre.

    SOURCE : http://www.slate.fr/story/180339/blog-sagalovitsch-affaire-mort-steve-nantes-fete-musique-police-loi-morale?utm_source=ownpage&utm_medium=newsletter&utm_campaign=daily_20190803&_ope=eyJndWlkIjoiZGJiNGZiODY1YzRhMTRkMDBjYjkyNTkyYzg1MjcxYjQifQ%3D%3D 

     

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