• Guerre d’Algérie : Le décret du 12 avril 1956 sur les rappelés

     

    Guerre d’Algérie

    Le décret du 12 avril 1956 sur les rappelés

     

    1956, l’année commence bien. Aux législatives, la gauche (socialistes, radicaux avec le soutien du Parti communiste) obtient la majorité. Ceux qui ont voté à gauche manifestent ainsi leur volonté de « paix en Algérie ». C’était la promesse de tous les candidats de gauche. Guy Mollet avait fait campagne en métropole pour l’apaisement en Algérie et une réduction du service militaire. Il aurait voulu y faire évoluer les institutions, parvenir à l’égalité de l’élément européen et de l’élément musulman, comme on disait à l’époque.

    Mais de l’autre côté de la Méditerranée, les forces du dialogue sont laminées et la radicalisation semble devenue irréversible. Quand Guy Mollet effectue sa première visite à Alger, il se retrouve « prisonnier » d’une foule d’Européens hostiles. Il avait choisi le 6 février. Date fatidique pour la République, en 1934 déjà… Mais un rationaliste ne croit pas aux signes prémonitoires. Pourtant sous les huées et les jets de tomates il cède à la pression.

     

    Des anciens combattants conspuent Guy Mollet à son arrivée à Alger, ce 6 février 1956. Les gerbes qu’il dépose au pied du monument aux morts sont jetées à terre, piétinées… Photo : AFP/STF (Source : L’Humanité.fr)

    A son retour en métropole, Guy Mollet réclame à la Chambre des députés les pouvoirs spéciaux pour intensifier en Algérie la guerre commencée en 1954. Les promesses électorales du Front républicain concernant la fin des hostilités sont loin d’être tenues.

    Dès lors le gouvernement pourra gouverner par décrets. Le 12 avril le décret 56-373 signé par le ministre de la Défense, Maurice Bourgès-Maunoury, maintient sous les drapeaux 1a classe 55-1 et rappelle les disponibles des contingents de la 1ere fraction de la classe 1951, des 1ere,2eme et 3eme fractions de la classe 1952. Les disponibles des 2eme et 3eme fractions de la classe 1953, qui n’avaient pas été rappelés sont également concernés ainsi que ceux des 1ere et 2eme fraction de la classe 1954 qui n’ont pas été maintenus sous les drapeaux.

    Le rappel des jeunes qui croyaient en avoir fini avec le service militaire provoque de nombreuses manifestations. Plusieurs rappelés, convoqués dans le plus grand désordre, brandissent dans les gares des pancartes « Paix en Algérie ». Cette inscription, devenue slogan, est la plus fréquente. Il s’agit d’un rappel des promesses électorales du Front républicain.

    Dans une caserne, le drapeau tricolore est descendu du mât aux cris de « A bas Guy Mollet ». Dans un train parti du camp militaire de Mourmelon en direction de Marseille pour embarquer vers l’Algérie, les rappelés détellent plusieurs voitures à Bar-le-Duc. A plusieurs reprises le signal d’alarme est tiré pour ralentir le train.

    A Grenoble, le 18 mai, des milliers de manifestants affrontent les CRS. Du ciment est coulé sur les aiguillages. Le 23 mai à Antibes des manifestants s’opposent au départ de 15 rappelés ; il y a vingt blessés. Le lendemain au Havre, trois cents ouvriers du bâtiment bloquent un convoi. Le 27 mai, on recense des manifestations à Angers, Port-de-Bouc, Brive et Voiron. Le 28 mai, à Saint-Nazaire, 6000 métallos, dockers et maçons de la CGT soutiennent vingt rappelés ; la manifestation est réprimée par les CRS.

    Les autorités expliquèrent ces manifestations par les mauvaises conditions d’un accueil improvisé, par l’insuffisance de l’encadrement et par l’action de meneurs antimilitaristes dans les unités et à l’extérieur.

    Il semble que la raison profonde est que le changement de stratégie politique du gouvernement ait permis de rappeler sous les drapeaux des jeunes hommes qui venaient de s’engager dans des responsabilités professionnelles ou familiales en se croyant libérés de leurs obligations militaires. De plus, l’envoi du contingent en Afrique du Nord pour des opérations de guerre ne fut pas considéré par tous les appelés et rappelés comme une mission normale de défense du territoire national : d’autant plus qu’il n’avait jamais été utilisé dans la guerre d’Indochine.

    Ces mouvements spontanés furent encadrés par des militants hostiles à la « guerre d’Algérie » ( expression qui apparut après les premiers rappels de 1955) : extrême gauche anarchiste ou trotskyste, parti communiste, adeptes de la « nouvelle gauche » laïque ou chrétienne, mais aussi, jeunes socialistes et radicaux mendèsistes, regroupés dans des comités contre la poursuite de la guerre en Afrique du Nord.

    Le gouvernement s’en prend aux journaux qui se font l’écho de la révolte des rappelés. Des perquisitions frappent le journal anarchiste Le Libertaire et La Voix du Peuple, le journal du MNA. L’hebdomadaire trotskyste La Vérité est saisi. Puis sont saisi à plusieurs reprises France Observateur, l’Express, l’Humanité et Témoignage Chrétien.

    Les autorités calmèrent les rappelés en leur promettant des avantages de solde, des primes pour leur participation au maintien de l’ordre dans les zones soumises à l’état d’urgence, des indemnités d’absence temporaire pour les hommes mariés. Les cas d’exception prévus par la loi et les sursis furent respectés. Les gouvernements assurèrent que l’envoi des rappelés était destiné à maintenir l’ordre, à « pacifier », à empêcher la guerre et non à la déchaîner… Ils firent appel au sens du devoir patriotique dont les anciens combattants des générations précédentes s’étaient acquittés sans protester.

    Gérard Capecchi

    SOURCE : http://enhmga.com/* 

    6 février 1956. Guy Mollet est accueilli à Alger

    par une pluie de tomates

    Par Alain Ruscio historien

    Guy Mollet, à peine nommé chef du gouvernement, limoge le gouverneur général d’Algérie, Jacques Soustelle, trop proche des tenants de l’Algérie française. Il décide dans la foulée de se rendre sur place. Les activistes algérois lui ont préparé un comité d’accueil musclé.

    Chacun connaît la formule de Marx : « L’histoire se répète toujours deux fois, la première comme tragédie, la seconde comme comédie. » Démonstration : l’histoire politique française a connu deux 6 février : en 1934, à Paris, les troupes fascistes tentèrent de prendre d’assaut la Chambre des députés – et faillirent réussir (drame) ; le 6 février 1956, à Alger, un président du Conseil socialiste capitula honteusement face à des manifestants ultras, décidés à tout faire pour garder « leur » Algérie française (mauvaise comédie).

    Fin 1955, le gouvernement Edgar Faure provoque des élections législatives anticipées. Pour la première fois, la guerre d’Algérie, commencée depuis une année, va un temps être placée au cœur des débats politiques. Le secrétaire général du Parti socialiste SFIO, Guy Mollet, avance durant la campagne des formules plutôt vagues, minimales pour déboucher sur une condamnation d’une « guerre imbécile et sans issue ». Le Front républicain, qui regroupe socialistes et partisans de Mendès France, remporte ces élections, le 2 janvier 1956 (27,1 % des suffrages). Mais le PCF arrive bon second, avec un score de 25, 6 %. Sous-estimant gravement le fossé qui les séparait des autres forces de gauche, les communistes mettent en avant la simple constatation arithmétique que la gauche est majoritaire. Dès le 4 janvier, un titre barre la une de l’Humanité : « Vive le Front populaire ! »

    Les défenseurs de l’Algérie française 

     et leur haine du général Catroux 

    Le nouveau gouvernement est investi fin janvier. Il a comme chef Guy Mollet et compte dans ses rangs Pierre Mendès France et François Mitterrand. Mollet veut frapper un grand coup : pour montrer sa volonté de changer le cours de la politique menée jusque-là en Algérie, il remercie le gouverneur général, Soustelle, connu pour ses sympathies avec les activistes, et décide de mettre à sa place un ministre, destiné à résider en permanence sur le sol algérien. Son choix se porte sur le général Catroux. Ce dernier a une réputation – fondée – de libéralisme en matière coloniale. À ce titre, il peut apparaître comme un interlocuteur possible, à terme, pour les nationalistes algériens. Oui mais… cette même réputation vaut à Catroux une haine sans bornes de la part des plus acharnés défenseurs de l’Algérie française. Pour ceux-ci, il s’agit d’une déclaration de guerre : « Paris veut brader l’Algérie ! »

    Mollet décide d’un geste un peu théâtral : il viendra lui-même sur place. Le 6 février au matin, il arrive à Alger. Une manifestation de masse l’y attend. Les gerbes qu’il dépose au pied du monument aux morts sont jetées à terre, piétinées. Divers projectiles, dont quelques centaines de kilos de tomates, sont envoyés vers les officiels. Il s’en faut de peu que le cortège officiel ne soit encerclé, agressé. On sait aujourd’hui que cet accueil n’eut rien de spontané. Il avait été soigneusement organisé par des activistes algérois, mais aussi par des éléments factieux venus spécialement de métropole, le tout sous l’œil complaisant des forces (dites) de l’ordre et de certains officiers. Tout ce joli monde se retrouvera, cinq ans plus tard, pour fonder la sinistre OAS.

    Tout homme d’État digne de ce nom aurait immédiatement mis au pas ces factieux, décidé d’appliquer la politique – certes timide – choisie par la nation six semaines plus tôt. Mais Mollet n’avait nullement l’étoffe d’un homme politique d’envergure. Il capitula honteusement (et encore, le pire restait à venir) : Catroux passa à la trappe le soir même sans avoir eu le temps de s’expliquer. Mollet sortit de son carnet d’adresses le nom de son camarade de parti Robert Lacoste, qui avait l’immense avantage aux yeux des ultras de ne pas connaître l’Algérie. Lacoste fut d’ailleurs à la hauteur de leurs espérances : il couvrit ensuite de son autorité toutes les exactions, tortures, exécutions sommaires et napalmisations qui suivirent.

    Le toujours malicieux Canard enchaîné titra à cette occasion « La nuit du Catroux »… Oui, mais la vraie nuit du 4 août, celle de 1789, avait été une abolition des privilèges. Celle de 1956 eut comme résultat le renforcement de ceux de la communauté européenne aux dépens de l’immense majorité des « indigènes ». Aucun des acteurs n’oublia cet épisode, dans les années qui suivirent. Ni les ultras, qui venaient de dicter leur loi à Paris. Ni les patriotes algériens, qui eurent confirmation qu’ils ne pouvaient décidément compter que sur eux-mêmes pour parvenir à l’indépendance.

    Le lendemain, 7 février, l’Humanité ne ménagea pas ses reproches à Mollet. Le titre de une dénonça sa capitulation « devant les ultras ». Le 29 février, elle signifia à Mollet que les communistes n’accepteraient pas la « guerre à outrance ». Reste une question, lancinante depuis plus d’un demi-siècle : pourquoi, dans ces conditions, les députés communistes votèrent-ils en faveur des pouvoirs spéciaux, le 13 mars suivant ? 

    Repères : 

    2 janvier 1956. Le « Front républicain » obtient une courte majorité. Guy Mollet est nommé chef de gouvernement.

    6 février 1956. Journée des tomates à Alger. Mollet cède : il nomme Robert Lacoste gouverneur général.

    12 mars 1956. Mollet demande et obtient le vote des pouvoirs spéciaux : création d’une procédure de justice militaire de « traduction directe » sans instruction, légalisation des camps d’internement et pouvoirs de police donnés aux militaires.

    L’éditorial d’André Stil dans l’Humanité du 7 février 1956 

    « Alger a eu hier son 6 février. (...) Pourtant, la déclaration d’arrivée de Guy Mollet avait été plutôt en retrait par rapport à son discours d’investiture. Alors que, devant l’Assemblée, il avait reconnu la “personnalité algérienne”, ce qui n’était pas encore reconnaître le fait national algérien, le président du Conseil s’était borné hier à réaffirmer la volonté de paix de son gouvernement et son projet d’ouvrir la discussion en Algérie. Mais cela même, malgré cette intention “apaisante” de Guy Mollet, les ultras ne l’admettent pas. Tout pas en avant leur est insupportable… On regrettera d’autant plus que le gouvernement ait cru devoir céder à leurs menaces… la démission du général Catroux… est un recul avoué, contraire au vieux mot d’ordre républicain : on ne capitule pas devant l’émeute… » 

    « Il y aura 56 ans, demain, le 8 avril 1962, les Français et les Algériens apprenaient le résultat du référendum. C’était un « OUI » massif pour l’indépendance de l’Algérie Aujourd’hui je donne la plume à mes amis agriculteurs, anciens appelés ou rappelés de la sale guerre d’Algérie. »

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