• La manifestation des femmes algériennes du 20 octobre 1961 *** « On nous avait pas tout dit »

     

     

    Soixante-douze heures ont passé depuis la commémoration du 17 octobre 1961, la première de l’ère Macron. Il y a cinq ans, au même moment de son mandat, le président Hollande avait rendu hommage à la mémoire des manifestants algériens tués à Paris. Un geste fort, puisque c’était la première fois qu’un président français reconnaissait que des Algériens avaient été victimes de la répression policière.

    Un geste fort mais quand même insuffisant… 

    « Le 17 octobre 1961, des Algériens qui manifestaient pour le droit à l’indépendance ont été tués lors d’une sanglante répression, avait indiqué le président de la République il y a cinq ans. La République reconnaît avec lucidité ces faits. Cinquante et un ans après cette tragédie, je rends hommage à la mémoire des victimes. » 

    En campagne, et alors qu’il visait l’Elysée, Emmanuel Macron avait, lui, promis des « des actes forts sur cette période de notre histoire. » De passage en Algérie, il avait déjà fait un premier pas en admettant que la colonisation française était un « crime contre l’humanité », puis faisait un pas en arrière sous la pression de la droite et de l’extrême droite notamment. 

    Si François Hollande avait fait un premier pas en 2011, Emmanuel Macron sera, de son côté, resté bien silencieux. Alors qu’on attendait un message de la part du président français… rien ! Le président de la République En Marche n’a pas dénoncé le « crime » commis par l’Etat français, pas plus qu’il n’a dénoncé la « répression sanglante. »

    L’Elysée a quand même laissé comprendre qu’il y aurait bien des « actes forts » mais pas maintenant et pas dans la précipitation ». Alors nous y serons attentifs… et attendant nous continuerons à rendre hommage à nos amis algériens assassinés par la police de Papon, de Gaulle et en définitive de la France coloniale le 17 octobre 1961…et nous avons une pensée pour toutes ces femmes algériennes qui ont manifesté trois jours après le 20 octobre 1961, une date encore plus occultée que celle du 17 octobre 1961 :

    « On nous avait pas

     tout dit » 

    La manifestation des femmes algériennes

     du 20 octobre 1961

    56 ans après le massacre de dizaines d’Algériens lors d’une manifestation pacifique à l’appel du FLN au soir du 17 octobre 1961 dans les rue de Paris, cette tragédie qui fait partie de notre histoire, n’est toujours pas reconnue officiellement par l’État français. 

    Les massacres du 17 octobre n’ont pas altéré la détermination de la femme algérienne. Le 20 octobre, elles ont réinvesti les rues de Paris. 

    Mais il est tout autant occulté par l’État algérien. De plus, si la manifestation du 17 octobre 1961 est relativement reconnu, la manifestation de femmes algériennes qui a  eu lieu le 20 octobre et qui a été également réprimée, est elle, complètement occultée. En Algérie, elle pâtit d’un double silence : silence sur le rôle des immigrés algériens en France, pourtant centrale dans la victoire pour l’indépendance, et silence sur le rôle des femmes et leur engagement. 

    Pour commémorer ce drame, nous avons choisi de donner la parole à une militante algérienne de l’indépendance algérienne de la première heure, Salima Sahraoui-Bouaziz qui publie aujourd’hui un article dans le journal algérien EL-WATAN.

    Salima Sahraoui, engagée de la première heure pour l’indépendance de l’Algérie, athlète de haut niveau est aussi une féministe. 

    Hélène Zanier 

     

    « C’est aujourd’hui dans le feu de l’action et coude à coude

    avec nos frères, que nous devons arracher notre indépendance

    et mériter notre place de citoyennes dans l’Algérie que nous

    aurons contribué à édifier. » 

    Cet  appel de la section féminine de la Fédération de France du FLN à la participation des femmes à la manifestation du 20 octobre 1961, exclusivement féminine mais en complément de la grande manifestation du 17 Octobre, illustre, on ne peut mieux, le rôle des femmes de l’émigration en France dans le soutien  au combat émancipateur de l’Algérie.  Un rôle qu’elles ont accompli avec détermination, en toute discrétion, mais combien méconnu. Tout comme sont méconnues leurs manifestations du 20 octobre 1961, puis du 9 novembre 1961. Une méconnaissance voulue et organisée en Algérie même, à l’instar de celle qui entoure la manifestation du 17 Octobre 1961, impulsées par la Fédération de France du FLN. 

    Bien qu’ayant participé, nombreuses, à la manifestation du 17 Octobre 1961, les femmes, accompagnées de leurs enfants, sont à nouveau sorties dans les rues de Paris le 20 octobre. Pour quelles raisons cette seconde manifestation est-elle peu connue ?
    Les deux manifestations ont été organisées par le Comité fédéral (de la Fédération de France du FLN 1954/1962), en accord avec la direction de la révolution (GPRA), en riposte aux décisions du préfet de police de Paris, Maurice Papon, d’instaurer un couvre-feu visant uniquement les Algériens à qui il était interdit de sortir entre 20h et 5h30 ; les bars et les restaurants tenus par les nôtres devaient fermer à 19h et même la circulation des «Français musulmans» à pied ou en voiture était restreinte et soumise à une surveillance spéciale des policiers.
     

    En réaction à ces mesures discriminatoires qui mettaient notre organisation en grave danger de paralysie, la plupart des réunions et missions s’effectuant la nuit, après la journée de travail, le Comité fédéral a conçu une puissante contre-offensive, d’autant plus puissante que les négociations piétinaient. Sa circulaire très détaillée, signée par le regretté Amar Laâdlani, responsable de l’organisation politico-administrative, ordonnait de combattre les mesures de Papon par une riposte en 3 phases. 

    Dans la première phase, les Algériens, accompagnés de leurs femmes et de leurs enfants,  devaient sortir en masse et pacifiquement dans les grandes artères de Paris, à l’heure du couvre-feu. Par mesure de sécurité, les cadres permanents de l’organisation et les militants recherchés étaient exclus de ces manifestations, parce qu’on prévoyait qu’il y aurait des arrestations et qu’il ne fallait pas prendre le risque de décapiter l’organisation. Rendez-vous a été fixé pour le 17 octobre 1961. Le lendemain était prévue la fermeture, pendant 24 heures, des commerces tenus par les Algériens. Cette première phase devait se conclure le troisième jour, soit le 20 octobre, par l’entrée en scène des femmes algériennes, seules, qui se rassembleraient dans Paris, devant la Préfecture de police, les mairies et les commissariats, avec des banderoles et les mots d’ordre suivants : «A bas le couvre-feu raciste» ; «Libération de nos époux et de nos enfants» ; «Négociez avec le GPRA» ; «Indépendance totale de l’Algérie». 

    Les femmes sont arrivées de partout aux points de ralliement, elles ont crié les slogans, affronté les matraques des policiers, continué à manifester dans les cars de police et les autobus réquisitionnés pour l’occasion, sous les yeux médusés des Parisiens qui les ont parfois soutenues en invectivant les policiers brutaux. L’occultation de la manifestation des femmes du 20 octobre ne s’est pas produite à ce moment-là. Les presses française et européenne ont rapporté abondamment et en détails le déroulement de cet évènement qui a stupéfié une opinion publique française, qui ignorait jusqu’à l’existence, aux portes de Paris, de toutes ces femmes qui clamaient enfin au grand jour leur lutte pour l’indépendance de leur pays.  

    L’organe de presse du FLN, El Moudjahid, a également publié plusieurs articles sur ces manifestations de femmes en France et leur avait rendu hommage. C’est à partir de l’indépendance que la participation des femmes, tant en Algérie qu’en France et en Europe, à la révolution a été occultée. Nos dirigeants, à l’occasion de dates anniversaires ou lors d’autres réceptions officielles, se dédouanent en mettant «en vedette» quelques moudjahidate anciennement médiatisées, qui n’étaient souvent pas d’accord pour ce rôle de  «l’arbre qui cache la forêt».

    Les moudjahidate et les moussebilate se sont comptées par milliers. En France aussi, les femmes, en majorité femmes au foyer, mais il y avait des ouvrières, des employées et des étudiantes, ne participaient pas aux réunions des militants qui ne leur parlaient pas beaucoup de leur activité, mais dans l’ensemble, elles savaient ce qui se passait et ont apporté une aide multiforme en toute discrétion, elles ont aidé même quand cela ne leur a pas été expressément signifié. 

    L’implacable répression de la manifestation du 17 Octobre n’a pas dissuadé les femmes de sortir le 20 octobre ?
    Absolument. Elles étaient en plein dans le bain depuis le 17 octobre. Il y avait une effervescence incroyable dans Paris, elles avaient elles aussi été bastonnées, violentées, certaines ont perdu la vie. Parmi les manifestants du 17 Octobre, il y a eu entre 10 000 et 12 000 arrestations, ils étaient tous parqués dans les stades et les gymnases, sans eau, ni nourriture, ni sanitaires, des centaines ont été expulsés vers l’Algérie, sans avoir eu le temps de rentrer chez eux pour prévenir et prendre quelques affaires,  des centaines d’autres ont disparu, des familles ont été séparées. C’est pourquoi, à l’appel pour la manifestation du 20 octobre, il a paru aux femmes tout à fait normal qu’elles sortent de nouveau et réclamer publiquement la libération de leurs proches et l’indépendance de leur pays.
     

    Quelques rares oppositions de maris à la participation de leurs épouses ont été vite réglées par l’intervention d’un militant. Il y a une autre date importante, celle du 9 novembre 1961, les femmes algériennes à Paris et en province ont manifesté pour la troisième fois. Elles se sont rendues devant les prisons où les détenus avaient commencé une grève de la faim pour protester contre les restrictions apportées par l’administration carcérale à leur statut de détenus politiques arraché de haute lutte quelque temps auparavant. Les manifestantes ont fait montre de leur détermination et de leur discipline, bravant les CRS, refusant de montrer leurs papiers, refusant de se faire raccompagner dans les cars de police, certaines rendant les coups quand elles étaient frappées. 

    A Lyon, un commissaire a dû «négocier» l’arrêt de la manifestation aux conditions fixées par les femmes responsables qui encadraient les autres.  Il faut bien savoir, que pendant notre guerre, le FLN avait une autorité incontestée. Ses directives étaient suivies «sans discussion ni murmure» et les militantes et les militants étaient tenus d’établir un rapport circonstancié de leur exécution,  adressé aux responsables du Comité fédéral. L’organisation en France, pour notre émigration, fonctionnait efficacement puisque dans les derniers temps, la quasi-totalité des émigrés étaient répertoriés et structurés. 

    Un grand travail d’éducation et d’information politique était effectué pour faire connaître la justesse de notre combat et les nobles projets pour l’édification d’une Algérie indépendante, où la justice serait la même pour tous. On étudiait et commentait les écrits de Fanon, la Charte de la Soummam qui, au sujet des femmes, explicite la nécessité de leur émancipation et de leur accès à la vie publique.

    Le 20 octobre 1961, que les femmes algériennes ont marqué avec éclat, ne doit pas faire oublier le militantisme au quotidien, avec ses multiples tâches, la résistance au quotidien face à l’appareil répressif colonial. Il faut le répéter, les femmes se sont massivement impliquées dans la défense de la cause nationale... Elles avaient, nous avions la certitude de la victoire. La certitude, parce nous y mettions le prix, que nous serions indépendants, mais que le pays serait ravagé par la guerre, que notre population durement éprouvée serait épuisée et qu’il fallait se préparer de toute ses forces à notre redressement.

     

     

    SOURCE : http://lesvertsbagnolet.over-blog.com/article-le-17-octobre-1961-et-la-manifestation-des-femmes-algeriennes-20-octobre-1961-86709925.html 

    « La France doit construire une histoire commune de la guerre d'AlgérieBenjamin Stora, l'historien qui murmurait à l'oreille des présidents »

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