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En France, l’extrême droite aux portes du pouvoir
En France, l’extrême droite
aux portes du pouvoir
Jordan Bardella, président du parti Rassemblement national et Emmanuel Macron, président français.
« Lorsque l’extrême droite prend le pouvoir,
elle le garde. »
Erwan Lecoeur, politologue
À quoi ressemblerait une France où le Rassemblement national remporterait les élections législatives et formerait le gouvernement ?
Le président français Emmanuel Macron a annoncé la dissolution de l’Assemblée nationale, provoquant des élections législatives anticipées, les 30 juin et 7 juillet prochains. Elles pourraient consacrer un gouvernement d’extrême droite en cohabitation avec l’actuel président.
Il est 21 h le 9 juin lorsqu’Emmanuel Macron prend la parole. Les résultats des élections européennes viennent de tomber, et c’est sans surprise que la liste du Rassemblement national (RN, extrême droite), dirigée par Jordan Bardella, arrive en tête, raflant 31,4 % des voix. Le RN enverra donc le plus grand nombre de député·es français·es au Parlement de l’Union européenne.
Stupéfaction : en réaction, le président dissout l’Assemblée nationale et déclenche des élections législatives anticipées au niveau national.
Son calcul : jouer sur la peur d’une partie de la population de voir l’extrême droite obtenir la majorité au gouvernement, en vue de renforcer le soutien vacillant à son camp dans les urnes, analysent certain·es expert·es.
D’ici quelques semaines, l’extrême droite pourrait bel et bien remporter les élections, former la majorité des député·es à l’Assemblée et nommer les ministres ainsi que le premier ministre.
À deux semaines du premier tour des élections législatives, tous les sondages placent effectivement le RN en tête. D’après le dernier sondage il va engranger 34,1 % des suffrages, suivi du Nouveau Front populaire (27 %), l’alliance des gauches formée quelques jours après l’annonce de la dissolution. Le camp présidentiel, lui, recueille seulement 19,8 % des intentions de vote, des prévisions à prendre avec des pincettes.
Vers une possible cohabitation
Mais si l’extrême droite emportait bel et bien la majorité absolue, soit au minimum 289 député·es sur les 577 siégeant à l’Assemblée nationale, se jouerait une situation quasi inédite dans l’histoire de la République : la cohabitation entre le président Macron et un premier ministre aux couleurs du RN, Jordan Bardella.
« La cohabitation risquerait d’être extrêmement tendue. »
Mathieu Carpentier, Université Toulouse Capitole
« En France, on a sur papier un régime parlementaire, comme au Canada », explique Mathieu Carpentier, professeur de droit public et de droit constitutionnel à l’Université Toulouse Capitole. L’Assemblée nationale fait les lois, et leur application revient à la responsabilité des ministres et du premier ministre, en partage avec le président de la République, s’il détient la majorité.
Dans les faits, le président « jouit d’un pouvoir politique d’influence très important » et « décide de l’agenda législatif du gouvernement », à condition que son parti y détienne la majorité.
En cas de cohabitation, les pouvoirs du président sont toutefois « largement réduits », à la faveur du premier ministre, poursuit le professeur.
Les trois cohabitations précédentes sont « intervenues dans le cadre d’alternance droite-gauche classique », rappelle-t-il. Mais cette fois, Macron et Bardella ont des lignes politiques plus divergentes.
Des dissensions particulièrement prononcées en matière de politique étrangère, et notamment sur la question de l’Ukraine, que le RN est frileux à soutenir, sous peine d’abîmer ses relations et ses investissements en Russie.
La France de demain
Majorité absolue ou non, le RN obtiendra certainement assez de sièges pour s’aménager la marge de manœuvre suffisante pour mettre en application une partie de son programme.
Malgré la campagne de « dédiabolisation » du parti par Marine Le Pen ces dernières années – entraînant entre autres l’abandon du nom très connoté de Front national – il ne fait aucun doute qu’il s’agit d’un programme plus à droite que la droite.
Suppression du « droit du sol » garantissant l’obtention automatique de la citoyenneté à tout enfant né en France ou dont un des parents est né en France, restrictions de l’aide médicale aux étranger·ères, expulsion de « délinquants et criminels islamistes étrangers », logique de « préférence nationale » dans l’attribution des logements sociaux…
Il ne fait aucun doute qu’il s’agit d’un programme
plus à droite que la droite.
Outre l’immigration et la sécurité, les politiques économiques du RN s’inscrivent aussi dans un « approfondissement de la droite », dissèque le sociologue et politologue Erwan Lecoeur. Sous un gouvernement RN, les prestations sociales seraient par exemple conditionnées à la réalisation d’un certain nombre d’heures de travail, et les allocations familiales seraient retirées aux parents de mineurs délinquants récidivistes.
« Les gens qui pensent encore que le programme du RN est un programme social se trompent lourdement », croit-il, allant à l’encontre du discours porté par le parti lui-même, qui capitalise sur la misère sociale à des fins xénophobes.
Mesure phare du programme sur la question du pouvoir d’achat, la réduction de la TVA sur les énergies de 20 % à 5,5 % serait financée par une réduction de la contribution française au budget européen, réduction qui pourrait avoir de lourdes conséquences sur les relations entre Paris et l’Union européenne. Les réductions de la TVA sur les produits de première nécessité, elles, sont remises à plus tard, tandis que d’autres mains tendues vers les électeur·trices désargenté·es vont à l’encontre du droit européen ou constitutionnel, et donc difficilement réalisables.
Ce qui est surtout à anticiper, estime le spécialiste de l’extrême droite, ce sont des reculs considérables en matière de libertés publiques, de liberté de la presse ou de la culture. La privatisation de l’audiovisuel public souhaitée par le RN en cas de victoire est d’ailleurs largement décriée.
« Nous en avons aujourd’hui plusieurs exemples, comme la Hongrie, l’Italie, l’Inde ou la Turquie », cite-t-il. « Et on voit très bien que ça se passe mal pour les défenseurs de l’environnement, des droits des migrants ou encore des droits des femmes. »
Contre-pouvoirs : un mirage ?
Un certain nombre d’institutions peuvent néanmoins agir à titre de contre-pouvoirs. Le Conseil constitutionnel, chargé d’assurer la conformité des lois avec la Constitution, serait ainsi en mesure d’invalider certaines des propositions de loi émises par un gouvernement d’extrême droite et d’en « modérer les excès », détaille Mathieu Carpentier.
Mais Lecoeur invite à ne pas se faire d’illusions : « on peut s’imaginer qu’ils vont s’attaquer très fort aux contre-pouvoirs », cibles historiques de l’extrême droite.
« Lorsque l’extrême droite prend le pouvoir, elle le garde. »
Erwan Lecoeur, politologue
Il met aussi en garde contre un « changement d’ambiance dans le pays ». L’élection d’un tel gouvernement « va libérer tout un tas de gens qui sont aujourd’hui obligés de se tenir et de ne pas faire n’importe quoi, mais qui ont prévenu : le jour où l’extrême droite est au pouvoir, c’est open bar », assure-t-il. Les agressions à caractère raciste, homophobe ou transphobe sont déjà en hausse dans le pays, selon plusieurs associations, comme SOS Racisme ou SOS Homophobie.
« À quoi a donc pensé le président ? » se demandent alors citoyen·nes, journalistes et politicien·nes, jusque dans les rangs de la macronie. En servant les clés de l’Assemblée nationale au RN sur un plateau d’argent, il songeait sans doute à lui tendre un piège, considère Lecoeur : le laisser gouverner le pays pour montrer aux électeur·trices, une fois pour toutes, qu’il n’en est pas capable.
Avec la dissolution, « Emmanuel Macron a fait l’erreur politique la plus importante de l’histoire de France », juge le chercheur, craignant que « lorsque l’extrême droite prend le pouvoir, elle le garde ».
SOURCE : En France, l’extrême droite aux portes du pouvoir – Pivot
Souvenons-nous : Sophie Binet alerte aussi
que lorsque l’extrême droite prend le pouvoir
elle ne le rend pas
« Le combat de Ginette Kolinka ancienne déportée contre le Rassemblement National" Va à la niche " : dans "Envoyé spécial" une femme victime du racisme décomplexé de ses voisins, sympathisants du Rassemblement national »
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Commentaires
1ould aoudiaVendredi 21 Juin à 11:19Je ne vois pas pourquoi la cohabitation avec l'extrême droite poserait problème à Emmanuel Macron, président de la République, lui qui a tout fait depuis des années pour obtenir cette situation là. Jean-Philippe Ould Aoudia
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Macron a l'intention de continuer à régner y compris sur un tas de cendres ! C'est ce qui explique sa décision aventureuse de dissoudre l'Assemblée nationale. Cela nous conforte dans l'idée qu'il n'est pas un rempart contre l'extrême droite. Ce rempart est à construire sur la base d'une rupture avec un système social en fin de course incapable de rien résoudre.