• LE NOYER DE Mme MOKHTARI ET LEURS RACINES ***

    LE NOYER DE Mme MOKHTARI ET LEURS RACINES ***

    http://blogs.mediapart.fr/blog/cacochyme/120613/le-noyer-de-mme-mokhtari-et-leurs-racines

    Il y a parfois des rencontres fortuites qui vous emplissent de mélancolie pour un long moment, un bien-être qui émeut à vous embuer les yeux.

    Il meurt lentement (...) celui qui ne parle jamais à un inconnu. Martha Medeiros (que j'avais longtemps attribué par erreur à Pablo Neruda)

    En cette fin de matinée là, accompagné de Justine ma fille, je me garais sur le parking de Dieu* (le parking de la cure, souvent ouvert à tout public) pour me rendre à la Poste . Nous avons été absents une dizaine de jours pour de courtes vacances en Corse où ce printemps ne fut guère moins pluvieux que celui de la Provence où nous vivons.

    Au parking de Dieu, se trouve un vieux noyer dont les branchages et l'ombre ont envahie, avec l'appui de tant d'eau printanière, une bonne moitié de l'entrée.

    En ressortant à pied, je fis remarquer à Justine l'ampleur prise par la végétation en 10 jours et l'ombre avantageuse que ce vieux noyer procurera durant l'été.

    Entendant ma remarque, une vieille dame s'adressa à nous. Une vielle dame, genre dame de catéchisme, chaussures en cuir tressées marrons, jupe plissée et veste beige, chemisier blanc ouvert laissant apparaître une belle chaîne en or à chaînons finement travaillés. Mais pas crucifix ostentatoire façon Djokovich ou Sharapova. De petits yeux clairs et vifs, des cheveux frisés teintés d'un reste de blond vénitien, une coquetterie ayant servi à dissimuler des cheveux blancs:

     ·         Vous n'allez pas me croire, c'est moi qui ait planté ce noyer ! Nous dit-t-elle.

     ·      Vous Madame ? Mais vous l'avez planté dans les années 40 ? Lui répondis-je en exagérant mais du coup, sans égard pour son âge.

     ·        Pas tant que ça Cher Monsieur mais pas loin, c'était dans les années 50, je ne me souviens pas de l'année précisément... j'ai connu tout les curés de la paroisse depuis vous savez, le Père Paul, le Père François, le Père Justin qui était un de couleur...et celui d'aujourd'hui.

    ·         Pardon Madame?... d'où vous vient ce léger accent?

     ·     D'Algérie Monsieur, de Kabylie exactement, je suis madame Mokhtari. Mais j'ai la double nationalité...

    ·         Et vous êtes chrétienne ?

    ·     Non, non, musulmane mais je ne suis pas pratiquante, je ne vais pas à la mosquée...et puis la politique ne m'intéresse pas...

     ·         Vous êtes retournée en Algérie depuis Madame ?

    ·     Oui, souvent, au début et puis après j'ai dû m'occuper d'une de mes filles handicapée suite à un accident de voiture et aujourd'hui je suis veuve. Mais vous savez c'est beau la Kabylie, nous avions une ferme avec 14 hectares, des vergers, des prairies, des animaux...Mais il y a eu la guerre...

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    ·         Vous l'avez toujours cette ferme ?

     ·       Les terres oui, mais l'armée française pendant la guerre, a détruit la maison, c'est terrible la guerre. Les deux frères de mon mari, restés aux pays étaient des résistants...

    ·         Des fellaghas ?

     ·         Oui...vous, vous dites des fellagas...

     ·         Mais alors, ce noyer Madame Mokhtari...

     ·        Oui c'est vrai...nous sommes arrivés d'Algérie avec mon mari en 1950, j'avais 16 ans. Mon mari était maçon. Un maçon qualifié vous savez. Il a construit la cave coopérative du village à côté. Nous avions un beau-frère, un ancien gendarme, qui nous a donné une maison de village ici. Une ruine, quatre murs, pas de toiture. Mon mari l'a reconstruite et en 1955, nous sommes venus habiter ici, nous y avons élevé nos cinq enfants. La campagne me manquait aussi, j'ai demandé au curé de l'époque le Père Paul de faire un bout de jardin sur ce grand terrain de la cure à l'abandon en plein centre du village. Il a accepté et lorsqu'ils ont agrandi la cure, il fallait abattre un vieux noyer centenaire. Quelques petits noyers avaient poussé autour de l'ancien, j'ai demandé l'autorisation d'en replanter trois à l'emplacement de celui là. Je les ai entretenus pendant leurs premières années, arrosés, taillés entourés de grillage pour les protéger des animaux et enfin, j'ai gardé le plus vigoureux. Il est magnifique n'est-ce pas ?

    ·         Splendide ! Il vous doit tout...

    Cela faisait bien dix minutes que nous conversions, Justine commençait à trouver le temps long, 60 ans d'histoire, même résumée en dix minutes, à 6 ans et demi ça fait long. Je pris congés à regret de Madame Mokhtari, d'autant que la Poste allait fermer...

     ·        Ce fut une agréable rencontre Madame Mokhtari, au-revoir, votre vie est une longue histoire...

    ·    Vous avez raison, mais je ne vous ai pas tout dit, il y a de quoi écrire un livre... Au-revoir Monsieur, au-revoir ma petite...tu es belle et dorée comme un abricot de Kabylie.

     ...mon petit abricot...

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    ·         Madame Mokhtari s'éloigna vers les bâtiments de la cure, en face, une petite porte qu'elle avait dû souvent emprunter et qu'on ne pouvait ouvrir que du parking, donnait sur un raccourci vers le centre du village.

    Longtemps j'ai repensé à cette conversation avec Madame Mokhtari. Ma gaffe sur l'âge probable de plantation du noyer ; ses mots précis La Guerre, pas les évènements d'Algérie; des résistants, pas des fellagas, et son la politique ne m'intéresse pas, assimilant d'un coup d'un seul, islam et politique. J'ai repensé au dernier livre de Camus, Le Premier Homme; j'aurai pu intituler par analogie ce billet « La première femme » mais c'eut été à bien des égards, prétentieux de ma part. Et puis l'enracinement de ce noyer transplanté est aussi une belle métaphore sur les racines multiples de Madame Mokhtari.

    * Il y a quelques années, mon épouse accompagnée de notre neveux alors âgé de 11 ans, se gara sur ce parking du curé, le temps d'aller poster du courrier à la Poste qui se trouve être attenante à la cure. Notre neveux préféra attendre sur le parking à côté de la voiture. De retour de la poste, elle vit le curé, un traditionaliste en soutane et tout le Saint-frusquin (c'est la mode dans le Var) en pleine conversation avec le neveu. Après avoir salué ma femme il lui demanda comment se faisait-il que cet enfant du Bon Dieu ne soit pas baptisé et ne suive pas les cours de catéchisme. Ma femme lui répondit que nous ne pratiquions pas la religion catholique. Il lui rétorqua qu'ensuite il ne faudrait pas nous plaindre si une autre religion prenait le pas et obligeait nos filles à se voiler. Ma femme excédée lui répondit que, pas plus l'une que l'autre ne lui conviendrait et que notre religion dans la famille, c'était l'amour.

    Le cureton ne fit qu'un tour dans sa soutane et s'écria d'un ton péremptoire le bras tendu l'index pointant la sortie : « Madame sortez d'ici! Et que je ne vous revois plus sur le parking de Dieu! »

    Nul besoin d'imam ou d'abbé (traditionnaliste ou non) pour être dans le coeur de Dieu. Madame Mokhtari et ses semblables y sont depuis longtemps. Merci.

    ***

    Cette belle histoire de noyer, d'imam ou d'abbé nous fait penser à la chanson de Renaud "La Ballade Nord Irlandaise"... "Ce sont les hommes pas les curés qui font pousser les orangers"

     

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