• « Frères et compagnons » Ils se sont insoumis contre l’ordre colonial

     

    « Frères et compagnons », dictionnaire biographique sur les Algériens d’origine européenne et juive, témoigne de ceux qui en Algérie ont fait leur le droit à l'insoumission.

     

    « Frères et compagnons » Ils se sont insoumis contre l’ordre colonial

     

    Ils se sont insoumis

     contre l’ordre colonial 

    Les éditeurs algériens publient de nombreux ouvrages, notamment des témoignages, sur la guerre et la lutte de libération. Si l’on se réfère à Patrick Boucheron quand il déclare  : « après un moment de crispation, qui a correspondu à ce moment où on a opposé la mémoire et l’histoire, parce qu’on a fini par croire vraie cette position idéologique qui consistait à croire qu’il fallait défendre l’histoire contre cette effervescence des mémoires concurrentes et évidemment partielles », c’est là une utile contribution. Parmi les ouvrages publiés, le livre de Rachid Khettab, Frères et compagnons, dictionnaire biographique sur les Algériens d’origine européenne et juive, qui ont participé à la guerre de libération.

    Résultat d’un travail obstiné de recherches et de compilations sur des parcours collectifs et individuels ; au-delà des principaux protagonistes, nombreux sont ceux que ce livre sort de l’oubli. Si des engagements forts et anciens aident à recueillir les informations sur certains, pour d’autres, clandestinité ou dispersion des cheminements après l’indépendance, les fils sont ténus et retrouver les sources s’avère difficile. C’est le grand mérite de Rachid Khettab, sur la base d’interviews et de témoignages, d’informations recueillies dans des livres, des journaux ou dans le Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier-Maghreb de rappeler l’engagement de plus de 250 frères et compagnons.

    Du rejet du système colonial, pour les uns à la pleine reconnaissance du droit à l’indépendance pour les autres, l’acte d’insoumission de ces militants d’origine européenne rejoint, dans ses raisons et ses motifs, celui de ceux qui en France ont refusé de faire cette guerre ou qui se sont engagés dans les réseaux de soutien, mais il s’en différencie en raison de leur insertion en Algérie : ils sont « partie prenante de ce pays » et par les risques encourus et par leur engagement au cœur de la guerre et de la violence coloniales.

    On trouve évidemment dans ce dictionnaire les noms d’Henri Alleg, Alexandre et Suzanne Chaulet, Fernand Iveton, Jean Scotto, Annie Steiner, Henri Maillot, Léon-Étienne Duval, Jacqueline Guerroudj, Alice Cherki, Daniel Timsit, Jean Senac ou celui de Frantz Fanon. On y trouve aussi celui de Maurice Audin, pour lequel un énième appel adressé au nouveau président de la République demande de (re)connaître la vérité historique sur son assassinat. Maurice Audin est mort sous la torture, comme sont mort, en application des pratiques de la « guerre révolutionnaire » couverte par le gouvernement, des milliers d’Algériens lors de la bataille d’Alger, sauf que Maurice Audin, n’est pas un bougnoule, mais un Français d’Algérie, de plus un universitaire, c’est la « bavure » à assumer.

    Ce dictionnaire rappelle et fait revivre des parcours et des engagements - la rose, le réséda et le jasmin - différents, mais indissociables dans leur refus du colonialisme, dans leur solidarité et leur adhésion, à la cause d’une Algérie indépendante. Ainsi, celui d’Éveline Lavalette, née en Algérie, formée, comme beaucoup, par le scoutisme, proche d’André Mandouze, enseignante dans la Basse-Casbah. Dès le déclenchement de la lutte de libération, elle est en contact avec Benyoucef Benkkedda, son appartement servira au Comité de Coordination et d’Exécution, la direction centrale la Révolution, elle assure l’hébergement d’Abane Ramdane, Krim Belkacem, Larbi Ben M’Hidi… Elle est de ceux qui participent à l’impression du premier numéro du Moudjahid et de la Charte de la Soummam, c’est elle qui tape l’appel à la grève décidée par l’UGEMA. Arrêtée à Alger le 13 novembre 1956, torturée, condamnée, elle connaît les prisons d’Oran, de Maison Carrée, la prison militaire d’El Asnam ; libérée en août 1959, les contrôles auxquels elle est soumise l’obligent à gagner clandestinement la France, puis, menacée par la Main rouge, à rejoindre la Suisse, où elle travaille avec le Dr Bentami pour le Croissant rouge algérien. Éveline Lavalette sera élue à l’Assemblée constituante dans l’Algérie indépendante, prendra la nationalité algérienne et vivra ses dernières années à Médéa.

    Autre figure, Maurice Laban, lui aussi né en Algérie : fondateur du PCA, il rejoint en 1936 les Brigades internationales, de retour en Algérie, il combat dans la clandestinité le régime de Vichy, arrêté, il est libéré en 1943. Membre de la direction du PCA, il est blâmé comme « nationaliste » pour avoir écrit : « Défendre exclusivement des mots d’ordre nationaux français est une erreur ». Ahmed Akkache, lui aussi militant et enseignant, écrit de Maurice Laban « C’était extraordinaire de voir un Algérien d’origine européenne vivre au milieu des Arabes, s’habiller comme eux, parler comme eux. » Après le 1er novembre 1954, Mostefa Ben Boulaïd, l’un des 22 qui ont décidé du déclenchement de la lutte de libération et qui dirige la Willaya des Aurès, fait savoir qu’il souhaite que Maurice Laban soit son adjoint militaire. La direction du parti ne l’autorise pas à gagner le maquis. Menacés en raison de leurs actions militantes, Maurice Laban et sa femme Odette, quittent Biskra, passent dans la clandestinité dans le Constantinois puis dans la Mitidja. Quand la direction du PCA crée un groupe armé dans l’Ouarsenis, elle demande à Maurice Liban de le rejoindre, ce qu’il fait aussitôt. Le 5 juin 1956, le petit groupe de maquisards est localisé par l’armée, le lendemain Le Monde peut annoncer la mort de « l’officier félon », Henri Maillot et, avec lui, celle de « l’ancien instituteur », Maurice Laban. Sa femme, Odette, venue en France avec ses enfants est licenciée ; fidèle à ses convictions, elle poursuit son action militante dans la Fédération de France du FLN. 

    Comment ne pas rappeler les noms de Louis Augor et de Gabrielle Giminez. Louis Augor, prêtre de la Mission de France, avec les abbés Kerlan et Mamet, constitua l’équipe de Souk-Ahras. Ce sont eux qui établirent les premiers dossiers sur la répression et les exactions commises, la publication des témoignages recueillis allait jouer un rôle essentiel, en France et hors de France, dans la prise de conscience de la réalité de la guerre d’Algérie. Une mesure d’expulsion d’Algérie est prise à l’encontre de Louis Augor, l’émotion suscitée dans la communauté algérienne par la décision à l’encontre des prêtres ouvriers de Souk-Ahras est si forte que la population est avertie que treize otages seraient fusillés en cas de manifestations 

    Gabrielle Giminez milite dès les années 1940 pour une Algérie indépendante ; arrêtée en 1941, elle subit le supplice de l’eau et de l’électricité au Commissariat d’Alger. Lors du procès des 61 communistes, elle est condamnée, en 1942, à la prison à perpétuité. Le fascisme vaincu, la lutte de libération engagée, membre, avec son mari Roger Bénichou, du groupe armé du PCA, les Combattants de la libération, ils sont arrêtés en 1956. À nouveau Gabrielle Giminez connait le supplice de la baignoire, cette fois dans les caves de l’ancien Trésor d’Oran. Condamnée à vingt ans de travaux forcés, ramenés à quinze, transférée à la Petite Roquette, elle est maintenue avec les droits communs, séparée de ses sœurs algériennes et françaises. Libérée bien après les Accords d’Évian, elle retourne avec son mari en Algérie, ils reprennent leurs emplois, avant de quitter l’Algérie dans les années 1990, durant la « décennie noire ».

    À une autre page on trouve le nom trop oublié d’Albert-Paul Lentin, né dans le Constantinois : il a participé dans un réseau gaulliste à la prise de contrôle d’Alger en novembre 1942. Au tribunal de Nuremberg, il est chargé de Mission auprès d’Edgar Faure, procureur général adjoint pour la France. Devenu journaliste, envoyé spécial du Libération d’Emmanuel d’Astier de la Vigerie, il affirme ses positions anticolonialistes et est expulsé d’Algérie. Inflexible sur ses convictions, il poursuit son travail de journaliste et joue un rôle dans le cours des négociations secrètes entre le FLN et le gouvernement français. En 1962, sa maison à Paris est plastiquée par l’OAS. Après l’indépendance, en 1970, il sera l’un des fondateurs de Politique Hebdo. On trouve aussi le témoignage d’Hélène Cixous qui, dans une interview donnée au Monde, rappelle qu’elle était dans la classe de Zohra Drif : « Je suis, moi, au premier rang, là où faut être, à la première place. Les yeux sur le prof ; en diagonale, en symétrie, à l’autre bout de la classe, Zohra, elle se trouve là. Chaque fois que le prof énonce quelque chose qui me renvoie à la conscience politique aiguë que j’éprouve, je me demande, elle, Zohra, dedans, qu’en pense-t-elle ? » C’est toute la richesse de ce dictionnaire de faire émerger les visages de celles et de ceux qui ont alors choisi leur camp.

    Frères et compagnons, réserve également des rubriques aux mouvements et aux organisations comme l’Association de la jeunesse algérienne pour l’action sociale, les Combattants de la libération, le Comité des juifs algériens pour l’indépendance de l’Algérie, la Fédération des libéraux d’Algérie… les revues et journaux, Consciences algériennes, Consciences Maghribines, l’Espoir-Algérie, Le Patriote - en annexe sont publiés des documents et des lettres de Jean Sénac, Henri Maillot, Franz Fanon, Joseph Sixou ou l’interview de Ferhat Abbas par Charles-Henri Favrod.

    L’ouvrage comporte certes des oublis, des biographies trop sommaires, des manques factuels, comment pourrait-il en être autrement ? Les conditions de la recherche l’expliquent, mais ce livre est une référence incontournable sur la guerre d’Algérie et la solidarité des Algériens d’origine européenne. Sa réalisation est le mérite de Rachid Khettab qui a également publié Les amis des frères, dictionnaire des soutiens français et internationaux à la lutte de libération. Que ces travaux sur ceux qui ont affirmé leur droit à l’insoumission lors de la guerre coloniale aient été effectués par un Algérien et soient édités en Algérie n’est pas indifférent.

    SOURCE : https://blogs.mediapart.fr/nils-andersson/blog/300617/ils-se-sont-insoumis-contre-l-ordre-colonial 

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  • Commentaires

    1
    Mercredi 6 Septembre 2017 à 08:18

    Ils ont été peu nombreux les Européens d'Algérie à s'engager pour l'indépendance de leur pays. Ça rend encore plus méritoires ceux qui l'ont fait. Ont-ils été récompensés après le 19 mars 1962 ? Je crois que non !

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