• Algérie. La mémoire de Maurice Audin miroir d’une identité plurielle

     

    « À l’hégémonie arabo-islamique a succédé l’hégémonie islamiste : nous en avons payé chèrement le prix », a rappelé Hocine Belalloufi, ancien rédacteur en chef d’Alger Républicain. B. Bensalem/Andia.fr

     

    Algérie. La mémoire de Maurice Audin miroir d’une identité plurielle

     

    Mercredi, 7 Novembre, 2018

     

    Rosa Moussaoui 

     

    Le 27 octobre, à Alger, des militants de gauche consacraient une rencontre au jeune mathématicien communiste assassiné en 1957. Ils sont revenus sur la participation d’Algériens d’origine européenne à la lutte d’indépendance.

    C’est un tout jeune espace de débat, de solidarité et de culture, inauguré au printemps dernier, « ouvert à tous ceux qui pensent que la construction d’une alternative de gauche est encore possible » en Algérie. À la veille des ­commémorations du 1er novembre, date du déclenchement en 1954 de la guerre d’indépendance, l’espace des résistances Ahed Tamimi consacrait, à Alger, une rencontre à l’affaire Audin. Pas seulement pour mémoire : il fut surtout question du miroir que la figure du jeune mathématicien communiste, torturé et assassiné en 1957 par l’armée française, tend à l’Algérie d’aujourd’hui.

    « Leur algérianité n’était pas à prouver, elle tenait

     à leur combat »

    En introduisant la discussion, l’essayiste Hocine Belalloufi, ancien rédacteur en chef d’Alger Républicain, a d’abord salué la reconnaissance par l’État français de sa responsabilité dans cet assassinat, « un premier pas, une victoire pour Josette Audin, mais aussi pour le peuple algérien, car Maurice Audin est le symbole de tous les disparus ». « Ici, certains officiels présentent Maurice Audin, Fernand Iveton, Henri Maillot, Raymonde Peschard ou Maurice Laban comme des “amis” qui auraient aidé le peuple algérien. C’est une idée politiquement fausse et dangereuse », a-t-il prévenu, en donnant le la d’un débat vif, dense et chaleureux sur les fondements de l’identité algérienne. Celle-ci tient-elle à des critères culturels et religieux ou à l’engagement choisi dans le destin d’un peuple ? En ­retraçant la vie brève du militant du Parti communiste algérien qui lui donnait, ­lycéen, des leçons de mathématiques, l’historien Mohamed Rebah insistait, très ému, en guise de réponse, sur les choix politiques d’Audin : « Il a engagé sa vie sur une voie. Il voulait détruire l’ordre colonial sanglant, raciste, pour bâtir une société juste et fraternelle avec le peuple libéré. » « Ces Algériens d’origine européenne, souvent communistes, n’ont pas “aidé” : ils ont cru à une Algérie plurielle et démocratique, ils ont donné leur vie pour ce rêve, quand d’autres faisaient le choix de la lâcheté », insistait aussi le syndicaliste Nordine Bouderba.

    À quel moment ce rêve d’un pays pluriel s’est-il brisé ? Dès le lendemain de l’indépendance, ont estimé de nombreux participants, avec l’adoption, en 1963, d’un Code de la nationalité soumettant les « non-musulmans » à une demande d’acquisition de la nationalité algérienne. « On a dit, alors, à des militants d’origine européenne descendus des maquis, sortis de prison ou échappés à la peine de mort : demandez la nationalité algérienne, elle peut vous être refusée. Pour certains, ça s’est éternisé. Leur algérianité n’était pourtant pas à prouver, elle tenait à leur combat, à leur sacrifice. C’était humiliant », s’est souvenu l’avocat Ali Kechid. Dans l’assistance, tous ont défendu la nécessité de promouvoir une conception démocratique et progressiste de l’identité nationale, fondée non pas sur des référents culturels, linguistiques ou religieux, mais sur un engagement politique à vivre dans une communauté nationale. Discussion d’une brûlante actualité, alors que le pays s’interroge, se dispute et souvent se déchire sur la place à rendre à la culture et à la langue amazighes (berbères), longtemps marginalisées par le dogme d’un nationalisme arabo-islamique toujours prégnant dans les rouages de l’État. « De nombreuses crises qui ont secoué le pays depuis 1962 trouvent leur source dans cette conception étriquée de l’identité nationale. À l’hégémonie arabo-islamique a succédé l’hégémonie islamiste : nous en avons payé chèrement le prix », a rappelé Hocine Belalloufi.

    Une conviction partagée irriguait cette riche discussion : l’identité n’est ni statique, ni figée, ni valable pour tous et pour toujours, elle se forge dans les luttes du moment. « À l’indépendance, les bras étaient encore ouverts. Ils se sont refermés peu à peu. Aujourd’hui, nous voulons une Algérie avec ses Européens, ses juifs, ses communistes ! », a lancé, en conclusion, une participante très applaudie.

    Unanime sur l’appartenance de Maurice Audin à la nation algérienne, l’assistance l’était aussi sur la nécessité de poursuivre le travail de mémoire sur les deux rives. « Emmanuel Macron a reconnu la responsabilité de l’État français et de son armée. Mais il s’est refusé à dire que ce déchaînement de violence était la conséquence d’un système : le colonialisme », a fait remarquer Nacéra Saïdi, membre du Collectif Ahed Tamimi. À Alger, le dossier des disparus n’est pas refermé.

    Rosa Moussaoui 

    SOURCE : https://www.humanite.fr/algerie-la-memoire-de-maurice-audin-miroir-dune-identite-plurielle-663306 

     

    « Conférence de l’historien Gilles Manceron : «Après le cas Maurice Audin, d'autres dossiers historiques à régler» Cent ans d’hypocrisie »

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