-
Guy Bedos est décédé le 28 mai 2020 à l'âge de 85 ans
SOUVENIR
Guy Bedos est décédé le 28 mai 2020
à l'âge de 85 ans
« Ce soir je suis triste Guy, tu viens de nous quitter il y a quelques heures, tu étais pieds-noirs, mais un pieds-noirs comme je les aime, anti racistes, tout le contraire de ces nostalgériques extrémistes qui crachent leur haine islamophobe sur les chaines TV plusieurs jours chaque semaine.
Tu es né à Alger est arrivé en France à l’adolescence, tu étais célèbre sur les deux rives de la Méditerranée et tu es connu pour ton amour indéfectible de l’Algérie. Un jour lorsqu’on t’a posé cette question : Une date mémorielle comme le 19 mars 1962 permet-elle d'apaiser les «souffrances» et rassembler les divers protagonistes de l'histoire partagée ? Tu as répondu : Les actes sont plus importants que les dates. Or, il y a de nombreuses choses qui me choquent en France, notamment en ce qui concerne l'immigration. Beaucoup d'Algériens veulent venir en France et sont très mal accueillis voire même pas du tout. Ce n'est pas à l'honneur de la France. Ces êtres humains n'ont commis d'autres crimes que de naitre là où ils sont nés et ils sont bien plus importants que des dates mémorielles.
J'ai la guerre en horreur, et celle-ci en particulier. Je la porte comme une sorte de culpabilité parce que je suis né Français d'origine douteuse mais Français, et je trimbale une double honte, vis-à-vis de mes jeunes copains qui ont été enrôlés dans l'armée française, qui y ont laissé la peau ou ont participé à des saloperies, et vis-à-vis des milliers de morts dans les deux camps. Je suis sensible à la souffrance des jeunes combattants enrôlés de force, à celle des Pieds-Noirs qui n'avaient pas mérité de choisir entre la valise et le cercueil, à celles des Algériens, tous maltraités par l'Histoire… qui était il faut le reconnaître une histoire coloniale. A cette autre question : Pensez-vous que la France soit plus touchée que ne l'est l'Algérie par ces questions mémorielles ?
Tu as répondu : J'ai le sentiment, chez les Algériens que j'ai rencontrés, d'une envie d'effacer les cicatrices, envie d'une réconciliation, ce qui n'empêche pas les douleurs intimes de s'exprimer. J'ai ressenti également, de façon très forte, une mémoire encore vive de la langue française dont les Algériens sont orphelins. Quant à la France, je constate la montée du racisme et le gouvernement français a un rôle à jouer pour y mettre un frein et améliorer la relation franco-algérienne. »Ce soir je suis triste Guy et je présente à toute ta famille mes plus sincères condoléances. »
Michel Dandelot
Guy Bedos : « En Algérie on m’a dit bienvenue »
Cet article a été mis en ligne en 2016
C’est un jeune homme de 82 ans (en 2016). Il est né dans l’Algérie française, n’a jamais vécu la guerre d’indépendance et revendique tout haut son «algérianité».
-Quand vous évoquez l’Algérie, vous n’en parlez pas avec nostalgie comme peuvent le faire certains artistes...
Sachez que les idées que j’ai actuellement, je les avais déjà à l’âge de 15 ans. J’ai eu de la chance, étant gosse, d’avoir rencontré une femme admirable du côté de Kouba qui m’a appris à écrire, à lire, à compter et les droits de l’homme. J’avais 7 ans. Elle s’appelait Finouche. Puis la première fois où j’ai dû résister face à un gouvernement que je ne supportais pas, ce fut face au mari de ma mère, mon beau-père, raciste et antisémite, un ancien ouvrier devenu patron, et qui tenait une scierie. Je me souviens d’un de ses employés, se coupant malencontreusement deux doigts. Je vois ça, affolé, ne sachant plus où me mettre. Je vois aussi son contremaître et le patron, mon beau-père, le sermonner. Pas un seul mot de compassion.
Tout cela fut un grand service que m’ont rendu mes parents et qui m’aidèrent, malgré eux, à prendre position. Ma mère, par exemple, était la fille d’un type bien, proviseur du lycée où Camus avait fait une partie de ses études. J’entendais des phrases sortir de la bouche de ma mère et/ou de mon beau-père qui furent fondatrices pour mon initiation personnelle. Je me souviens d’un affrontement entre Juifs et Arabes d’Algérie, et de ma mère nous dire : «Qu’ils s’entretuent, cela fera toujours ça de moins.» Plus tard, quand je suis devenu comédien, je me suis servi de ce métier pour effectuer mon premier engagement, la lutte contre le racisme quel qu’il soit. Et c’est devenu obsessionnel chez moi !
-Depuis que vous êtes parti de votre pays natal, il y a eu des retours ?
Pour la mort de mon père, je suis revenu en Algérie. Je devais avoir 20 et quelques années, c’était pendant la guerre. Je me souviens d’un acte d’héroïsme teinté d’humour, me baladant dans La Casbah, vêtu d’une petite chemise rose, cherchant à acheter un kilo de tomates. J’étais tout seul ! C’était un défi, car je voulais prouver à mon entourage que ce n’était pas une fatalité de se faire assassiner par les Arabes si on allait dans leur quartier. J’avais besoin d’accomplir mon acte de bravoure, car je me promenais avec un sentiment de honte vis-à-vis de ceux de ma génération. Puis, je suis retourné en Algérie dans les années 1980 pour faire un film avec Mireille Dumas, un documentaire dans lequel je revenais dans ma région avec mon fils, à Annaba (Le Passé retrouvé : Guy Bedos en Algérie, 1988). Je voulais montrer à mon enfant d’où je venais, un témoignage de ce que j’avais vécu. Les gens étaient contents de me voir et c’était réciproque. Quand je suis arrivé à Constantine, je me suis couché et j’ai embrassé la terre. Je suis profondément natif d’Algérie.
-Et si demain, vous deviez revenir ?
Si demain je vais sur Alger, je crains qu’un envoyé du gouvernement vienne me chercher, qu’on me «récupère». Je ne veux pas d’une photo officielle, plutôt officieuse avec le peuple. Sachez aussi que mon plus vieil ami d’enfance est un avocat algérien de Annaba et parfois, je crains pour sa vie compte tenu du fait qu’il n’aime pas l’Algérie d’aujourd’hui et qu’il le fait savoir. Très souvent, il vient me voir et me ramène des nouvelles du pays. Quand je me souviens de lui, je pense au fait qu’il était le seul Arabe de mon école et c’est avec lui que je me suis lié à vie. Je me revendique comme Algérien. Ma légion d’honneur, c’est quand un chauffeur de taxi algérien m’a dit un jour : «Vous êtes comme moi, Maghrébin» et je l’ai remercié. Je ne suis pas dans la mélancolie d’une Algérie française, je suis beaucoup plus proche d’un Camus que d’Enrico Macias. Je prends le risque de déplaire en disant ça, mais je ne changerai rien d’un iota. J’ai toujours agi ainsi, et ce, depuis mon enfance. Je n’ai pas encore tué l’enfant qui est en moi, malgré mon âge avancé. Je suis fier de porter mon enfance algérienne et si l’Algérie avait été différente de ce qu’elle est devenue, ce ne serait pas en Corse que j’aurais eu une maison, mais à Tipasa, près de mon ami Albert Camus. Mais l’histoire en a décidé autrement. Je suis un Méditerranéen inguérissable.
-Lorsque la guerre de Libération éclate en 1954, vous vous trouvez déjà à Paris. Que se passe-t-il dans votre vie ? Comment vivez-vous cette période historiquement forte ?
D’abord, quand je suis venu sur Paris, j’étais encore adolescent et je peux vous assurer que cela n’a pas été facile. On parle toujours du ciel bleu d’Algérie… Moi, je suis fâché avec celui de Paris. Il m’arrive encore, durant les hivers parisiens, de me retourner chez moi, quand je prends mon petit-déjeuner, pour ne pas à subir ce truc grisâtre. Quand la guerre éclate, je suis mobilisé. J’ai été incarcéré au Fort de Vincennes où j’ai effectué mes classes. A l’époque, j’étais déjà marié et père de famille. Et je fus finalement réformé pour maladie mentale. Je me souviens d’une conversation entre deux médecins, l’un voulant me jeter au gnouf (prison militaire), l’autre insistant sur le fait qu’il fallait me libérer au cas où j’aurais contaminé mes camarades. J’étais comédien et je devenais une maladie. J’ai le soupçon de n’avoir pas vraiment triché, surtout quand je découvre l’un des adages de cet endroit qui disait : «La discipline est la principale force des Armées».
Je n’obéis à personne, ni à un homme politique ni même à un metteur en scène. Je veux être séduit. Je suis un réfractaire même si je suis très vivable ! Je lutte contre tout esprit de hiérarchie. Tout cela me ramène à mon beau-père. Je lui dois beaucoup, même de m’avoir fait échapper à la véritable explosion qui s’est traduite par la guerre d’Algérie. J’étais très heureux d’avoir échappé à cette guerre, car je ne voulais pas me retrouver dans la position de tueur. Le fait de mourir n’était rien comparé à celui d’enlever la vie. Ma mort ? Mektoub ! Je me suis construit finalement à l’inverse de ce à quoi j’avais assisté, de ce que j’avais subi. Longtemps, j’ai pensé à tous ces p’tit gars qui effectuaient leur classe et qui sont partis en Algérie. Ils n’avaient aucun lien avec ce pays, ils devaient juste défendre l'Algérie encore française.
-Ce que vous dites renvoie à ce film de Jacques Rozier, Adieu Philippine, qui mettait en scène un futur appelé avant son départ pour Alger...Exactement ! Tous ces gens arrivaient sur Alger, le port était beau et puis ensuite, ce fut l’enfer… des deux côtés. Cette guerre aura été une véritable saloperie ! A Paris, la vie n’était pas si simple compte tenu que j’avais été réfractaire à cette guerre. On m’en a beaucoup voulu à l’époque. Finalement, les Occidentaux en général n’ont pas de leçon à donner aux Orientaux.
-Aujourd’hui, l’Algérie fête le cinquantième anniversaire de son indépendance. Vous avez toujours suivi ce qui s’ést déroulé depuis 1962 ?Toujours ! Même pendant les années 1990. Je me souviens d’amis algériens exilés qui ne voulaient plus revenir en Algérie. J’ai suivi tout ça. Puis, quand les différentes révolutions sont arrivées, les fameux «printemps arabes», j’ai tout de suite songé à l’Algérie et à ce qu’elle pouvait faire. Après en avoir discuté avec mon entourage, car il est primordial pour moi de m’informer, j’en ai déduit que 1988 était encore ancré dans les mémoires et surtout il m’était difficile d’identifier contre qui les Algériens devaient se révolter. Contre qui ? En Tunisie, il y avait Ben Ali, en Libye, El Gueddafi, en Egypte, Moubarak… En Algérie, j’ai l’impression que c’est encore confus ! Je ne l’invente pas, des amis algériens me le disent ! En somme, je reste en deuil de mon pays natal !
"En Algérie, on m'a dit bienvenue"
Vidéo. La déclaration d’amour de Guy Bedos« Marche à Toulouse en hommage aux victimes du massacre colonial d’Etat du 17 octobre 1961 Paris : l’avenue Bugeaud, figure de la colonisation algérienne rebaptisée Hubert-Germain ! »
-
Commentaires