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Le « en même temps » appliqué à la Guerre d’Algérie, cela ne marche pas
Le « en même temps » appliqué
à la Guerre d’Algérie, cela
ne marche pas
Emmanuel Macron et Michèle Audin à Bagnolet, en septembre 2018. (thomas samson/AFP)
Le funambulisme tactique d’Emmanuel Macron conduit sa politique mémorielle à un échec stratégique.
Il y a soixante-dix ans, le 1er novembre 1954, éclatait la guerre d’Algérie. Ce mois-ci, le président de la République a choisi de reconnaître l’assassinat de Larbi Ben M’hidi, figure emblématique de la lutte pour l’indépendance algérienne. Un geste symbolique qui s’inscrit dans une série, la France ayant déjà reconnu que Maurice Audin et Ali Boumendjel avaient été tués sous la torture par l’armée française. Mais cette démarche, fragmentée et tardive, soulève des questions sur la politique mémorielle d’Emmanuel Macron au sujet de l’Algérie : cherche-t-elle à établir la vérité, renforcer nos liens diplomatiques ou favoriser la cohésion sociale ? Et, surtout, en a-t-elle vraiment la capacité ?
1. Une vérité parcellaire
Premier objectif affiché : rétablir la vérité. En admettant ces assassinats, l’Elysée dit vouloir rompre avec des décennies de mensonges officiels. Pourtant, ce geste mémoriel est au mieux partiel, au pire, incomplet. Derrière chaque nom, ce sont des milliers de vies invisibles qui continuent de peser comme un silence coupable sur la mémoire nationale. Les historiens Malika Rahal et Fabrice Riceputi en témoignent, notamment sur la plateforme milleautres.org : tant que l’on progresse par reconnaissances perlées, nous perpétuons l’amnésie d’Etat. Une vérité amputée reste un mensonge.
2. Diplomatie ou diversion ?
Reconnaître l’assassinat de Larbi Ben M’hidi ne répond pas seulement à une quête historique, mais aussi à des enjeux diplomatiques brûlants. Ce geste semble, en réalité, s’inscrire dans un calcul politique : celui d’une compensation pour le soutien récent de la France au Maroc sur la question du Sahara occidental. Un coup de balancier censé apaiser les tensions avec l’Algérie. Mais la manœuvre est tombée à plat. Cet « en même temps » symbolique a produit en contre-temps diplomatique, loin de l’apaisement escompté. Les réactions, aussi froides en Algérie qu’en France, révèlent l’échec de cette tentative de conciliation. Pire, une telle stratégie hasardeuse offre une nouvelle prise aux discours anti-repentance qui exploitent ce genre de déception pour diviser davantage.
3. Une cohésion sociale sous tension
Le troisième enjeu est celui de la cohésion sociale. En multipliant les gestes à l’égard des différentes catégories marquées par la guerre d’Algérie (indépendantistes, soldats français, harkis, pieds-noirs), Emmanuel Macron cherche à jouer les funambules de la mémoire. Mais en tentant de mettre toutes les souffrances sur un même plan, il aboutit à une neutralité qui, au fond, ne contente personne. Exemple frappant : en qualifiant de « massacre impardonnable » la fusillade de la rue d’Isly du 26 mars 1962 contre des manifestants pro-OAS, il a ouvert une boîte de Pandore, plaçant sur un pied d’égalité des causes contradictoires.
Cette équivalence mémorielle est intenable. Toute l’histoire de France ne peut pas se fondre en une mémoire nationale unifiée. Comme le rappellent Sébastien Ledoux et Paul Max Morin dans « l’Algérie de Macron » (PUF, 2024), « l’Etat doit choisir entre de Gaulle et Salan, entre Audin et Massu, entre le colonialisme et l’anticolonialisme ». La neutralité tactique d’Emmanuel Macron conduit sa politique mémorielle à un échec stratégique.
Un avenir libre des chaînes du passé
En réalité, c’est l’idée même de réconciliation mémorielle qui pose question. Son ambition traduit le fantasme macronien d’une parole thaumaturge qui guérirait les blessures et décréterait la paix des consciences. Imaginer qu’une reconnaissance officielle puisse effacer des décennies de douleur est illusoire. Pour ceux qui portent cet héritage, la blessure est personnelle et intransigeante. Qui pourrait se réconcilier avec l’idée que son grand-père a été assassiné par la République ? Pourquoi serait-il plus simple pour les descendants de familles rapatriées de pardonner l’abandon de terres qu’elles ont habitées durant un siècle ? Cependant, il y a un espoir : il semble que les nouvelles générations se détachent de ces mémoires antagonistes. Les travaux de Paul Max Morin, dans « les Jeunes et la guerre d’Algérie » (PUF 2022) , montrent que la perspective d’une « guerre des mémoires » s’éloigne. La fracture coloniale n’est plus là où elle était.
En dépit de ses prétentions, la politique mémorielle d’Emmanuel Macron ne répond pas aux enjeux de notre temps. Il est vain de chercher à contenter tout le monde en ne froissant personne. La vérité et la justice n’empruntent pas des chemins tranquilles. Pour les faire advenir, un double travail s’impose. D’abord, le « devoir d’histoire » consistant à regarder enfin le passé dans son entièreté et sa complexité à la lumière de la connaissance historique.
Mais aussi, et surtout, le combat pour nous libérer du racisme hérité de la colonisation, dont les mots et les actes constituent aujourd’hui le terrain des luttes qui décideront de notre avenir commun.
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SOURCE : Le « en même temps » appliqué à la Guerre d’Algérie, cela ne marche pas
« Jacques Pradel - "D'hier à aujourd'hui, les Pieds Noirs et l'Algérie"En hommage et en remerciements à Danièle Ponsot »
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Commentaires
Pourquoi ceux qui détiennent le pouvoir à Alger, ne cherchent ils pas à établir la vérité, sans rien demander à la France? Pourquoi ne pas entreprendre de fouilles dans la Ferme La Cigogne (Haouch cigou) où ont été exécutés Ben M'hidi ainsi que des centaines d' hommes et de femmes durant l'Ecrasement d'Alger, du 7 janvier au 8 octobre 1957, par les paras placés sous le commandement de Massu? Le cadavre d'Audin s'y trouve peut-être. Jean-Philippe Ould Aoudia : La ferme des Disparus, Ed. Tirésias, 2021, 85 p.