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François Nadiras, un site, une œuvre
Triste souvenir
De 2017
Disparition
De françois
nadiras
François Nadiras, un site, une œuvre
- 29 août 2017
- Par Anne Guérin-Castell
© Rue 89
François Nadiras vient de mourir. Derrière ce visage discret, il y avait l’inflexible détermination d’un homme qui voulut que, depuis Toulon, où il avait vécu, enseigné, milité, et où le Front national avait remporté les élections municipales de 1995, « soit dite une parole qui corresponde à la vérité ».
C’est ainsi qu’il a conçu puis nourri jour après jour, sans se ménager malgré la maladie incurable dont il était atteint, le site Internet de la Ligue des droits de l’homme de Toulon, en faisant par sa rigueur éditoriale un site de référence sur l’Histoire coloniale et postcoloniale, le racisme, l’antisémitisme, la xénophobie, les Roms et les gens du voyage qui reçoit en moyenne 3000 visiteurs par jour depuis le monde entier, véritable bibliothèque à clic ouvert regroupant plus de 4500 pages – articles, documents, archives, témoignages.
Il avait entrepris en février une gigantesque refonte du site en le dédoublant, avec d’un côté, ce qui relève de l’Histoire et de nos sociétés, et de l’autre, ce qui concerne précisément la section de la LDH de Toulon.De son travail, il en est question sur le site « Dormira jamais » d’Olivier Favier (1). Et sur celui de Michel Dandelot (2), qui a retrouvé dans La Marseillaise un article intitulé « François Nadiras, une vie, une œuvre et un engagement sans faille dans la défense des droits humains. Rencontre », dont je me suis inspirée en particulier pour le titre de ce billet, parce que c’est bien une œuvre qu’il a réalisée et qu’il nous laisse.
Je ne l’ai jamais rencontré, mais nous avons souvent communiqué par courriel ou téléphone. Il nous arrivait de travailler de conserve sur les mêmes éléments. Un jour, lors d’un de ces échanges, il me suggéra un sujet qui méritait qu’en soit fait un billet. C’était à propos des restes des résistants algériens conservés au Muséum d’Histoire naturelle de Paris.
Je garde le souvenir de la douceur d’une voix qui jamais ne s’imposait.
Merci à Eugénio Populin, qui m’a prévenue de sa mort avant que cette nouvelle ne gagne le cercle de nos amis.
(1) https://dormirajamais.org/ldh/ (PS) Ce site n'existe plus.
A Anne Guérin-Castel d’avoir signalé mon blog pour rendre un hommage à notre ami commun François Nadiras qui vient de nous quitter.
Michel Dandelot
Ce site était à l’origine celui de la section locale de la Ligue des droits de l’homme de Toulon. Il avait comme rédacteur en chef, un membre de la section : François Nadiras. Depuis 2010 j’y ai puisé de nombreuses informations concernant la guerre d’Algérie, en particulier et le colonialisme, en général, avec l’accord, bien sûr de François Nadiras qui est devenu un ami talentueux et important, mais au début de cette année, une mise au point m’intrigua, d’autant plus qu’un autre ami m’informa de la santé fragile de François Nadiras…C’est donc avec un grand plaisir que j’ai trouvé sur le quotidien « La Marseillaise » un remarquable article intitulé « François Nadiras, un homme, une vie, une œuvre et un engagement sans faille dans la défense des droits humains. Rencontre ».
Michel Dandelot
François Nadiras : « On ne pouvait pas
rester les bras ballants face
au Front national »
« Le temps passant, j’ai pensé que ce serait intéressant que le site Internet ne meure pas avec moi. J’ai donc lancé un appel qui vient dernièrement de rencontrer un écho favorable. »
François Nadiras, un homme, une vie, une œuvre et un engagement sans faille dans la défense des droits humains. Rencontre.
Pas une cause, pas un combat au service de la défense des droits de l’Homme, des sans-droits, contre les discriminations, le racisme... dans lequel on l’ait vu faire défection. Par sa présence, sa plume et son témoignage, il est depuis de longues décennies un personnage central dans la vie démocratique et citoyenne du département du Var. Alors, même si l’intéressé, de par sa pudeur et sa discrétion, répugne quelque peu à se mettre avant, nous l’avons convaincu de livrer une part de son parcours d’homme, de militant et de dire au travers de son engagement ses espoirs et ses craintes concernant les années à venir.
François Nadiras est né en 1941 en région parisienne. Et lorsque la République décide d’enrôler sa jeunesse dans une guerre qui ne dit pas son nom pour réprimer la lutte pour l’indépendance des Algériens, le jeune homme est en train de terminer ses études de mathématiques dans la capitale. « J’ai vécu pendant cette période dans l’angoisse d’être appelé », explique-t-il. Des « événements », comme on continuera longtemps à les appeler, qui vont forger chez lui la conviction que l’on peut, que l’on doit refuser l’injustice et rechercher la vérité.
Le concours en poche, le professeur de maths, qui est passé au travers de cette conscription qu’il redoutait tant, est nommé comme coopérant à Pointe-à-Pitre où il passera ainsi deux ans avant de rentrer en métropole. Nommé à Toulon en 1967, il effectue ensuite toute sa carrière au lycée Dumont d’Urville, enseignant aux élèves des classes préparatoires maths sup’ et maths spé’.
A Amnesty international pour commencer
C’est dans le Port du Levant aussi que se précise son engagement militant au service de la défense des droits humains, combat qu’il poursuit encore aujourd’hui malgré la fatigue et la maladie.
Il adhère donc avec son épouse Elisabeth, avec laquelle il partage les mêmes valeurs, à Amnesty international, pour commencer.
« Il y a une chose qui m’a toujours perturbé, c’est la prévalence, le développement des idées d’extrême droite, le racisme entretenu par un certain nombre de politiques. Et pas seulement, hélas, à l’extrême droite », précise François Nadiras.
Puis avec l’arrivée en 1995 du Front national à la tête de la municipalité toulonnaise, c’est le choc. Et le couple éprouve la nécessité d’agir d’urgence plus concrètement sur le terrain de la politique locale.
« On ne pouvait pas rester les bras ballants », explique-t-il. C’est comme ça qu’ils se retrouvent tous deux très vite pas mal impliqués au sein de la section toulonnaise de la Ligue des droits de l’homme. Qu’ils présideront tour à tour pendant de nombreuses années avant d’en redevenir de simples mais fervents militants.
« Lorsque mes responsabilités se sont terminées, je me suis dit qu’il manquait quelque chose à Toulon, qu’on ne parvenait toujours pas à dire la vérité sur bien des sujets, comme celui de la guerre d’Algérie », reprend François Nadiras.
Une ville dans laquelle il est encore difficile de dire que « l’Algérie était une colonie et que le combat d’émancipation mené par les Algériens est sur bien des points tout à fait comparable à celui des résistants français ».
Il veut rappeler ce pan de mémoire qui est ici à ce moment-là le plus souvent tu. Pour des raisons électoralistes, déjà, avec une importante communauté de rapatriés qu’il convient de ménager, pour certains. Et un silence aussi qui est censé faire oublier ce qui pourrait raviver des tensions, pour d’autres.
« Je me suis dit qu’on pouvait faire quelque chose pour lutter contre cette unanimisme... » Le militant de la LDH va donc mettre à profit ses connaissances en informatique pour réaliser le premier site Internet de la Ligue des droits de l’Homme de la section en 2001 : « Je voulais que soit dite une parole qui corresponde à la vérité. » Le coup d’essai est déjà une réussite mais ne correspond pas encore tout à fait aux attentes du défenseur des droits humains.
Il crée donc en 2004 une deuxième mouture plus aboutie. Un site qui atteint vite les 3 000 visites jour. Un succès qui s’opère au prix d’un travail colossal qu’il assume tout seul, en l’enrichissant de toujours plus de documents, d’articles, de témoignages. Si bien que la place commence à manquer et le webmaster à fatiguer.
« Le temps passant, j’ai pensé que ce serait intéressant que le site ne meure pas avec moi. J’ai donc lancé un appel qui vient dernièrement de rencontrer un écho favorable », lâche-t-il avec soulagement.
C’est l’historien Gilles Manceron qui vient en effet de relever le défi, mais en partie seulement.
L’idée est donc de scinder le site actuel en deux parties. Avec tout ce qui concerne l’histoire de la colonisation et le racisme qui est désormais abrité sur un nouveau portail Internet (ldh-toulon.net) et géré par un collectif d’historiens, le reste demeurant sur l’adresse historique : section-ldh-toulon.net.
« Rien n’est désespéré quand on voit des villages accueillir des migrants »
Lorsqu’on interroge le militant sur son sentiment concernant les années à venir, le propos se fait nettement moins enjoué. Un avenir plus sombre dans le lequel l’émotion continuerait à prendre plus de place que la raison, avec les conséquences que l’on voit déjà à l’œuvre. Il pointe également « cette hostilité qui se développe entre communautés ou plutôt entre personnes qui se considèrent plus comme appartenant à une communauté qu’à une nation ».
La montée du communautarisme donc, mais aussi celle du racisme avec une parole et des passages à l’acte plus qu’inquiétants. Il nous rappelle d’ailleurs l’histoire de ce Français d’origine sénégalaise éjecté d’un train en gare de Toulon. Pour mémoire, un travailleur social confronté à un contrôle de billet musclé qui se rebelle et réclame des explications. Mal lui en prend puisque les passagers se lieront en se basant sur des a priori pour l’expulser du wagon. « L’affaire est toujours en attente de jugement deux ans après », déplore-t-il. « En même temps, rien n’est jamais complètement désespéré quand on voit des villages qui accueillent des migrants », conclut François Nadiras.
Grave mais pas désespéré, en effet. Du moins tant que le monde associatif et militant comptera des vigies de sa trempe. Merci François.
Thierry Turpin
François Nadiras tu me manques !!!
Toi qui as mis en ligne une centaine d’articles concernant le grand historien anti colonialiste Gilbert Meynier qui vient de nous quitter… Tu me manques vraiment car si tu avais été là je suis convaincu que tu n’aurais pas oublié de nous commenter la disparition de Gilbert Meynier quelques semaines seulement après son épouse… Et là je suis extrêmement surpris car le premier à nous avoir alerté fut Benjamin Stora, triste information aussitôt relayée par plusieurs quotidiens algériens, puis par l’un de ses amis l’ecclésiastique Christian Delorme, hommage à Gilbert Meynier, au début de l'émission "La Fabrique de l'histoire", sur France Culture et enfin l’ancien député Bernard Deschamps… Mais pas une ligne dans la presse française ne signale la disparition du grand historien, pas une ligne sur des sites et des blogs se considérant anti colonialistes, amis du peuple algérien, aucun commentaire d’autres historiens ou personnalités anti colonialistes… Pourquoi ?
Comme me l’a dit Jean-François Gavoury président de l’ANPROMEVO qui s’étonne aussi « IN-COM-PRE-HEN-SI-BLE ! On n’est vraiment peu de chose »
Merci François Nadiras de nous avoir tant parlé de Gilbert Meynier avant ta regrettable disparition et la sienne.
Michel Dandelot
Histoire coloniale et postcoloniale
Depuis le début des années 2000, le site internet « ldh-toulon.net » a été animé, jusqu’à son décès le 28 août 2017, par François Nadiras, militant de la Ligue des droits de l’Homme dans cette ville. Ce site traitait à la fois de l’actualité des droits de l’Homme et de la connaissance de l’histoire coloniale, car son animateur pensait que la méconnaissance et les mythes de ce passé étaient l’une des bases majeures des idéologies d’extrême droite influentes dans la région, et, au-delà, une question générale importante. Désormais, deux sites poursuivent son action : le présent site histoirecoloniale.net - dont la version actuelle est provisoire, ses responsables en préparent une autre, plus fonctionnelle - et le site section-ldh-toulon.net.
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« Gilbert Meynier »
Articles (157)
Ci-dessous les premiers articles mis en ligne par françois nadiras :
- Gilbert Meynier, “l’Algérie révélée”
- Gilbert Meynier appelle les historiens algériens et français à ouvrir des chantiers mémoriels
- « L’Algérie des origines. De la préhistoire à l’avènement de l’Islam », de Gilbert Meynier
- Gilbert Meynier : Angelo Del Boca, “Italiani, brava gente ?”
- Gilbert Meynier : L’Algérie et la France, deux siècles d’histoire croisée
- Liauzu et Meynier : Sétif, la guerre des mémoires
- une volonté de nuire au rapprochement franco-algérien
- l’indépendance de l’Algérie : un fait qui a du mal à passer ? par Gilbert Meynier
- A propos du livre "Un mensonge français"
« Après la visite d’Emmanuel Macron en Algérie... C’est le point de vue de Fabrice RiceputiEmmanuel Macron aura du mal à trouver des historiens français dignes de cette valeur alors il lui restera quand même Jean-Jacques Jordi... »
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Commentaires
4philippeJeudi 1er Septembre 2022 à 10:19Toutes mes condoléances à ses proches et à sa famille. Qu'on lui rende un bel hommage.
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philippeJeudi 1er Septembre 2022 à 10:50
Ah excusez moi un peu tard pour présenter ses condoléances( c'était en 2017) mais pas trop tard pour lui rendre un bel hommage.
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3Ponsot danièleJeudi 1er Septembre 2022 à 09:35Je viens de relire avec émotion l'article du blog de Jacques. Merci d'entretenir le souvenir de ces belles personnes!
On peut lire l'article consacré à la disparition de François Nadiras que j'ai mis en ligne sur mon blog en cliquant sur le lien
http://cessenon.centerblog.net/6572209-sur-la-disparition-de-francois-nadiras
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Important et émouvant rappel.
Un homme qui inspirait la tendresse et le respect.
Il accomplissait clairement, méthodiquement, fermement un travail précieux. Véritable vigie des dérives droitières.
Un grand courage , un grand coeur, plein de délicatesse.
Il est bon de le rappeler .
Merci , Michel Dandelot.