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Etat d'urgence et couvre-feu, une histoire qui remonte à loin
Etat d'urgence et couvre-feu, une histoire
qui remonte à loin
Manifestation à Paris, le 17 octobre 1961. Photo AFP
La notion de couvre-feu, qui date du Moyen-Age, a traversé les siècles jusqu'à nous en passant en passant par la guerre d'Algérie. L'état d'urgence reprend aussi du service à la faveur de la crise sanitaire. Zoom arrière.
L’instauration d’un couvre-feu fait partie de l’arsenal ressorti par le gouvernement en ces temps d’épidémie. Anachronique le couvre-feu ? Oui et non. Plusieurs maires, en vertu de leur pouvoir de police générale, ont déjà décidé de son application dans leur ville pour faire face à l’épidémie. Et d’autres municipalités y avaient déjà eu recours ces dernières années pour lutter contre les incivilités commises dans certains quartiers. Mais au niveau de l’Etat, c’est une autre histoire.
La loi d’avril 1955, prise dans le contexte de la guerre d’Algérie pour faire face aux attentats commis par le FLN, dispose que le gouvernement peut décréter l’état d’urgence sur «tout ou partie du territoire». Une mesure qui peut s’appliquer également en cas de catastrophe naturelle. Elle permet également aux préfets «d’interdire la circulation des personnes ou des véhicules dans les lieux et aux heures fixés par arrêté», d’instaurer donc une sorte de couvre-feu. Même si le mot ne figure pas en toutes lettres dans le texte de loi. Dix ans seulement après la fin des années d’occupation allemande, le terme réveille encore des mauvais souvenirs pour les Français.
Une arme aux mains de Papon
De 1955 à 1962, l’état d’urgence sera déclaré trois fois en Algérie, en 1955 lors de la «Toussaint rouge», en 1958, et lors du putsch des généraux d’Alger en 1961. En octobre 1961, le préfet de police de Paris Maurice Papon, condamné en 1998 à dix ans de réclusion pour son implication dans la déportation des juifs de la région bordelaise, décide du couvre-feu pour les «Français musulmans d’Algérie», terme utilisé à l’époque pour désigner les Algériens travaillant en métropole. Il leur est interdit de circuler dans les rues de Paris et de la banlieue entre 20h30 et 5h30 du matin. Les cafés, fréquentés ou tenus par des Algériens doivent impérativement fermer à 19 heures. Pour riposter, le FLN décide d’organiser une grande manifestation à Paris, le 17 octobre 1961. La répression est sanglante. Selon les dernières estimations des chercheurs, elle aurait fait une centaine de morts. Sans compter le nombre de disparus précipités dans la Seine et jamais retrouvés ou identifiés…
En 1985, la Nouvelle-Calédonie se voit à son tour placer sous ce régime d’exception. Pour protester contre le nouveau statut octroyé à ce territoire, les indépendantistes kanaks menés alors par Jean-Marie Tjibaou et Eloi Machoro dressent des barrages sur les routes, s’en prennent aux propriétaires caldoches, descendants des colons. Une situation insurrectionnelle qui culminera avec l’assaut contre la gendarmerie d’Ouvéa en 1988 et la prise en otages de ses gendarmes détenus dans une grotte. L’assaut pour les libérer fera 19 morts côté indépendantistes. Dans la foulée de cet événement sanglant, la signature la même année des accords de Matignon sous le gouvernement de Michel Rocard permettra de ramener le calme dans l’île.
Banlieues, terrorisme et gilets jaunes
En 2005, pour faire face aux émeutes en banlieue, le président de la République, Jacques Chirac, et son Premier ministre Dominique de Villepin décident de l’état d’urgence sur l’ensemble du territoire métropolitain assorti de mesures de couvre-feu dans plusieurs grandes villes. En 2015, après la série d’attentats perpétrés à Paris et en Seine-Saint-Denis, le Président, François Hollande annonce en direct à la télévision la mise en place de l’état d’urgence sur l’ensemble du territoire français. Il sera reconduit en 2017. En 2018, lors du mouvement des gilets jaunes, le gouvernement n’y aura pas recours. A une exception près, l’île de la Réunion où l’ampleur du mouvement paralyse toute l’activité économique. Le couvre-feu s’y applique également.
Au Moyen-Age, à la tombée de la nuit, une cloche sonnait pour signifier qu’il était l’heure de recouvrir le foyer d’un lourd couvercle en fonte pour éviter que les incendies ne se propagent dans des villes construites en bois principalement. Aujourd’hui encore la crainte de la propagation du coronavirus pourrait amener les autorités à décréter le couvre-feu au niveau national.
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