• Contre le projet de loi constitutionnelle, l’appel de Pierre Joxe à la gauche vivante

    Contre le projet de loi constitutionnelle, l’appel

    de Pierre Joxe à la gauche vivante

    Contre le projet de loi constitutionnelle, l’appel de Pierre Joxe à la gauche vivante

     

    30 décembre 2015 | Par La rédaction de Mediapart 

    Dans un texte confié à Mediapart, Pierre Joxe lance un appel à la « gauche bien vivante » pour qu’elle rejette le « stupéfiant » projet de loi constitutionnelle sur la déchéance de nationalité. Sur un ton mobilisateur, cette figure du socialisme français – ancien parlementaire, ancien ministre, ancien membre du Conseil constitutionnel, ancien président de la Cour des comptes – souligne « l’effet politique instantané » d’une décision controversée : « Soudain, la gauche anesthésiée se réveille. » Article en accès libre.

     Voici cet appel tel que nous l’a confié Pierre Joxe, aujourd’hui avocat au barreau de Paris après un parcours autant administratif que politique, durant lequel, depuis le début des années 1960, il a accompagné la reconstruction de la gauche socialiste autour de François Mitterrand après la débâcle de la SFIO. Député socialiste de 1973 à 1984, puis de 1986 à 1988, Pierre Joxe a été ministre de l’intérieur (1984-1986, puis 1988-1991), ministre de la défense (1991-1993), premier président de la Cour des comptes (1993-2001) et membre du Conseil constitutionnel (2001-2010).


     

    Une gauche bien vivante ! 

     

    Bonne année ! Bonne nouvelle ! La gauche est bien vivante !

    On pensait bien – malgré les mots crispés d’un oracle nerveux au regard sombre –, on savait bien que non, la gauche ne pouvait pas mourir.

    Mais aujourd’hui on le voit bien : elle est en pleine santé la gauche, jeune, claire et tonique, affirmant sa volonté avec confiance et s’adressant – comme il convient – à l’armature démocratique de la République, aux représentants du peuple, ceux qui sont les seuls, tous ensemble, à pouvoir faire la Loi, expression de la volonté générale : les parlementaires.

    Je viens de lire sur internet l’appel adopté par le Mouvement des Jeunes Socialistes.

    Jugez vous-mêmes. Allez les lire !

    Je les cite ici :

    « Les Jeunes Socialistes déplorent le choix fait par le gouvernement… 

    « Permettre la déchéance de nationalité de binationaux, même lorsqu’ils sont nés en France, crée une inégalité de droit entre les citoyens. Cette mesure place les Français binationaux sous un régime juridique différent de celui de tous les autres Français. Elle fige une différence symbolique et de droit entre les citoyens français. 

    « Cette mesure ouvre une brèche dans le droit du sol, qui fait partie de notre identité républicaine et qui est attaqué depuis des décennies par l’extrême droite. 

    « Cette mesure est surtout inefficace car elle n’a aucun caractère dissuasif. En effet, comment imaginer que des fanatiques puissent renoncer à commettre des actes sanglants par peur de perdre leur nationalité française alors qu’ils sont prêts à mourir ?  

    « Si cette mesure est autant contestée et avait été écartée par le gouvernement à la suite des attentats de janvier, c’est sans doute parce qu’elle heurte nos valeurs de justice, notre conception de la République, et que son inefficacité est certaine. 

    « Les Jeunes Socialistes espèrent que la sagesse parlementaire permettra d’écarter cette mesure et de concentrer l’action de l’Etat sur ce qui permet de lutter efficacement contre le terrorisme, et de préserver notre modèle démocratique et républicain pour l’égalité de tous les citoyens. » 

    Ces Jeunes Socialistes ont bien raison de se tourner vers le Parlement, car en France la Loi ne découle pas d’un discours, même proféré à Versailles.

    Et la Constitution ne peut être modifiée que par un référendum ou par une majorité dite « qualifiée » de 3/5 des parlementaires – et non par la bouche cousue d’un Conseil des ministres surpris.

    Ces jeunes socialistes ont bien raison de défendre des valeurs.

    Non, ils ne « s’égarent » pas – comme le leur reproche ingénument un Premier Ministre feignant d’ignorer que, bien au contraire, c’est en oubliant leurs valeurs que de vieux socialistes « égarés » ont jadis déconsidéré la gauche, détruit pour dix ans leur Parti et abattu la IVRépublique.

    Non seulement ces Jeunes Socialistes ne s’égarent pas, mais ils donnent le bon exemple, un exemple saisissant. Dans un texte vibrant d’indignation contenue, ils montrent qu’ils ont parfaitement assimilé les aspects juridiques les plus ardus de ce dossier complexe.

    Ils ont décrypté les réserves polies et les hésitations précautionneuses des quatre-vingts honorables membres de l’Assemblée générale du Conseil d’Etat évoquant la violation de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme.

    Ils ont bien compris la portée de la jurisprudence ancienne et récente du Conseil constitutionnel, non seulement sur l’état d’urgence, mais surtout sur la déchéance de nationalité.

    Ils ont bien lu le stupéfiant exposé des motifs du projet (n° 3381) de réforme constitutionnelle.

    Comme ce texte officiel semble être passé inaperçu, j’en cite cet extrait éclairant, facilement consultable sur le site de l’Assemblée : 

    « ... pour des personnes nées françaises, les lois républicaines n’ont jamais retenu la possibilité d’une déchéance de nationalité... Il en a d’abord été ainsi de la Loi du 7 avril 1915 puis avec la Loi du 10 août 1927 ainsi qu’avec le Décret-loi du 12 novembre 1938... Ainsi toutes les caractéristiques dégagées par le Conseil constitutionnel dans sa jurisprudence sont réunies pour qu’il existe un principe fondamental reconnu par les lois de la République relatif à l’absence de possibilité de déchéance de nationalité pour une personne née française même si elle possède une autre nationalité » (Ass. Nat. : projet n° 3381, exposé des motifs).

    Oui, c’est bien « notre conception de la République », invoquée à juste titre par les Jeunes Socialistes, qui est en cause. Et qu’un socialiste adulte, encore jeune, mais déjà très mûr, puisse proférer qu’« une partie de la gauche s’égare au nom de grandes valeurs », cela rappelle de vieux et mauvais souvenirs.

    Heureusement peut-être, entre précipitation et velléités, la longue liste des « Projets de réformes constitutionnelles » exhibés puis enterrés depuis bientôt trois ans peut laisser penser que l’explosif effet d’annonce d’aujourd’hui va disparaître dans l’effet de souffle qu’il a provoqué...

    On ne le regrettera pas.

    On regrettera peut-être davantage les réformes annoncées, rédigées et mises au congélateur depuis trois ans, comme en particulier :

    – Le projet de loi constitutionnelle relatif à la démocratie sociale, n° 813 : oublié.

    – Le projet de loi constitutionnelle relatif à la composition du Conseil constitutionnel, n° 814 : oublié.

    – Le projet de loi constitutionnelle portant réforme du Conseil supérieur de la magistrature, n° 815 : oublié.

    – Le projet de loi constitutionnelle relatif à la responsabilité juridictionnelle du Président de la République et des membres du Gouvernement, n° 816 : oublié.

    Tous ces projets déposés en 2013, consultables sur le site internet de l’Assemblée, confiés au rapport du président de la commission des lois, Jean-Jacques Urvoas, et tombés rapidement dans l’oubli... parfois sans qu’un rapport soit rédigé !

    Souhaitons cette douce euthanasie au projet n° 3381 et félicitons les Jeunes Socialistes. Quand on les lit, on n’a pas peur : la gauche est bien vivante.

    ****** 

    On le sait, qu’un ou plusieurs personnages politiques parvenus au pouvoir changent d’avis, renient leurs promesses ou oublient tel ou tel engagement pris publiquement, ce n’est pas un phénomène rare.

    On l’a déjà constaté en France sous la Ve République ; mais aussi sous la IVe – qui en est morte ; sous la IIIe et déjà sous la IIe République – celle de Badinguet ; sans oublier notre Première République – celle de la Terreur.

    Ce qui est singulier dans les circonstances présentes, c’est le contraste entre certaines déclarations passées – mais récentes – et les décisions qui les contredisent.

    Ce contraste éclate entre les propos tenus en 2010 contre les propositions de Sarkozy pour l’extension de la déchéance de nationalité. On pouvait lire à l’époque dans Le Figaro :

    « “Est-ce que c’est conforme à notre histoire, nos traditions, notre Constitution, quand on sait que depuis 1889, la nationalité française s’exerce par la naissance et s’acquiert par mariage au bout de quelques années après un contrôle? (...) Pourquoi remettrait-on en cause ces principes essentiels ? (...) C’est finalement attentatoire à ce qu’est finalement la tradition républicaine et en aucune façon protecteur pour les citoyens”, a jugé le député de Corrèze. Interrogé sur les réserves exprimées par Bernard Kouchner, Hervé Morin ou Fadela Amara sur le virage sécuritaire du chef de l’Etat, François Hollande a répondu que ces ministres avaient “leurs responsabilités entre leurs mains” » (Le Figaro du 31 août 2010).

    Décalage singulier aujourd’hui entre l’effet juridique espéré d’une décision controversée et l’effet politique instantané : soudain, la gauche anesthésiée se réveille.

    Tous mes vœux.

    Pierre Joxe  

    Avocat au Barreau de Paris
    Membre honoraire du Parlement
    Membre honoraire du Conseil constitutionnel
    Premier président honoraire de la Cour

     

    Contre le projet de loi constitutionnelle, l’appel de Pierre Joxe à la gauche vivante

    Pierre Joxe homme d’engagements, il a toujours milité activement, d’abord à l’UNEF pour l’indépendance de l’Algérie, il s’était opposé aussi à François Mitterrand contre l’amnistie des généraux félons.


    Retour sur la jeunesse et la guerre d’Algérie

    Pierre Joxe a évoqué l’importance de la guerre d’Algérie dans son parcours politique et dans sa prise de conscience. Ayant vécu à Alger pendant son enfance après avoir fui l’invasion allemande, Pierre Joxe enfant n’avait pas compris comment la France, après avoir combattu l’Allemagne nazie et défendu le "droit des peuples à disposer d’eux-mêmes", a pu commettre des massacres comme celui de Sétif le 8 mai 1945, et s'enferrer dans des guerres coloniales. Pour Pierre Joxe, le retournement de l’opinion française au sujet de la guerre d’Algérie s’est produit avec l’arrivée en masse de soldats du contingent qui avaient grandi dans le culte de la liberté.

    Sous-lieutenant à la Sécurité militaire à Alger à la fin de son service, il fut chargé de censurer L’Echo d’Alger, journal défendant l’Algérie française en appelant au meurtre et à l’insurrection. Pour le jeune dirigeant de l'UNEF anticolonialiste et défenseur de la liberté d’expression qu'il était, cette censure fut un premier "cas de conscience" : que devait-il censurer ? Devait-il aussi censurer les propos des membres du gouvernement qui exprimaient leur désaccord sur la question de l’indépendance de l’Algérie ?

    1982 et "l’affaire des généraux de l’OAS"

    En 1982, Pierre Joxe était président du groupe socialiste à l’Assemblée nationale et cet épisode marqua l’une de ses "divergences" avec François Mitterrand. Raymond Courrière, secrétaire d’Etat chargé des rapatriés, présenta un projet de loi pour reconstituer la carrière des généraux félons de l’OAS. Pierre Joxe a expliqué comment il s’était opposé à cette loi, soutenue par le Premier ministre Pierre Mauroy, mais incompréhensible pour beaucoup de militaires. Il avait dit à Mitterrand qu’il ne voterait jamais cette loi et qu’il démissionnerait avant le scrutin. Le président de la République avait alors choisi d’utiliser l’article 49.3 de la Constitution qui permet de passer une loi sans vote en engageant la responsabilité du gouvernement. La loi passa.

     

     

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