• Deuxième article consacré à Jacques Pradel président des Pieds Noirs Progressistes

    Jacques Pradel

    « Mes parents étaient foncièrement anti racistes »

    Photo Robert Terzian (c) Copyright Journal La Marseillaise

    1954-2014 : souvenirs d'Algérie

     Itinéraire d’un pied-noir progressiste

     Natif de Tiaret, Jacques Pradel réside aujourd’hui dans l’Est marseillais. Après une vie de militant débutée en 1968, ce chercheur retraité du CNRS se bat pour faire connaître une autre mémoire des rapatriés.

    Sourire facile sous son épaisse moustache blanche, Jacques Pradel a gardé de sa naissance outre Méditerranée un sens certain de l’accueil. Sur sa table, un plat de tomates et un pichet estampillé Cristal Limiñana attendent ses hôtes à l’ombre d’un figuier. De quoi étancher la soif et rafraîchir une mémoire remontant à plus d’un demi-siècle.

    Né en 1944 à Tiaret, capitale antique des Rostémides assoupie depuis bien longtemps au temps de la colonisation, il y conserve tous ses souvenirs de jeunesse. Issu d’une « famille de colons », il a reçu de son ancêtre chassé du Tarn par la misère en 1849 son prénom, Jacques, commun à tous les premiers-nés mâles de la famille. « Moi je suis Jacques V », s’amuse-t-il avant de narrer l’essor progressif des propriétés des Pradel. Dans les années trente, elles s’étendaient sur 5 000 hectares. « Mon père a été élevé dans l’opulence mais a fait des mauvaises affaires, si bien qu’à l’Indépendance, il ne nous restait pas grand chose », confie-t-il.

    Le sang sur les trottoirs d’Oran

    De son enfance, il retient avant tout sa bande de copains. Ouadah Kaïli, un musulman, Samuel Selam, un juif parti en Israël à l’Indépendance et Jacques Deloche dont le père ouvrier gazier peinait à subvenir aux besoins de sa famille. Pas un paradis perdu mais l’image d’une Algérie plurielle qui aurait peut-être pu advenir. Un mélange qui tranche avec ses années d’internat au lycée Lamoricière d’Oran. « Je n’ai pas souvenir d’avoir eu un arabe dans ma classe, pas même un fils de notable », témoigne Jacques Pradel.

    L’orage de la guerre gronde de plus en plus fort et les souvenirs du rapatrié s’assombrissent. Peu de temps après la rentrée de janvier 1962, son lycée est fermé. Avec d’autres élèves, le jeune homme demeure encore trois semaines dans son internat. Une période difficile à évoquer : « Je me souviens des cadavres d’Algériens abattus par l’OAS parce qu’ils se trouvaient du mauvais côté de la rue. Je me vois encore éviter de marcher dans les flaques de sang ». Ses sentiments confusément pro-Algérie française en prennent un coup. Autre scène indélébile : une voiture siglée OAS entre rue de Mostaganem, une des artères les plus fréquentées d’Oran. « Ils ont éjecté un type du véhicule dans la foule en disant : "il faut le liquider". Il a été lynché », raconte Jacques Pradel. Pétrifié par « toute cette horreur », il voit dans le massacre d’européens du 5 juillet 1962 à Oran « une sorte de vengeance » aveugle, une forme d’aboutissement de la spirale de la violence, « même si elle ne peut tout expliquer ».

    Avant cela en février 1962, il rentre en car à Tiaret. L’atmosphère y a radicalement changé. Trois gamins arabes lui sautent dessus. « J’étais bagarreur, je n’ai pas eu de mal à les maîtriser. Mais j’ai vu mon ami Ouadah Kaïli non loin. Il n’a pas bougé. Ni pour me défendre, ni pour les aider. J’ai compris que plus rien ne serait comme avant », rapporte Jacques Pradel.

    Peu de temps après un bruit court à Tiaret selon lequel l’OAS chercherait à enrôler des jeunes pour un maquis dans le Ouarsenis, un massif montagneux. Immédiatement son père l’expédie direction la métropole. « Il n’aidait pas ouvertement le FLN mais s’est occupé en secret de la femme et des enfants d’un commerçant devenu responsable de l’ALN », a-t-il appris par la suite. « Mes parents étaient foncièrement anti racistes », se remémore-t-il. Le car qui le conduit à Oran suit une ligne « neutre » entre quartiers arabes et européens. Lorsque ses occupants musulmans en descendent, le car qui poursuit sa route reçoit des pierres.

    Jacques Pradel parvient à prendre un avion destination Marignane. « Je n’avais rien. Je suis allé à Paris en stop rejoindre mes soeurs et mes grands parents maternels ». Trou noir. Hébergé dans une chambre de bonne, il y reste sonné plusieurs semaines sans sortir.

    Lorsque le code de la nationalité mis en place par Ben Bella proscrit la double nationalité en 1963, son père fait le choix de la métropole et achète une ferme dans le Berry. « La pluie ne cessait de tomber », se souvient-il. Une fois le bac en poche, autre ambiance : direction la fac d’Orsay et la cité universitaire de Bures-sur-Yvette. « Il y avait le bâtiment A avec les étudiants d’Île-de-France et le bâtiment B avec les gens du Sud, les arabes, les juifs et les pieds-noirs. » Un état de fait qui l’éveille à la politique. « Mais l’ambiance était formidable, comme en Algérie, je me suis toujours senti à ma place parmi les métèques », sourit-il.

    Étudiant en 68, il participe activement aux événements de mai dans la mouvance gauchiste.

    Entré dans un laboratoire de biochimie, c’est pourtant au PCF qu’il adhère l’année suivante, « motivé par l’analyse que je me faisais de la société française » et non vis-à-vis de la position de ce parti sur l’indépendance de l’Algérie, marquée au demeurant par des « atermoiements », juge-t-il rétrospectivement. Débute une vie militante syndicale et politique intense, « une très chouette période ».

    Il rejoint le CNRS et s’installe en 1977 dans l’Est de Marseille où il réside toujours. Militant d’entreprise, il goûte peu le sectarisme qui a cours dans sa cellule locale et vit très mal le rôle d’inquisiteur qu’on veut lui faire jouer dans les débats internes qui l’animent. Sans animosité, il s’éloigne peu à peu du PCF et ne reprend pas sa carte en 1981.

    « Ca suffit, ne parlez plus en notre nom »

    Travaillé par son origine pied-noire, il retourne en Algérie avec un frère et un cousin en 2006-2007. Et lorsque les nostalgiques de l’OAS inaugurent à Perpignan leur « mur des disparus » sur lequel figure le nom de Gaston Donnat, militant communiste et anti colonialiste d’Algérie, c’est le déclic. « Des pieds-noirs progressistes de toute la France ont décidé de se regrouper pour dire "ça suffit, ne parlez plus en notre nom" », et nous avons fondé l’association.

    Contre-manifestations, initiatives pour l’amitié franco-algérienne, voyages de l’autre côté de la Méditerranée, l’association nationale des pieds-noirs progressistes et leurs amis (ANPNPA) ne chôme pas. Elle inaugurera en décembre à Marseille une première rencontre autour des livres d’expression française édités en Algérie mais introuvables en France.

    Investi parallèlement dans les différentes expériences de la gauche alternative, Jacques Pradel participe au Collectif anti libéral de Marseille Est (Calme) qui s’inscrit désormais dans le Front de gauche à travers sa troisième composante «Ensemble !». Et comme depuis plusieurs années, il organisera en septembre avec ses amis du Calme un... Méchoui républicain. On ne se refait pas.

    Léo Purguette

    SOURCE : http://www.lamarseillaise.fr/marseille/societe/30654-itineraire-d-un-pied-noir-progressiste

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