• L’Indépendance au son des derboukas

    L’Indépendance au son des derboukas

    Martine Timsit, souvenirs et engagements intacts. PHOTO ROBERT TERZIAN

    Née d’un père juif algérien et d’une mère parisienne, Martine Timsit grandit à Bône, l’actuelle Annaba. À contre-courant, elle choisit en 1962 de participer avec son mari à la construction d’une Algérie nouvelle.

    « Il y a une crypte dans l’âme, où murmurent les fantômes. » Si Martine Timsit cite spontanément Boris Cyrulnik pour évoquer ses souvenirs enfouis, c’est qu’elle est elle-même psychiatre. Autour d’une tasse de café et de quelques dattes -d’Algérie forcément- elle accepte de revenir sur sa vie mouvementée, étroitement liée au pays qui l’a vue grandir.

    Ses parents, mariés chacun de leur côté, se rencontrent à Bône, l’actuelle Annaba, une ville de l’Est Algérien où est né un certain maréchal Juin. Son père, commerçant juif algérien, a 20 ans de plus que sa mère, une parisienne. C’est le coup de foudre. Leur histoire fait désordre et ils décident de s’installer à Paris où naît Martine en 1937, petite dernière d’une fratrie qui compte deux garçons. Dès l’année suivante, les accords de Munich sont signés. « Mon père a tout de suite senti le vent mauvais », rapporte-t-elle. Retour immédiat de la famille à Bône. Mais à la fin 1940, le décret Crémieux qui donnait la nationalité française aux juifs algériens est aboli par Vichy. « Mon père s’est battu comme un beau diable, il a même intenté un procès à l’État français, mais rien n’y a fait », témoigne Martine Timsit. Les enfants juifs sont exclus de l’école et le commerce de son père, une bijouterie vendant également des objets précieux, est placé sous la tutelle d’un administrateur temporaire. Un coup dur.

    « J’étais si naïve » 

    « Beaucoup de pieds-noirs de Bône étaient d’origine italienne. En 40 certains sont allés acheter à ma mère des coupes pour trinquer au champagne après la prise de Paris. Nous n’en parlions jamais. Il y a des paroles gelées, des temps cristallisés », confie-t-elle. Une institutrice juive interdite d’exercer vient alors faire la classe à ses grands frères. « J’ai appris mes déclinaisons latines avec eux avant d’en avoir l’âge », se souvient-elle avec une pointe de fierté.

    Les troupes américaines libèrent Bône en 1942 mais n’abolissent pas les mesures antisémites de Vichy, le décret Crémieux ne sera rétabli qu’en octobre 1943 par le comité français de Libération nationale.

    De cette période trouble, Martine Timsit se rappelle surtout les bombardements « mon père avait fait creuser un abri » et les longues journées passées sur la plage « à jouer avec des petits arabes du quartier. On avait un pneu de camion en guise de bouée ». La mère de l’un d’entre eux viendra après guerre faire la lessive de la famille. « Entre nous il y avait plus un clivage de classe que de race. Moi j’étais une fille de riches mais je me suis rendue compte il n’y a pas si longtemps que la langue maternelle de mon père, c’était l’arabe », souligne-t-elle.

    La Libération de la France arrive comme « un immense soulagement », la petite Martine intègre enfin l’école et accomplit une brillante scolarité. Dans le même temps, elle ressent de plus en plus péniblement la distorsion entre la France des droits de l’Homme exaltée dans les livres et la réalité vécue. Son journal intime commencé à l’époque garde la trace de ce trouble.

    Elle rêve de devenir médecin mais commence des études de philosophie à Paris en 1954, « sans rien m’interdire, mon père estimait que c’était un métier d’homme ». Difficile pourtant de réprimer sa vocation : un an plus tard, c’est en médecine qu’elle s’inscrit.

    La guerre s’installe en Algérie. À Paris, l’Union générale des étudiants musulmans algériens (Ugéma) organise une première réunion. Martine Timsit s’y rend. Lorsque la colonisation est vilipendée, elle lève la main. « Je leur ai dit : "ça n’est pas vrai, les Français ont asséché le lac de Fetzara, c’est un bien : il y avait plein de moustiques". J’étais si naïve », rit-elle aujourd’hui. Renvoyée à l’histoire destructrice de la conquête, elle comprend par ses lectures à la bibliothèque Sainte-Geneviève, « les mensonges » qu’on lui avait appris. C’est l’électrochoc.

    Avec une poignée d’amis, elle fonde « l’union des étudiants algériens d’origine européenne ». « Nous étions pour une Algérie indépendante, multiculturelle, plurielle », se remémore-t-elle.

    Plus le conflit s’exacerbe, plus le nationalisme algérien se fait étroit. Mohamed Khémisti, un dirigeant de l’Ugéma qui deviendra le ministre des Affaires étrangères du premier gouvernement algérien, lui dit un jour : « l’Algérie sera arabe et musulmane ». Une phrase qui claque comme une porte au nez. « Je n’en ai pas tenu compte. Le processus de déni est très puissant », analyse celle qui deviendra psychiatre.

    En 1960, de Gaulle libère des prisonniers politiques. Parmi eux, Meyer Timsit,un médecin membre du Parti communiste algérien (PCA), frère de Daniel Timsit, également détenu et dont les carnets de prison témoignent de la dureté de l’époque.

    Meyer et Martine se plaisent, ils se marient et participent en 1961 à la fondation du centre de santé mutualiste de Port-Saint-Louis-du-Rhône. Leur premier enfant arrive, ils le prénomment Youri. Un clin d’oeil au premier homme dans l’espace.

    Lorsqu’au printemps 1962, entre le cessez-le-feu et l’Indépendance, les pieds-noirs quittent l’Algérie en masse, les Timsit font « le chemin inverse ». Le besoin de médecins est criant, ils n’hésitent pas un instant. Arrivés à l’hôpital El Kettar d’Alger, ils vivent la période de terreur imposée par les ultras. « L’OAS tuait tout le temps, elle tuait au faciès et en pleine rue », se remémore Martine Timsit avant d’évoquer « ce patient mélancolique qui cherchait absolument à mourir. Il s’est présenté place des trois horloges à Bab El Oued, fief de l’OAS mais lui, ils ne l’ont pas tué ».

    La nationalité algérienne 

    Vient l’Indépendance. « Depuis l’hôpital nous voyions un camion avec un drapeau algérien arriver dans le bas d’Alger. Puis deux, puis des centaines qui convergeaient de tout le pays. De toutes parts s’élevait le son des derboukas. Nous sommes montés sur les camions, nous avons crié "tahia El Djazaïr !" (vive l’Algérie ! ndlr) Ce fut trois jours inoubliables », rapporte-t-elle avec émotion.

    Martine Timsit et son mari obtiennent la nationalité algérienne « il a fallu batailler car en théorie il fallait être musulman » et s’investissent sans compter dans une clinique psychiatrique nationalisée baptisée Drid Hocine du nom d’un infirmier abattu par l’OAS. Les patients affluent des campagnes et jusqu’en décembre 1962, ils ne sont pas payés. « C’était une période très dure mais nous avons vécu le bonheur pendant quelques mois de ne pas avoir d’État », estime la psychiatre.

    Très vite cependant les espoirs que placent les Timsit dans l’Algérie nouvelle se fissurent. En juin 1965 le couple est à Paris où Martine subit une opération avant de donner naissance à son second fils David quand a lieu le coup d’État de Boumediène. « C’est fini », Henri Alleg directeur d’Alger républicain les dissuade de rentrer.

    Convaincus que le peuple algérien ne supportera pas longtemps la tutelle de l’armée, les Timsit décident d’aller temporairement parfaire leurs connaissances médicales en Belgique. « Nous y sommes en fait restés 31 ans et les militaires sont toujours aux commandes en Algérie ».

    Aucune amertume chez Martine Timsit mais une réelle déception. « J’y suis retournée quelques fois mais la situation des femmes et du monde de la culture me mettent hors de moi, nous voulions faire d’Alger le phare de l’Afrique », soupire-t-elle.

    Depuis sa retraite elle a retrouvé l’azur méditerranéen dans le Var et parle avec douceur de ses cinq petits-enfants.

    Léo Purguette

    SOURCE : http://www.lamarseillaise.fr/flux-rss-la-marseillaise/a-la-une/30794-l-independance-au-son-des-derboukas

     

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