-
Guerre d’Algérie: « La mémoire des victimes de l’OAS n’a été que partiellement honorée par Emmanuel Macron »
Guerre d’Algérie : « La mémoire
des victimes de l’OAS
n’a été que partiellement honorée
par Emmanuel Macron »
© KeystoneL'enterrement au cimetière d'El Alia des victimes de l'assassinat de Château-Royal par l'OAS, le 19 mars 1962.
Dans une campagne présidentielle chamboulée par la guerre en Ukraine, le chef de l’Etat s’apprête à commémorer le 60e anniversaire des accords d’Evian, signés le 18 mars 1962. En Algérie comme en métropole, 1962 marque la fin de la guerre, le début des espoirs d’indépendance et de liberté, mais charrie aussi la violence et l’exil. Alors que les autorités françaises négocient avec le Front de libération nationale (FLN) algérien, l’Organisation de l’armée secrète (OAS) s’oppose violemment à toute indépendance. Le 15 mars, un de ses commandos assassine six inspecteurs des centres sociaux éducatifs (CSE), réunis au lieu-dit Château Royal, dans le quartier d’El Biar, près d’Alger. Il s’agit de Mouloud Feraoun, un écrivain et ami d’Albert Camus, du professeur Max Marchand, de Marcel Basset, Robert Eymard, Ali Hammoutène et Salah Ould Aoudia. «La bêtise qui froidement assassine», écrira dans le Monde, le 19 mars, Germaine Tillion, qui fonda les centres sociaux en Algérie.
Depuis 2017, plusieurs «gestes symboliques» visant à réconcilier les mémoires de la guerre d’Algérie ont été effectués par Emmanuel Macron. Ce mardi 15 mars, l’ambassadeur français en Algérie, François Gouyette, a déposé une gerbe sur la stèle érigée à Alger en l’honneur de Mouloud Feraoun et des cinq autres victimes, au nom du président de la République. Jean-Philippe Ould Aoudia, fils d’un des six inspecteurs des centres sociaux tués par l’OAS, déplore toutefois que les victimes de l’organisation terroriste n’aient pas été honorées lors de commémorations officielles plus larges.
Le 15 mars 1962, six hommes, des Algériens et des Français, tous inspecteurs des CSE, sont assassinés par un commando de l’OAS à El Biar, dans la banlieue d’Alger. Pourquoi étaient-ils visés ?
L’assassinat du 15 mars 1962 remonte à loin. D’abord à la création du Service des centres sociaux par Germaine Tillion [en octobre 1955, ndlr]. Un mois avant, Jacques Soustelle [alors gouverneur général de l’Algérie] avait publié un arrêté créant les sections administratives spécialisées (SAS). Ce sont des structures militaires visant à apporter des soins, des notions d’éducation mais aussi à contrôler la population. Deux structures sont donc créées dans le même temps mais la militaire aura moins de succès que celle relevant de l’Education nationale. Dans l’esprit biaisé des militaires, défaits lors de la bataille de Diên Biên Phu six mois auparavant, la maîtrise de la population était importante. Or celle-ci préfère rapidement les centres sociaux aux SAS. Le général Massu, qui disposait des pleins pouvoirs pendant la bataille d’Alger, s’en est ainsi pris aux centres sociaux. Il y voyait une déviance des catholiques et des chrétiens présents dans ces centres en faveur de l’indépendance des Algériens.
Lors du procès des barricades [une semaine insurrectionnelle des partisans de l’Algérie française], les centres sociaux ont été pris à partie par les colonels qui ont désobéi. Tous les militaires et les civils impliqués dans l’affaire des barricades feront partie de l’OAS. Ils ont entendu dans un tribunal, des militaires, des gradés, dont Massu, insulter les centres sociaux. Pour eux, c’était un blanc-seing, un bon à tirer. Le crime du 15 mars n’est pas sorti ex nihilo. Enfin, au sein de ces centres, il y avait un recrutement à peu près égal entre Algériens et Français. C’était la préfiguration de l’Algérie indépendante. Pour les tenants extrémistes de l’Algérie française, il n’en était pas question.
Parmi les victimes, il y avait votre père, Salah Ould Aoudia…
Instituteur, mon père avait été recruté personnellement par Germaine Tillion. C’était l’un des plus anciens dirigeants du service des centres sociaux. Avec lui, on a voulu décapiter un service entier.
Ce jour-là, à trois jours de la signature des accords d’Evian qui ouvrirent la voie à l’indépendance, les partisans de l’Algérie française commettent un attentat meurtrier. L’émoi dans l’opinion publique est considérable. Quelles furent les répercussions politiques ?
Dans ses mémoires, Robert Buron, l’un des négociateurs français des accords d’Evian, écrit que ce crime les a impressionnés. Il pensait que les Algériens ne poursuivraient pas les négociations. Ils ont eu peur que les accords ne puissent être menés à leur terme. Les choses étaient toutefois trop avancées pour être perturbées. Les crimes les plus imbéciles n’interfèrent pas forcément la voie vers la paix et la réconciliation entre les peuples. Dans l’opinion publique, l’émoi fut également important. Le 19 mars au matin, dans toutes les écoles de France, une minute de silence fut respectée en hommage à ces enseignants. Pour nous, descendants des victimes de l’OAS, la minute de silence en hommage au professeur Samuel Paty a eu une résonance très forte.
Le 26 janvier, devant des associations de rapatriés d’Algérie conviées à l’Elysée, Emmanuel Macron a rendu hommage aux victimes de la rue d’Isly, des dizaines de pieds-noirs tués le 26 mars 1962. Une manifestation «attisée par l’OAS», a-t-il ajouté. Ces mots sont-ils importants à vos yeux ?
Ils n’ont aucune importance. Les historiens Gilles Manceron, Alain Ruscio et Fabrice Riceputi ont écrit sur le 26 mars 1962. Ils ont montré que c’était une manifestation montée et organisée du début jusqu’à la fin par l’OAS, suivant les directives du général Salan. Elle n’a donc pas été «attisée». Ce mot ne signifie donc rien. Le président Macron a ouvert le chantier des mémoires blessées de la guerre d’Algérie. C’est une bonne chose. Il a rendu hommage aux harkis, aux rapatriés, aux Algériens victimes du 17 octobre 1961. Mais il n’a jamais rendu hommage aux 2 700 victimes de l’OAS. C’est la seule mémoire blessée de la guerre d’Algérie qu’il a refusé d’honorer.
Que pensez-vous du dépôt de gerbe effectué ce mardi par l’ambassadeur français en Algérie, sur la stèle rendant hommage à Mouloud Feraoun et ses compagnons ?
Je ne peux pas être insensible à ce qui a été fait pour ces six victimes. Le sacrifice de mon père et de ses compagnons morts pour la défense des valeurs de la République et pour l’indépendance de l’Algérie n’aura pas été vain. Mais Emmanuel Macron a préféré rendre hommage aux victimes en Algérie…
Attendez-vous un autre geste particulier du président de la République à l’égard des victimes de l’OAS ?
Je n’attends plus rien. Et il n’y aura plus rien. S’il devait y avoir eu quelque chose, cela aurait déjà été fait.
Pourquoi cela n’a pas été fait selon vous ?
Par électoralisme. Dans le Midi, la population des pieds-noirs rapatriés approuve les crimes de l’OAS. La preuve : l’un des membres du commando de l’OAS qui a tué mon père, Gabriel Anglade, a été élu à deux reprises conseiller municipal de Cagnes-sur-Mer en charge des rapatriés. Je suis descendu à Cagnes, j’ai participé à la présence de meetings pour dénoncer la présence d’un tueur de l’OAS au sein de la municipalité. Tout le monde s’en désintéresse…
Les «gestes symboliques» effectués par Emmanuel Macron depuis 2017 visant à «apaiser» les mémoires de la guerre d’Algérie vont-ils, selon vous, dans le bon sens ?
Je ne peux qu’être favorable à l’apaisement des mémoires blessées à la seule condition que ce soit toutes les mémoires blessées. Mais à partir du moment où l’on fait une sélection de ces mémoires, on continue à les diviser. Harkis, Charonne, 26 mars 1962, Européens, 17 octobre 1961… Emmanuel Macron a fait le tour des mémoires. Il en reste une. Pourquoi n’honore-t-il pas celle des civils, militaires, Algériens, Français, magistrats, élus, enseignants, fonctionnaires de police tués par l’OAS ? Les derniers remparts de la République sont les derniers remerciés.
L’Algérie et la France commémorent
l’assassinat de Mouloud Feraoun
et de ses compagnons
Mouloud Feraoun
Le ministre des Moudjahidines et des Ayants droit, Laid Rebiga, et l’ambassadeur de France en Algérie, François Gouyette, ont procédé, mardi, au dépôt de deux gerbes de fleurs devant la plaque commémorant l’assassinat, le 15 mars 1962 à Ben-Aknoun (Alger) par l’Organisation de l’armée secrète (OAS), de six enseignants, dont le célèbre écrivain Mouloud Feraoun.
A cette occasion, M. Rebiga a souligné que ce recueillement est une « reconnaissance envers l’un des célèbres auteurs algériens, Mouloud Feraoun, tombé, en compagnie de cinq autres enseignants, sous les balles assassines de la sinistre OAS », rappelant que la ville natale de ce célèbre auteur, Tizi Hibel, abrite des activités commémorant le 60e anniversaire de son assassinat.
De son côté, l’ambassadeur de France a déclaré que « c’était la volonté du Président Macron que je puisse déposer, en son nom, une gerbe de fleurs à la mémoire de ces six enseignants assassinés, le 15 mars 1962, à quelques jours du cessez-le-feu et de la signature des accords d’Evian », qualifiant cet assassinat « d'événement tragique ».
Il a ajouté que sa présence à cette commémoration est « une marque de considération qu’a voulu exprimer le président de la République française en me chargeant de déposer cette gerbe de fleurs au lieu même de cet assassinat ».
Sur les hauteurs d’Alger, à Ben Aknoun, Mouloud Feraoun, auteur de plusieurs ouvrages dont la célèbre trilogie « le fils du pauvre », « les chemins qui montent » et « la terre et le sang » a été assassiné avec cinq de ses compagnons, Ali Hamoutène, Salah Ould Aoudia, Etienne Basset, Robert Aymar et Max Marchands. Ils étaient tous inspecteurs des Centres socio-éducatifs (CSE), des structures créées pour venir en aide aux plus démunis, notamment en assurant des cours d’alphabétisation.
Né en 1913 dans le village de Tizi Hibel (Tizi Ouzou), où il a suivi l’essentiel de sa scolarité, Mouloud Feraoun a été reçu en 1932 au concours d’entrée de l’Ecole normale de Bouzareah à Alger. Diplômé il commence sa carrière d’enseignant et sera nommé instituteur dans son village natal en 1935.
Il a occupé les postes de directeur des cours complémentaires, de directeur de l’école Nador à El Madania, puis celui d’inspecteur des CSE jusqu’à son assassinat, quatre jours avant la signature des accords d’Evian et la proclamation du cessez-le-feu, le 19 mars 1962.
Son journal rédigé à partir de 1955 sera publié à titre posthume sous le titre « Journal 1955-1962 » ainsi que son roman inachevé « L’anniversaire », sorti en 1972 et « La cité des roses » resté inédit jusqu’en 2007.
APS
« « Hommage à Mouloud Feraoun et aux victimes de l’OAS » : Communication de l’ANPROMEVO France-Algérie : Macron commémorera le 60e anniversaire des accords d’Evian samedi à l’Elysée »
-
Commentaires