• Guerre d'Algérie Mémoires parallèles “GUÉRIRONS-NOUS ?” suivi de la belle histoire "Nos pères ennemis"

    Guerre d'Algérie  Mémoires parallèles  “GUÉRIRONS-NOUS?”

    « La France autrefois, c’était un nom de pays, prenons garde que ce ne soit, en 1961, le nom d’une névrose », écrivait Jean-Paul Sartre dans la préface aux Damnés de la terre de Frantz Fanon. Il poursuivait son raisonnement par cette interrogation : «Guérirons-nous ?» Le philosophe avait raison de poser la question. C’est peu dire que, cinquante-cinq ans après, la guerre d’Algérie n’est pas encore entrée dans l’Histoire. Dès que l’on évoque ce sujet, les passions reviennent, à coups de comptabilités macabres, de stèles, d’invectives et d’anathèmes. Les camps s’affrontent ou s’ignorent. Si la guerre d’Algérie a dressé une barrière entre l’Algérie et la France encore plus infranchissable que la Méditerranée, celle des mémoires parallèles et du ressentiment, des volontés d’apaisement existent sur les deux rives.
    Il n’y a pas une mais des guerres d’Algérie. Un appelé, un officier parachutiste, un militant du MNA, un militant de la Fédération de France du FLN, un maquisard de l’ALN, un enfant algérien, un juif d’Algérie, un pied-noir rapatrié, un activiste de l’OAS, un harki racontent chacun une histoire différente. Et pourtant, il y a bien eu une seule guerre en Algérie. On ne l’appelle comme ça officiellement que depuis 1999. Et ce fut une « sale guerre ». Elle a opposé une poignée de nationalistes à l’Etat français, tous gouvernements confondus, sûr du rôle positif de la colonisation et empêtré dans une injonction contradictoire : répondre au souhait d’indépendance des Algériens dans un contexte mondial de décolonisation et gérer le destin du million d’Européens vivant dans le pays depuis fort longtemps. Quand commémorer la fin de la guerre d’Algérie ? Encore faut-il savoir quelle date choisir… Celle des accords d’Evian, le 18 mars 1962, paraîtrait raisonnable. Côté français et côté algérien, c’est celle du cessez-le-feu qui intervient le lendemain. Mais cette date ne marque pas malheureusement la fin des hostilités, et c’est bien le problème. Suivront la folie meurtrière de l’OAS, la crise du FLN qui est sans doute responsable de la terrible journée du 5 juillet 1962 à Oran, l’exode dramatique des pieds-noirs et le massacre honteux des harkis abandonnés par la métropole. Sans repentance et sans amnésie, force est de reconnaître qu’il n’y a pas d’équivalence de la violence qui renverrait dos à dos les deux adversaires. Le prix humain payé par l’Algérie pour son indépendance est dix fois plus élevé que celui que la France a consenti pour tenter de maintenir son pouvoir sur la colonie.

    Alors pouvons nous être utopiste et rêver que la guerre des mémoires fera place au temps de l’Histoire. Mais soyons patients, le temps de la guérison approche... la Paix des Mémoires aussi.

    Guerre d'Algérie  Mémoires parallèles  “GUÉRIRONS-NOUS?”

     

    Il n’y a pas une Mémoire mais des Mémoires de la guerre d’Algérie et autant d’histoires différentes, aujourd'hui nous en avons choisi une intitulée "Nos pères ennemis" Les auteurs de cette histoire ont choisi la Paix des Mémoires.

     

    Guerre d'Algérie  Mémoires parallèles  “GUÉRIRONS-NOUS?”

     

    Guerre d'Algérie  Mémoires parallèles  “GUÉRIRONS-NOUS?”

    France Info présente : "Nos pères ennemis", la guerre d'Algérie racontée à deux voix

    Clovis était sous-officier dans l'armée française. Ibrahim se battait pour l'indépendance de son pays. Tous deux sont morts pendant la Guerre d'Algérie. La fille de Clovis et le fils d'Ibrahim publient un récit à deux voix, plus de cinq décennies après la fin du conflit.

    Clovis Creste et Ibrahim Zerouki ont combattu dans la même région, mais dans deux camps opposés. Tous deux sont morts au milieu de la guerre : en 1958, le militaire français a été tué dans une embuscade ; l'année suivante, le combattant nationaliste a disparu et son corps n'a jamais été retrouvé.

    La fille du Français et le fils de l'Algérien écrivent ensemble cette histoire. Dans leur livre à deux voix, Nos pères ennemis (Privat), Hélène Erlingsen et Mohamed Zerouki plaident pour un rapprochement entre Français et Algériens, sans rien éluder des fractures qui subsistent.

     

    Guerre d'Algérie : histoire de deux

     

    pères ennemis "Leurs enfants ont su

     

    tourner la page et délivrent

     

    des messages de paix"

    L'un a été sous-officier pour l'armée française, l'autre a été combattant pour l'indépendance de l'Algérie. Plus de cinq décennies après, leurs enfants racontent leur histoire.

     3848967.jpg

    Alger, 16 mai 1958 Rassemblement (Européens et musulmans) pour l'Algérie française DALMAS-SIPA

     

    En 1990, Hélène Erlingsen-Creste, fille de Clovis, a l'impression de perdre son père pour la seconde fois. Elle assiste aux funérailles de son oncle paternel, Kléber, dont elle était très proche. Il s'est engagé dans la Légion à 15 ans en dissimulant son âge véritable et en endossant l'identité de son frère aîné, Clovis Creste. En voyant la fumée s'élever du crématoire où son oncle vient d'être incinéré, Hélène se dit que ces deux vies de militaires méritent de laisser des traces.

    Elle entreprend alors une longue enquête sur son père et sur les soldats des guerres coloniales. Journaliste à France 3 Toulouse, elle s'attèle pendant 17 ans à retrouver des témoignages, épluche les documents officiels, les rapports de gendarmerie, les journaux d'époque, les archives. Elle se rend en Algérie en 1992 puis au Vietnam en 1995. Hélène voulait parler à ceux qui avaient côtoyé son père ou ses pairs, cherchant à dégager, selon ses mots "le négatif et le positif" d'où émergerait une "photo en trois dimensions". Ce travail d'historienne débouche sur une thèse soutenue à l'IEP de Toulouse, puis sur un livre : "Soldats perdus: de l'Indochine à l'Algérie, dans la tourmente des guerres coloniales", paru aux Editions Bayard, en 2007.

    A l'approche du cinquantenaire de l'indépendance de l'Algérie, Hélène se met en tête, dans un esprit de réconciliation, de trouver son pendant algérien: une fille de chahib, mort lui aussi au combat. C'est un fils qui se présentera, Mohamed Zerouki. Ensemble ils bâtiront ce projet de livre à quatre mains. Un livre de paix, sans concession, écrit dans un esprit d'empathie et de respect réciproque. Chaque mot est pesé pour ne pas mettre l'un ou l'autre dans l'embarras.

    "Des gens qui se ressemblaient"

    Hélène et Mohamed partagent leur histoire. Se répondant l'un l'autre ils mettent en perspective le parcours de leurs pères, deux hommes intègres et courageux. Confrontant leurs points de vue ils appréhendent ce que fût cette expérience traumatisante à l'aune de leurs propres souvenirs d'enfant. Ils ont en commun la perte du père, mais avec une différence notoire : Hélène avait 6 ans quand elle a vu le sien pour la dernière fois, Mohamed en avait 16. Il était déjà un adolescent ayant combattu aux côtés des siens. Les pères étaient tous deux d'origine rurale et modeste. Leurs enfants diront d'eux: "Ils étaient des petits pauvres. Dans cette guerre, on a fait combattre des gens qui se ressemblaient".

    Clovis Creste, fils de paysans et sous-officier, né le 28 Février 1927 à Bon-Encontre, près d'Agen, a été tué le 26 Octobre 1958 à l'âge de 31 ans. Ibrahim Zerouki, fils de paysans également, né près de Damous, le 13 Avril 1915, a disparu en 1959, à 44 ans. Clovis, orphelin de père arrête l'école à 10 ans. Il sait à peine lire, écrire et compter. Résistant à 17 ans, il s'enrôle dans l'armée où il contribue à la libération de Strasbourg en janvier 1945. Promu caporal, on l'incorpore à l'infanterie coloniale.

    Il participe à deux campagnes en Indochine, avant de se marier en 1951. Hélène nait au Sénégal en 1952 où la famille passe quelques années paisibles. Mais l'Empire français craque de toutes parts. En 1956, Clovis débarque en Algérie où la guerre, qui ne dit pas encore son nom, a éclaté deux ans auparavant.

    "Indigènes"

    A cette époque, Ibrahim, lui, combat déjà pour la libération de son pays. Son engagement politique date des massacres de Sétif et de Kherrata, le 8 Mai 1945. Son fils, Mohamed, le dépeint ainsi: "C'était un très bel homme qui, bien que paysan, avait toujours su s'habiller "classe". Dans le douar, c'était celui qui avait les plus belles djellabas. Il n'était pas si grand, mais assez costaud. Un montagnard, un Berbère". Avant d'être dans la clandestinité, il a été ouvrier agricole et marin- pêcheur. De son mariage avec la fille d'un ancien combattant de la guerre de 14-18, naît Mohamed, à Bou-Ismaïl, en 1943.

    Ibrahim transmet à son fils les valeurs du cœur et le respect des autres. Dans un pays où les Algériens vivaient l'humiliation et l'injustice, il rêvait d'une nation fraternelle et indépendante. C'est pour elle qu'il va se battre. Pour la dignité et l'égalité. Il deviendra commissaire politique au FLN. Mohamed Zerouki écrit des pages abruptes et lucides sur les conditions de vie des "indigènes", expression qui lui "arrache le cœur".

    Mépris, différences de salaires, de traitement avec les Français sont le lot quotidien. Très tôt, Ibrahim emmène son fils avec lui sur les chemins de la lutte. Mohamed sert d'agent de liaison. Il a vu. Il a combattu aux côtés de son père. Il nous raconte son apprentissage dans le maquis, auprès des moudjahidines et la dureté de la vie dans la clandestinité. "Mes souvenirs personnels sont des faits et des gestes gravés dans ma mémoire. Lorsque j'en parle, ce sont des images qui défilent devant moi", dit-il.

    Mohamed Zerouki nous livre dans ce livre des pages poignantes sur ces hommes qui menaient la guérilla face à une armée régulière. Des paysans montagnards qui ayant une parfaite connaissance du terrain défiaient l'artillerie française.

    "J'en ai marre de cette sale vie"

    De leur côté, Hélène et sa mère rejoignent le sous-officier Creste , en août 1957. Clovis a obtenu une place dans une Section administrative spécialisée, seule condition pour faire venir sa famille. La SAS n'est pas une unité combattante. C'est une petite cellule d'une trentaine de civils (instituteurs, infirmiers, assistantes sociales, quelques militaires), chargés d'aider les populations. Un soldat français dans un régiment risquait moins sa vie que dans une SAS où il était très exposé. Clovis s'est mis en danger pour ne plus être séparé des siens.

    Pour comprendre le quotidien de son père en mission, Hélène consulte les journaux de marche où sont consignés les événements qui touchent la vie du régiment. Les carnets de son père et les lettres envoyées à sa femme, Francine, permettent de deviner l'état d'esprit du soldat. Clovis y dit sa lassitude et sa hâte d'en finir avec cette guerre."J'en ai marre de cette sale vie" ou encore "Vive la quille" ou "triste journée". Propos déjà excessifs, pour un "taiseux" qui n'aime pas laisser paraître ses sentiments.

    "La boucle est bouclée"

    Clovis et Ibrahim ont fait la guerre dans la même région de l'Ouarsenis, à l'ouest d'Alger. On ne sait pas qui a tué Clovis dans une embuscade à Tacheta. Il a été abandonné agonisant, sans personne pour lui tenir la main. On ne connaît pas les circonstances de la mort d'Ibrahim, qualifiée de disparition, on ne sait pas où il est enterré.

    Deux jours après le décès de Clovis, Hélène et sa mère, inconsolable, retournent à Agen. Mohamed quant à lui est un adolescent perdu. "Je n'avais plus de point de repères. Il me fallait construire ma route, devenir un homme. C'est ce que j'ai fait avec beaucoup de difficultés, car je n'avais personne pour m'aider", nous dit-il. Plus tard, en 1968, il rejoint un oncle en France. Il entreprend des études dans le domaine socio-éducatif et culturel et s'occupe de maisons de jeunes.

    Hélène dit que "la boucle est bouclée et bien bouclée". Ensemble, avec Mohamed, ils ont posé leur fardeau. Leur souhait : que les jeunes générations ne fassent plus les frais de cette douloureuse histoire coloniale.

    "Nos pères ennemis. Morts pour la France et l'Algérie. 1958-1959" d'Hélène Erlingsen Creste et Mohamed Zerouki. Editions Privat, 2012.


    Hélène Erlingsen, Mohamed Zerouki ; "Nos pères... par franceinfo


    « Jeunes Français dans la guerre en Algérie : avoir 20 ans dans les AurèsAlgérie 1954-1962, la guerre de mon père »

  • Commentaires

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :