• Calais, un lieu de souffrance : nos enfants ne nous pardonneront pas notre silence

    Calais, un lieu de souffrance : nos enfants

    ne nous pardonneront pas notre silence

     

     

     

     

     

     

     

    Par Hélène de Gunzbourg
    Sage-femme et philosophe

     

    C'est le plus grand bidonville de France. Dans la "jungle" de Calais, quelque 4.000 migrants vivent dans des conditions sanitaires désatreuses, avec l'espoir de rejoindre un jour l'Angleterre, sur l'autre rive de la Manche. Membre du collectif "bibliothèque vivante" à Calais, Hélène de Gunzbourg évoque un lieu de souffrance, de violence mais aussi d’humanité et de créativité.

     

    La "jungle" de Calais, le 12 février 2016 (P. HUGUEN/AFP).

    Nous n’avons pas connu la guerre, nous sommes nés juste après, mais nous avons été élevés dans le silence sur les camps, de transits pour les réfugiés espagnols ou les juifs, camps de déportation, de concentration pour les résistants, d’extermination pour les juifs et les tziganes.

    Gurs , Beaune la Rolande , Drancy , Ravensbrück , Theresienstadt , Struthof , Auschwitz … Puis camps de transit de relégation pour les harkis citoyens de seconde zone comme l’avaient été les juifs en d’autres temps, Rivesaltes .

    Un silence assourdissant à tel point que nous nous sommes révoltés contre nos parents, nos maîtres en 1968 et dans les années qui suivirent cette rupture et que nous avons cru en un monde meilleur. Nous avons cru du moins que, sous nos cieux républicains et démocratiques, l’être humain ne serait plus "superflu" comme disait Hannah Arendt .

    Nous avons cru en l’universalité de la déclaration des droits de l’homme en 1948 , celle des droits de l’enfant puis à la fin de la Guerre froide, la construction de l’Europe et la fin de ses frontières. Alors nous, les enfants de l’après-guerre, ceux de Mai 68, ceux de la guerre d’Algérie et de la guerre froide, nous demandons : pourquoi Calais ? Et nos enfants, nos descendants, ne nous pardonneront pas notre silence.

    Des hommes, des femmes, des enfants ont échoué là 

    Au bout de l’Europe, dans le nord de la France, sur les rives d’une mer froide, sans vagues mais aux courants forts, aux confins de la mer du Nord et de l’Atlantique, et surtout face à l’Angleterre qui fait figure de terre promise, vivent les nouveaux errants de notre temps.

    Ils sont chassés de leur contrée, ont traversé des déserts et des mers dangereuses, ils ont affronté la guerre, la faim, la mort, l’esclavage et les peuples hostiles, ont rencontré aussi la générosité de certains de leurs semblables qui reconnaissaient en eux leur humanité commune.

    Des hommes, des femmes, des enfants ont échoué là, sur ces plages de sable fin dans ces marais enfumés par les émanations toxiques des usines chimiques avoisinantes, dans le vent, le bruit des mouettes entre les autoroutes où circulent un courant incessant de camions et les tunnels qui ouvrent la voie sous marine à l’au delà de l’enfer. La mer sillonnée de bateaux, les ferries, qui transportent d’une rive à l’autre des voyageurs des marchandises, est un chenal, le Channel, un lieu de passage maritime.

    Des hommes jeunes qui n’ont pas encore perdu tout espoir montent la nuit sur ces bateaux grimpent sur les camions entrent dans le tunnel, affrontent les policiers, les chiens, les grenades lacrymogènes, les coups, les barbelés. Ils découpent des grillages et s’infiltrent dans les interstices, se cachent dans les soutes, sur les toits, dans les containers. Nul ne peut empêcher l’être humain de garder l’espoir de vivre en tant qu’humain.

    Les migrants, homo sacer des temps modernes 

    Le philosophe Giorgio Agamben  a construit sa réflexion sur l’homo sacer , cet homme exclu qui dans la république romaine n’avait pour lui que la vie nue, qui n’est plus celle d’un homme puisqu’il a perdu tous ses droits sinon celui de survivre. Ni homme ni bête, sans feu ni lieu, condamné à errer aux confins des villes et des villages, il ne pouvait être sacrifié aux dieux, mais il pouvait être tué sans problème pour ses meurtriers.

    L’homo sacer des temps modernes, c’est le réfugié, le déporté, l’apatride, le migrant, le sans papier, le SDF. L’homo sacer, qui n’a plus que sa vie nue, est parqué dans des camps ou des ghettos. Dans l’Allemagne nazie, avant d’être parqués dans des camps puis exterminés, les juifs avaient perdu tous leurs droits de citoyens puis d’être humains.

    "Le camp est l’espace qui s’ouvre quand l’état d’exception commence à devenir la règle." (G. Agamben, "Moyens sans fins")

    Nos gouvernants décrètent un état d’exception sans limite temporelle, il est donc logique que les réfugiés soient exclus de notre territoire "national", de nos droits de citoyens, donc des droits de l’homme car ceux ci ne sont inscrits que dans le corps des citoyens.

    Logique que les frontières "nationales" fissurées se ferment, qu’ils soient rejetés aux confins de nos terres sur nos îles, nos landes, nos bidonvilles, nos banlieues, sous nos autoroutes entourées de grillages.

    Un lieu de souffrance, de violence mais aussi d’humanité 

    Dans les camps, le droit ne règne plus, ni les structures politiques institutionnelles. Seules s’affrontent les lois de la "jungle", celles des mafias, de la police et heureusement celles des humanitaires, des bénévoles, hommes et femmes de bien, quels qu’ils soient, réfugiés ou militants.

    Si vous allez à Calais dans le camp, vous pourrez voir ce qu’est la vie nue, la nôtre, la leur, celle de tous nos semblables lorsque l’état de citoyen est perdu, c’est à dire qu’un État souverain ne les reconnaît plus et les chasse ou les tue. Or de plus en plus d’êtres humains ont perdu ou vont perdre leur citoyenneté et leurs droits, nous le savons et ils se dirigent vers l’Europe en dernier recours.

    À Calais, ces hommes et ces femmes ne veulent pas être homo sacer, ils veulent vivre avec leurs "formes de vie", leur culture, leur mémoire, leurs ancêtres et leurs enfants à venir, vivre parmi leurs semblables dont nous faisons partie. C’est pourquoi tout soutien, tout espoir, qu’il soit matériel, médical, juridique ou culturel est bienvenu et nécessaire.

    Calais est un lieu de souffrance, de violence mais aussi d’humanité et de créativité, un lieu on l’on peut inventer comment ne pas être réduit à sa vie nue.

    SOURCE : http://leplus.nouvelobs.com/contribution/1482428-calais-un-lieu-de-souffrance-nos-enfants-ne-nous-pardonneront-pas-notre-silence.html  

     

     

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