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JUSTE LE MEPRIS…
JUSTE LE MEPRIS…
Les EHPAD et leurs résidents toujours confinés, grands oubliés des déclarations du Premier Ministre et du Ministre de la Santé lors de la conférence de presse du 28 mai sur la phase 2 du déconfinement...
Hier après-midi, à 17 heures, de nombreux Français étaient suspendus aux déclarations d’Edouard Philippe, qui devait annoncer un certain nombre de mesures encadrant la phase 2 du déconfinement en cours. Ces annonces étaient décisives, voire primordiales pour beaucoup : les restaurateurs et patrons de bars, au bord de l’asphyxie pour certains ; les collégiens, lycéens et professeurs, attendant de savoir s’ils retrouveraient leur établissement avant la fin de l’année scolaire ; les gérants de cinémas, de théâtres, de salles de concert, anxieux de savoir quand et comment ils pourraient rouvrir leurs portes au public ; les comédiens, musiciens, metteurs en scènes, régisseurs, et tous ceux dont les métiers sont liés au monde du spectacle ; ceux dont la famille ou les proches habitent à plus de 100 kms et qu’ils n’ont pas vus depuis 3 mois ; et enfin tous les impatients de planifier leurs vacances d’été… Ça faisait du monde devant le poste ! Dans le lot, il y aura les satisfaits, les soulagés, les déçus, ceux qui auraient aimé que le gouvernement aille plus loin ou ceux qui pensent que ça va trop vite… Bref, tout le monde, avec sa palette d’avis, de désirs, de frustrations…
« La liberté va redevenir la règle, et l’interdiction l’exception » a insisté à deux reprises le Premier Ministre. Mais il y a pourtant 600.000 personnes pour qui l’interdiction reste la règle, 600.000 personnes qui, si elles ont été déçues ou frustrées ou angoissées par cette conférence de presse, ne l’auront pas été à cause des déclarations faites à leur égard, mais bien au contraire parce qu’elles ont été complètement oubliées du discours du Premier Ministre, comme des explications détaillées du Ministre de la Santé quand il a pris le relai… Pas un mot ! Pas une allusion ! Pas un espoir ou un message de soutien pour ces 600.000 personnes qui sont confinées strictement, sans aucune possibilité de sortir, non pas depuis le 16 mars mais depuis le 11 ! Des gens dont la situation est proche de l’incarcération, sans être coupable d’autre chose que d’être vieux et dépendants. Je veux parler de la population des résidents d’EHPAD. Ce sont eux qui ont payé le plus lourd tribu à cette épidémie avec le plus grand nombre de morts liés au COVID-19 (1) , et ce sont eux que l’on continue de confiner sans leur demander leur avis, ni à eux ni à leur famille, parce que l’on considère que les premiers ne sont pas en capacité de le donner, et que les seconds n’en ont plus la responsabilité.
Le pire, c’est qu’à l’oubli coupable des ministres concernés a succédé celui des journalistes présents à cette conférence de presse. Ils ont posé des questions sur les déplacements à l’étranger, sur les terrasses des cafés, sur les mariages, sur le foot !... Mais aucune sur les EHPAD et le sort de leurs 600.000 résidents…
J’ai un père, diagnostiqué Alzheimer, qui réside dans un EHPAD, qui a été confiné, qui est tombé malade du COVID-19, qui a failli en mourir, qu’on a refusé d’hospitaliser car il était trop vieux et présentait un "taux de morbidité" trop important (comment peut-on inventer des termes aussi barbares pour parler d’êtres humains ?), je pourrais écrire des pages et des pages sur le traitement infligé aux personnes âgées en les confinant dans ces établissements, en les privant du droit essentiel de voir leurs proches, sur ceux qui sont morts sans avoir pu revoir leur famille une dernière fois, des pages et des pages… mais rien ne serait aussi fort, finalement, aussi éloquent que cet oubli dans le discours d’Edouard Philippe, ce manque, ce vide, ce silence qui résonne comme 600.000 cris de rage, de douleur et d’angoisse (sans parler des cris des familles), ce silence qui au fond ne dit qu’une chose :
Juste le mépris !...
Je ne dis pas qu’il fallait annoncer la réouverture des EHPAD dès mardi prochain sans préavis ni précaution. Il est certainement trop tôt. Du moins est-on en droit de le penser, eut égard à la fragilité de cette population vis-à-vis du virus et des incertitudes toujours planantes sur un possible rebond… Mais on peut aussi penser qu’il est nécessaire de tout mettre en œuvre pour permettre à ces résidents de retrouver leurs proches le plus vite possible, de façon beaucoup plus fréquente que les visites sporadiques permises à ce jour, parce que c’est pour certains d’entre eux leur seule raison de vivre…
On peut penser et dire ce que l’on veut en vérité, on peut, et l’on doit en débattre… Mais la seule chose que l’on n’a pas le droit de faire, c’est d’oublier ces personnes à leur sort, de ne pas en parler, de ne pas LEUR parler quand on s’adresse à la Nation toute entière, de les laisser avec :
Juste le mépris !...
Il eut été si simple de dire : « Nous pensons aux résidents et résidentes de tous les EHPAD, si seuls et si touchés depuis le 11 mars, nous pensons à toutes les souffrances qu’ils ont endurées, nous pensons à tous les morts qu’ils ont dû subir… Nous pensons qu’il est prématuré de rouvrir les EHPAD au vu de la situation sanitaire, mais nous ne les oublions pas, et nous promettons de le faire le plus rapidement possible, dès que le situation le permettra »…
Il eut été si simple… Mais non…
Juste le mépris !...
Il est vrai qu’il était plus urgent de rassurer les commerces et les professionnels du tourisme, car la crise économique est là et qu’il faut relancer la machine au plus vite ! Les résidents des EHPAD ne travaillent plus, eux, depuis longtemps, il n’y a donc pas urgence. Mieux, ils ne votent plus, pour beaucoup d’entre eux, il n’y a donc pas urgence. Et puis il n’y a pas de risque qu’ils descendent manifester leur colère dans la rue, pouvant à peine marcher pour beaucoup d’entre eux… Non définitivement, il n’y avait pas urgence… Pourtant un mot, juste un mot, une allusion, un message de soutien ou d’espoir, était-ce tant demander ?...
Juste le mépris !...
Hier après-midi, à l’heure où Edouard Philippe parlait à la France, je parlais à mon père, via une plate-forme de vidéoconférence mise en place par l’EHPAD où il est résident. Je lui parlais, mais lui ne me parlait pas. Malgré mes efforts, et ceux de l’animatrice qui manipulait la tablette et essayait de le stimuler, malgré mes filles qu’il adore et qui lui faisaient « coucou » dans l’écran, il n’a pas voulu me parler : Il n’avait rien à dire à un fils qui n’était pas venu le voir depuis 1 mois et demi, depuis le jour où le médecin de l’EHPAD m’a prié au téléphone de venir au plus vite si je voulais le voir une dernière fois vivant !... Depuis il a lutté, il a guéri, il a récupéré. Depuis on ne m’a pas laissé le revoir (2). Et aujourd’hui qu’il va mieux il me regarde sans comprendre. Pas avec mépris, non. Mais avec tristesse… A la fin de l’entretien, j’ai cru voir les larmes poindre aux coins de ses yeux fuyants. J’ai écourté l’appel pour ne pas lui faire subir ça en plus du reste…
Juste la tristesse !...
Pantin, le 28 mai 2020
(1) Officiellement, plus de 10.000 décès en EHPAD et EMS, dus au Coronavirus, sur 28.600 morts au total, soit 36% des décès pour moins de 1% de la population !
(2) Seule ma mère a pu bénéficier d’une visite en 1 mois.
SOURCE : https://blogs.mediapart.fr/fabrice-castanier/blog/290520/juste-le-mepris
« Alger a rappelé son ambassadeur à Paris"Je donne la parole aux Algériens qui critiquent les documentaires et débat diffusés sur deux chaines publiques françaises" »
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Commentaires
Eh oui les résidents des EHPAD ne sont pas intéressant s en termes de rentabilité du capital. Ils échappent à la logique du profit qui est la loi fondamentale de notre société. Comme dit Padena, l'humoriste occitan, dans un de ses sketchs "Putas de vielhs !"