• Les terrorismes en France une longue histoire

     

    Les terrorismes en France

    une longue histoire

    Mais pas d'amalgame les musulmans sont les premières victimes du terrorisme.

    Michel Dandelot

    Les terrorismes en France une longue histoire

    Terrorismes en France - Une histoire XIXe-XXIe siècle

    Jenny Raflik 

    2024

    Cerf

    306 pages

    Les terrorismes en France une longue histoire

    Le terrorisme en France s'inscrit dans une histoire longue, depuis la Révolution française jusqu'aux attentats d'octobre 2023. Jenny Raflik revient sur cette histoire plurielle et complexe.

    Si le terrorisme est aujourd’hui un phénomène global et mondial, la France y a été confrontée très tôt et a dû faire face à la plupart des terrorismes. Cela soulève donc de nombreuses questions, et appelle tout d’abord à définir le terrorisme, puisque toutes ses formes relèvent de la violence politique mais ne poursuivent pas le même objectif, n’ont pas le même degré d’intensité et ne passent pas par les mêmes actions. L’État français a donc dû adapter ses réponses dans le temps, à l’intérieur de son territoire mais aussi à l’étranger pour protéger ses ressortissants. Par ailleurs, les victimes, souvent résumées à des chiffres et noyées dans le collectif au sein des commémorations, perdent leur identité dans des appellations génériques. C’est sur tous ces enjeux que revient l’historienne Jenny Raflik dans son dernier ouvrage.

    Le thème de la guerre étudié en Terminale analyse les différentes formes de guerre et accorde toute une partie aux formes de guerres menées par Al-Qaida et Daech. Le livre de Jenny Raflik permet ici de se concentrer sur le rapport d’un pays à ce type de terrorisme.

    Nonfiction.fr : Le terme de terrorisme évolue dans le temps et selon les espaces. Sa définition s’avère d’autant plus complexe en France puisque le pays a été confronté à la plupart des terrorismes depuis la fin du XVIIIe siècle. Bien que vous empruntiez à d’autres domaines, comment définiriez le terrorisme en tant qu’historienne ? 

    Jenny Raflik : Le mot a changé de sens au cours de l’histoire. Dans sa première acception, celle de son apparition à la fin du XVIIIe siècle, il désigne un mode de gouvernement, celui de la Terreur révolutionnaire. Puis, dès le milieu du XIXe siècle, il commence à désigner, au contraire, une violence tournée contre l’État. C’est le sens dans lequel il est utilisé aujourd’hui et celui dans lequel j’ai choisi de l’étudier. Mais derrière ce mot coexistent de très nombreuses organisations, aux modes opératoires, idéologies, cibles et fonctionnements hétérogènes. Il faut donc trouver des éléments de définition qui permettent de « cerner » autant que faire se peut le phénomène. Bien sûr, il existe une définition juridique, fournie par la loi de 1986 : « une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur ». Mais le phénomène est antérieur.

    Je suis donc partie de plusieurs critères : l’usage d’une violence politique non-interétatique, illégale, volontairement transgressive et disproportionnée, cherchant à choquer ou terroriser pour susciter une réaction, intimider ou déstabiliser un système (État, régime politique, société…) et réaliser un objectif (politique, religieux, social…).

    Néanmoins, aucune définition du terrorisme n’est pleinement opérante, ce qui explique les nombreuses instrumentalisations dont il a fait l’objet. Qualifier son ennemi politique de terroriste pour délégitimer son action, n’a rien d’original ni de nouveau. L’empire russe l’utilise largement contre ses opposants politiques. Et bien sûr les nazis contre les Résistants. Ces instrumentalisations font aussi partie de l’objet de recherche de l’historien sur le sujet. Je ne prétends pas définir le terrorisme. Je cherche à analyser l’utilisation du mot par notre société.

    Si tout terrorisme est une violence politique, ce n’est pas le cas en sens inverse. Les frontières sont donc poreuses et souvent ténues entre les deux expressions. A quel moment la violence politique devient-elle terroriste ? 

    Ce qui me semble intéressant, c’est l’évolution de la lecture sociale des violences politiques. Un même acte sera qualifié de terroriste dans certains contextes et pas dans d’autres. C’est le cas de certains assassinats politiques. Personne ne qualifie l’assassinat de César de « terrorisme », il en est autrement pour celui de Sadi Carnot par un anarchiste, de Georges Besse par Action Directe, ou des tentatives d’assassinats contre le général de Gaulle par l’OAS. Pourquoi ? Les éléments de réponse sont à la fois nombreux et insuffisants. Les motivations de l’assassin, le contexte politique, la lecture que la société fait de l’événement, le traitement juridique et politique de l’affaire... Pour compliquer encore les choses, la compréhension de la radicalité politique implique d’étudier à la fois ceux qui passent à l’acte, et ceux qui, par des discours politiques et intellectuels peuvent légitimer et nourrir le terrorisme.

    Il ne revient pas au chercheur de « statuer » sur la nature terroriste ou pas de telle ou telle violence, mais d’analyser les raisons qui conduisent la société, la Justice ou la mémoire, à qualifier tel ou tel acte de terroriste ou pas.

    Les terrorismes visent souvent l’État français et donc le territoire français. Vous rappelez cependant que depuis 1974, au moins 296 Français ont été tués à l’étranger par des attaques terroristes. Parfois, ces victimes se trouvaient sur les lieux d’un attentat, mais souvent elles incarnaient une cible par leur nationalité. Comment les Français, et peut-être plus largement les Occidentaux, sont-ils devenus une cible à l’étranger ? 

    Les chiffres ont malheureusement déjà évolué, notamment le 7 octobre 2023. Mais il y a là un phénomène très ancien, observable dès la fin du XIXe siècle : Louis Chevalier, le directeur français des mines d’Isvaro, est enlevé dans l’empire ottoman en 1899 par l’ORIM, l’Organisation révolutionnaire intérieure macédonienne, qui cherche par ce biais à la fois à financer son action (par la rançon), et à faire connaître ses revendications à l’international.

    Les groupes qui ciblent les Français à l’étranger depuis le XIXsiècle ont en effet plusieurs objectifs.

    Le premier est publicitaire. Ce sont les démocraties qui sont visées, car la liberté de la presse assure une médiatisation des attentats, donc une présentation des objectifs et revendications de leurs auteurs.

    Le deuxième objectif est plus politique. Certaines organisations terroristes cherchent à faire pression sur le gouvernement français, soit pour le forcer à agir lui-même dans le sens voulu par eux, soit pour qu’il fasse pression sur d’autres pays par la voie diplomatique. La France est, dans cette perspective, une cible d’autant plus privilégiée qu’elle permet, via sa place sur l’échiquier mondial, d’exercer une pression indirecte sur d’autres pays, parfois plus difficiles à attaquer directement, ou moins sensibles à la menace terroriste, car non démocratiques. Le terroriste fait le pari – qui semble gagné dans les décennies 1970-1980 – que le gouvernement français cédera pour sauvegarder des vies de civils, quand des régimes non démocratiques les sacrifieront plutôt que de négocier.

    Enfin, l’internationalisation de la lutte est un moyen de faire vivre des mouvements, en trouvant des financements et des recrues. Le premier peut se faire via les rançons exigées lors des enlèvements, en France comme à l’étranger. Le recrutement, lui, peut cibler les diasporas.

    Vous prenez soin de nommer les victimes, y compris les «anonymes» comme Monique Afri à Alger en 1994 ou Hamoud Feddal dans le Nord en 1996. Vous rejoignez en ce sens Jérémy Foa pour le massacre de la Saint-Barthélemy   et Hélène Dumas pour le génocide des Tutsi. Pourquoi l’histoire du terrorisme tarde-t-elle encore à se focaliser sur les victimes ? 

    L’historien est tributaire de ses sources. Et qu’elles soient policières (les dossiers d’enquête), judiciaires (les procès), ou médiatiques, ces sources se focalisent très souvent sur le terroriste, bien plus que sur ses victimes. A fortiori dans le cas des attentats dits « à l’aveugle ». Il me semblait important de rappeler que l’histoire du terrorisme, c’est aussi l’histoire de ses victimes. J’ai donc cherché à nommer, quand c’était possible, les victimes pour déplacer la focale habituelle.

    Mais il me semble important de souligner que la victime de terrorisme bénéficie d’une reconnaissance croissante dans notre société. Depuis 1990, elles sont considérées comme des victimes civiles de guerre, ce qui leur ouvre droit à des pensions militaires d’invalidité, à certaines prises en charge de soins ou d’appareillage par la caisse nationale militaire de sécurité sociale, à des aides à caractère social versées par l’ONACVG. Les enfants de victimes peuvent être reconnus pupille de la Nation. Symboliquement, cela signifie qu’à travers la victime d’un acte terrorisme, c’est la nation toute entière qui est touchée. Et depuis 2016, il existe une médaille nationale de reconnaissance aux victimes du terrorisme pour les victimes tuées, blessées ou séquestrées lors d’actes terroristes depuis 1974. Les victimes sont donc en train de se réapproprier leur histoire.

    La fin de la guerre en Afghanistan en 1989 entraîne une redéfinition des cibles et du sens du combat d’Al-Qaida. Ben Laden, puis Ayman al-Zawahiri   développent alors le terrorisme islamiste au Moyen-Orient. Pourquoi la France devient-elle une cible de ce terrorisme ? 

    Le terrorisme islamique qui a frappé la France s’est inscrit dans une double filiation :

    Tout d’abord, celle de la Révolution iranienne de 1979. L’organisation du Jihad islamique armé s’en prend aux Français au Liban dès 1983 (enlèvements de ressortissants français, et multiples attentats, dont le 23 octobre, celui contre les casernements français et américains à Beyrouth qui fait 350 morts dont 58 parachutistes français). Sur notre territoire, le Hezbollah a organisé plusieurs vagues d’attentats en 1985 et 1986.

    Ensuite, celle de la guerre d’Afghanistan. C’est d’ailleurs à cette occasion que l’on observe les premiers (rares) départs de volontaires français, qui rejoignent sur place les « moudjahidines » organisés par Abdullah Azzam et Oussama Ben Laden, qui créent en 1987 Al-Qaïda, « la base ». Après le retrait de l’Armée rouge de Kaboul, le 5 février 1989, ces volontaires rentrent dans leurs pays d’origine pour y diffuser le salafisme jihadiste. Et certains d’entre eux rejoignent le GIA algérien, qui frappe la France en 1995, dans le sillage de la guerre civile algérienne. Le phénomène a pris de l’ampleur par la suite.

    Bien sûr, l’histoire de la France en Algérie en a fait une cible privilégiée. Mais les attentats de 1995 sont déjà à lire à la fois dans cette histoire franco-algérienne, et dans le cadre plus large de la mondialisation du Jihad menée par Al-Qaida.

    Dans l’histoire du terrorisme islamique, la France est ciblée pour son histoire propre, mais pas seulement. Et il importe de rappeler qu’aujourd’hui, la majorité des victimes du terrorisme islamiste vivent dans des pays musulmans.

    Votre livre est bien sûr celui d’une historienne mais vous insistez sur la défense de la France face au terrorisme à l’heure actuelle. Néanmoins, cette politique de défense et de sécurité contre le terrorisme d’extrême gauche ou d’extrême droite ne peut-être la même que pour faire face au terrorisme islamiste. Quels sont les piliers de la défense contre le terrorisme ? 

    Face aux défis posés par des terrorismes de natures extrêmement hétérogènes, la France a choisi d’apporter une réponse juridique unique, depuis la loi de 1986.

    Mais elle a aussi développé des réponses différenciées face à deux types de menaces : une menace endogène, qui appelle une réponse intérieure, policière et judiciaire, et une menace exogène, à laquelle depuis les années 1980 est apportée une réponse militaire, via la projection de forces armées (au Liban, dès les années 1980, en Afghanistan, au Sahel et au Levant depuis 2001), avec des résultats contrastés. Cette réponse militaire a banalisé l’expression « guerre au terrorisme », largement mobilisée dans le discours politique pour tenter de susciter la résilience et l’unité du pays face aux menaces.

    Aujourd’hui, cette résilience fait l’objet d’une attention toute particulière, et nous voyons que la société toute entière s’est saisie de cette question.

    Vous faites partie des auteurs du rapport Le Musée-Mémorial. Des sociétés face au terrorisme, remis au premier ministre en 2020. Quel va être l’objectif de ce Musée-mémorial ? 

    Ce sera un musée d’histoire et de société, qui donnera une place centrale aux victimes, tout en apportant des éléments de compréhension du phénomène terroriste dans son ensemble. Le projet est dirigé par l’historien Henry Rousso depuis ses origines. Ce sera un lieu unique au monde. Il sera situé à Suresnes et ouvrira ses portes en 2027. Pour en savoir plus :

    https://musee-memorial-terrorisme.fr/presentation-video-du-projet 

    Une vidéo pour comprendre l'origine et les enjeux du Musée-mémorial du terrorisme, lieu de mémoire, de connaissance et de partage qui ouvrira ses portes en 2027 dans un site historique symboliquement fort en terme de résilience et de résistance.


    SOURCE : Les terrorismes en France, une longue histoire - Nonfiction.fr le portail des livres et des idées 

       

     


    « Le 13 novembre 2015, notre pays était frappé par des attentats à Saint-Denis et à Paris. 130 personnes, souvent des jeunes qui avaient la vie devant eux, y perdirent la vie, victimes du terrorisme djihadiste de Daech, fondé sur une conception dévoyée de l'Islam.

    Epilogue meurtrier d'une année marquée par les attentats de janvier contre les journalistes de Charlie Hebdo, les forces de l'ordre et les Juifs de l'HyperCacher, cet acte avait notamment pour but de fracturer notre société, en y suscitant des haines aux effets irréparables. Face à de tels actes, les réponses doivent toujours être la clarté dans la condamnation des actes et des idéologies qui les suscitent ainsi que le refus de répondre à la haine par la haine.

    Pensées aux victimes qui ne sont plus, à celles et ceux meurtris dans leurs chairs à l'issue de cet attentat et à tous leurs proches. »

    Hommage aux victimes de l'attentat du vendredi 13 novembre 2015 !

     

     

     

     

     

    Dominique SOPO 

    Président de SOS Racisme 

     

     

    « Que de crimes on commet en ton nom liberté !  Que de crimes on commet en ton nom démocratie ! Que de crimes on commet en ton nom indépendance ! Vous n'aurez pas notre peur ! Notre haine ! Notre soumission car l'amour est plus fort que votre vie ratée vous les terroristes ! »

     

     

    La peur est notre ennemie

    Vendredi 13 novembre 2015, toute une société fut, à Paris et à Saint-Denis, la cible du terrorisme : notre société, notre France, faite de diversité et de pluralité, de rencontres et de mélanges. C’est cette société ouverte que la terreur voudrait fermer ; la faire taire par la peur, la faire disparaître sous l’horreur. Et c’est elle qu’il nous faut défendre car elle est notre protection.

    Un vendredi soir d’automne, sous un temps clément. Fin de semaine, temps de sortie, moment de détente. Joies des retrouvailles amicales, des concerts musicaux, des matchs sportifs. Sociabilités populaires et juvéniles. Hommes et femmes mêlés, jeunesses sans frontières, plaisirs variés où l’on peut, selon les goûts ou les envies, boire, fumer, danser, se côtoyer, se mélanger, se séduire, s’aimer, bref aller à la rencontre des uns et des autres.

    Il suffit d’aligner ces mots simples, sans grandiloquence, pour partager ce que nous ressentons tous depuis hier : tout un chacun, nos enfants, nos parents, nos amis, nos voisins, nous-mêmes, étions dans le viseur des assassins. 

    Parce qu’ils ne visaient pas des lieux manifestement symboliques comme lors des attentats de janvier, exprimant leur haine de la liberté (Charlie Hebdo) ou leur haine des juifs (l’Hyper Cacher), il s’est dit que les terroristes auteurs des carnages parisiens n’avaient pas de cible. C’est faux : armés par une idéologie totalitaire, dont le discours religieux sert d’argument pour tuer toute pluralité, effacer toute diversité, nier toute individualité, ils avaient pour mission d’effrayer une société qui incarne la promesse inverse.

    Au-delà de la France, de sa politique étrangère ou de ceux qui la gouvernent, leur cible était cet idéal démocratique d’une société de liberté, parce que de droit : droit d’avoir des droits ; égalité des droits, sans distinction d’origine, d’apparence, de croyance ; droit de faire son chemin dans la vie sans être assigné à sa naissance ou à son appartenance. Une société d’individus, dont le « nous » est tissé d’infinis « moi » en relation les uns avec les autres. Une société de libertés individuelles et de droits collectifs. 

    Prendre la juste mesure de ce que menace cette terreur sans précédent sur le territoire hexagonal – les attentats les plus meurtriers en Europe après ceux de Madrid en 2004 –, c’est évidemment mesurer aussi le défi que nous ont lancé les assassins et leurs commanditaires. C’est cette société ouverte que les terroristes veulent fermer. Leur but de guerre est qu’elle se ferme, se replie, se divise, se recroqueville, s’abaisse et s’égare, se perde en somme. Cest notre vivre ensemble qu’ils veulent transformer en guerre intestine, contre nous-mêmes.

    Quels que soient les contextes, époques ou latitudes, le terrorisme parie toujours sur la peur. Non seulement la peur qu’il répand dans la société mais la politique de la peur qu’il suscite au sommet de l’État : une fuite en avant où la terreur totalitaire appelle l’exception démocratique, dans une guerre sans fin, sans fronts ni limites, sans autre objectif stratégique que sa perpétuation, attaques et ripostes se nourrissant les unes les autres, causes et effets s’entremêlant à l’infini sans que jamais n’émerge une issue pacifique.

    Aussi douloureux qu’il soit, il nous faut faire l’effort de saisir la part de rationalité du terrorisme. Pour mieux le combattre, pour ne pas tomber dans son piège, pour ne jamais lui donner raison, par inconscience ou par aveuglement. Ce sont les prophéties auto-réalisatrices qui sont au ressort de ses terrifiantes logiques meurtrières : provoquer par la terreur un chaos encore plus grand dont il espère, en retour, un gain supplémentaire de colère, de ressentiment, d’injustice… Nous le savons, d’expérience vécue, et récente, tant la fuite en avant nord-américaine après les attentats de 2001 est à l’origine du désastre irakien d’où a surgi l’organisation dite État islamique, née des décombres d’un État détruit et des déchirures d’une société violentée.

    Saurons-nous apprendre de ces erreurs catastrophiques, ou bien allons-nous les répéter ? C’est peu dire qu’à cette aune, dans un contexte de crises déjà cumulatives – économique, sociale, écologique, européenne, etc. –, notre pays vit un moment historique où la démocratie redécouvre la tragédie. Où la fragilité de la première est au péril des passions de la seconde. Car l’enjeu immédiat n’est pas au lointain, mais ici même, en France. Nous savions, au lendemain des attentats de janvier, que la véritable épreuve était à venir. Cet automne, au moment de quitter ses fonctions, le juge antiterroriste Marc Trévidic nous l’avait rappelé – « Les jours les plus sombres sont devant nous » (lire ici son interview à Paris-Match) –, dans une alarme qui ne ménageait pas nos dirigeants : « Les politiques prennent des postures martiales, mais ils n’ont pas de vision à long terme. (…) Je ne crois pas au bien-fondé de la stratégie française. »

    Car, devant ce péril qui nous concerne tous, nous ne pouvons délaisser notre avenir et notre sécurité à ceux qui nous gouvernent. S’il leur revient de nous protéger, nous ne devons pas accepter qu’ils le fassent contre nous, malgré nous, sans nous.

    Il est toujours difficile, tant elles sont dans l’instant inaudibles, d’énoncer des questions qui fâchent au lendemain d’événements qui saisissent tout un peuple, le rassemblant dans la compassion et l’effroi. Mais, collectivement, nous ne saurons résister durablement à la terreur qui nous défie si nous ne sommes pas maîtres des réponses qui lui sont apportées. Si nous ne sommes pas informés, consultés, mobilisés. Si l’on nous dénie le droit d’interroger une politique étrangère d’alliance avec des régimes dictatoriaux ou obscurantistes (Égypte, Arabie saoudite), des aventures guerrières sans vision stratégique (notamment au Sahel), des lois sécuritaires dont l’accumulation se révèle inefficace (tandis qu’elles portent atteinte à nos libertés), des discours politiques de courte vue et de faible hauteur (sur l’islam notamment, avec ce refoulé colonial de « l’assimilation »), qui divisent plus qu’ils ne rassemblent, qui alimentent les haines plus qu’ils ne rassurent, qui expriment les peurs d’en haut plus qu’ils ne mobilisent le peuple d’en bas.

    Faire face au terrorisme, c’est faire société, faire muraille de cela même qu’ils veulent abattre. Défendre notre France, notre France arc-en-ciel, forte de sa diversité et de sa pluralité, cette France capable de faire cause commune dans le refus des amalgames et des boucs émissaires. Cette France dont les héros, cette année 2015, étaient aussi musulmans, comme ils furent athées, chrétiens, juifs, francs-maçons, agnostiques, de toutes origines, cultures ou croyances. La France d’Ahmed Merabet, d’origine algérienne, ce gardien de la paix qui a donné sa vie au pied de l’immeuble de Charlie Hebdo. La France de Lassana Bathily, d’origine malienne, cet ancien sans-papiers qui a sauvé nombre d’otages à l’HyperCacher. Cette France qu’ont illustrée, dans cette longue nuit parisienne, tant de sauveteurs, de soignants, de médecins, de policiers, de militaires, de pompiers, de bonnes volontés, mille solidarités elles aussi issues de cette diversité – humaine, sociale, culturelle, confessionnelle, etc. – qui fait la richesse de la France. Et sa force.

    En Grande-Bretagne, lors des attentats de 2005, la société s’était spontanément dressée autour du slogan inventé par un jeune internaute : « We’re Not Afraid. » En Espagne, lors des attentats de 2004, la société s’était spontanément rassemblée autour de ce symbole : des mains levées, paumes ouvertes, tout à la fois désarmées et déterminées.

    Non, nous n’avons pas peur. Sauf de nous-mêmes, si nous y cédions. Sauf de nos dirigeants s’ils nous égarent et nous ignorent. La société que les tueurs voudraient fermer, nous en défendons l’ouverture, plus que jamais. Et le symbole de ce refus, ce pourrait être deux mains qui se rencontrent, se serrent et se mêlent, se tendent l’une vers l’autre. Deux mains croisées, l’une dans l’autre.

    Deux mains en relation.

     

    Procès du 13-Novembre. «Vous avez assassiné nos enfants, pas la France !» lance un père aux accusés

     

    Ce père a perdu son fils au Bataclan. Comme de nombreux proches, il a raconté la souffrance de sa famille. Mais il a aussi tenu à s’adresser aux accusés, notamment à Salah Abdeslam qui soutient que les terroristes visaient la France, pas des personnes en particulier.

    Cet homme, qui ne souhaite pas que son identité soit dévoilée, a 67 ans. Il a perdu son fils le 13 novembre 2015. Ce dernier était âgé de 32 ans et travaillait au sein d’une société de musique. Ce père, qui a aussi travaillé dans le milieu culturel, est en manque de son fils. Notamment de ces moments de complicité où son fils lui faisait découvrir de nouveaux artistes. Il défendait les valeurs de la laïcité, du respect des libertés et des croyances, du vivre ensemble, dans les valeurs de la République. Il aimait la vie. Il était musicien et il collectionnait un nombre incroyable de guitares​, a rappelé son père, ce mardi, devant la cour d’assises.

    « Les premières victimes sont des musulmans »

    Mais ce père de culture musulmane a tenu aussi à répondre aux accusés. Au début du procès, Salah Abdeslam, le seul survivant des commandos du 13 novembre 2015, avait notamment précisé : Moi je vous dis : on a combattu la France, on a attaqué la France, on a visé la population, des civils, mais en réalité on n’a rien de personnel contre ces gens-là. On a visé la France et rien d’autre. ​Il s’en était encore pris aux avions français qui ont bombardé l’État islamique, les hommes, les femmes, les enfants […] François Hollande savait les risques qu’il prenait en attaquant l’État islamique en Syrie​, avait accusé ce Franco-Marocain.

    Des propos et une façon de penser que réfute ce père. Dans une réponse préparée et argumentée, sans jamais regarder les accusés et sans hausser le ton, voici ce qu’il a tenu à leur dire : C’est nos enfants que vous avez assassinés. Pas la France. Vous vous servez de l’islam pour justifier votre croisade contre l’Occident […] Vous reportez la faute sur la France sans jamais vous regarder en face […]

    Je vous rappelle que les premières victimes de votre croisade sont les musulmans eux-mêmes. Je suis en colère car vous vouliez exporter votre système de pensée et votre idéologie en créant le chaos, en installant un sentiment d’insécurité et de rejet des musulmans en Europe en général et en France en particulier. » 

    « Vous ne représentez nullement l’islam »

    Il poursuit : ​« Vous n’êtes qu’un groupe de malfrats en quête d’un territoire, d’une reconnaissance et d’un pouvoir ! Vous ne représentez aucunement l’islam, vous n’avez d’ailleurs aucune légitimité, aucun pays. Vous êtes prêts à tuer toutes personnes ou groupes de personnes qui ne pensent pas comme vous, qui ne partagent pas vos idées. Les musulmans n’ont rien à voir avec ces gens-là. Ces derniers ont-ils seulement lu le texte sacré ?

    Votre entreprise néfaste et criminelle nous cause bien des soucis et des tourments, c’est vrai ! Mais sachez que nous n’accepterons jamais de plier face aux fanatismes, à la barbarie et aux tueurs sanguinaires que vous êtes. J’espère que les âmes des 131 morts et des 500 blessés vous hanteront toutes les nuits jusqu’à votre mort ! Vous avez cru que cet acte barbare allait nous pétrifier et nous anéantir ? Mais vous avez eu tort car il nous a galvanisés. Il nous a rendus encore plus forts et plus déterminés […] Il existe un islam des Lumières et c’est celui-là que je revendique, même si je ne suis pas croyant ».

    SOURCE : https://www.ouest-france.fr/faits-divers/attentats-paris/proces/13-novembre-un-pere-s-adresse-aux-accuses-vous-avez-assassine-nos-enfants-pas-la-france-427fc6d8-366b-11ec-83a7-1a2811d1fb4b 

     

     

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    SOUVENIR : Cet article a été mis en ligne

    le 30 novembre 2015 sur mon blog de secours

    "La France a du talent quand elle ne fait pas

    la guerre"

    « Malheureusement la France est en guerre

    depuis 2001

    et de cela il est important de ne pas l'oublier »

    Hommage national : une cérémonie digne

     C'était la France des grands moments

     

     

    Par Saad Khiari

    Auteur, spécialiste de l'Algérie

     

    La cérémonie d'hommage aux victimes des attentats de Paris a ému François Hollande, mais aussi de nombreux Français. Saad Khiari, auteur et spécialiste de l'Algérie fait partie de ceux-là. S'il a été touché par l'interprétation de "Quand on a que l'amour" de Jacques Brel, il l'affirme : lui n'a pas que de l'amour, il a aussi de la fraternité.

    Comme beaucoup de Français, j’ai pleuré vendredi en suivant la cérémonie de la cour des Invalides. C’était beau, digne et plein d’émotion. C’était la France des grands moments. Belle comme toujours, belle comme chaque fois qu’elle se retrouve.

    J’ai pensé : c’est fou ce que c’est beau, la France, quand elle redevient de gauche. Quand elle rassemble les siens, tous les siens.

     

    "La France a du talent quand elle ne fait pas la guerre" 

    J’ai pensé au poète algérien Malek Haddad, amoureux de Saint-Germain-des-Près, compatriote de Kateb Yacine, Kamel Daoud, Boualem Sansal et Yasmina Khadra. Comme eux, fou à lier d’amour pour la langue française, il avait écrit au plus fort de la guerre d’Algérie :

    "C’est fou ce que la France a du talent quand elle ne fait pas la guerre".

    Il pensait à la guerre coloniale bien sûr. Il aurait sûrement ajouté :

    "C’est fou ce que la France a du talent quand elle chante la liberté".

    Quand tout le monde se sent Français, quand tout le monde se sent blessé, quand tout le monde se sent meurtri.

    J'ai de l'amour et de la fraternité 

    Oui, c’est fou ce que c’est beau, la France, quand elle chante l’amour et même quand elle pleure d’amour pour ceux qu’elle a perdus, par un soir de novembre, sous le tonnerre de la mitraille et des balles aveugles.

    Et puis cette cour vide et pleine à la fois ; une tombe à ciel ouvert et le silence aux morts. Et l’ami Jacques Brel. Et la France qui n’a que l’amour à "offrir à ceux-là dont l’unique combat est de chercher le jour", "pour qu’éclatent de joie chaque heure et chaque jour".

    Mais moi, je n’ai pas que l’amour. J’ai aussi de la fraternité. À cœur ouvert et par poignées. À étouffer des poitrines et à chavirer ensemble dans une bruyante farandole, la main dans la main, au rythme des musiques du monde. Les barbares ont semé la mort. Une mort qui n’a pas fait le tri.

    Ils n’aiment pas la musique, les terrasses, la jeunesse et l’avenir. Ils n’aiment que la mort.

    J’ai peur du retour de la nuit 

    Mais je n’ai pas que de la fraternité. J’ai aussi de la joie plein ma besace. À semer le rire par échos et le bonheur par éclats, à faire peur au malheur et fuir les barbares. Je voudrais que la joie demeure, que l’amour nous étreigne et que nous protège la fraternité.

    Je ne voudrais plus qu’on se quitte. Je ne voudrais plus qu’on s’oublie. Je ne voudrais pas que les lampions s’éteignent parce qu’il y a encore des ombres qui rôdent, qui n’aiment pas qu’on s’aime, qui n’aiment pas les mosquées, qui n’aiment pas l’arc-en-ciel, qui n’ont pas les mêmes larmes, qui n’ont pas les mêmes rires et qui détestent la farandole.

    Si je n’ai pas que l’amour, j’ai aussi peur du retour de la nuit et je ne peux rester trop longtemps éveillé. Alors dites autour de vous que j’ai en moi des millions de colombes qui pour rien au monde ne redeviendraient oiseaux. 

    Saad Khiari
     

     

     
    « « Même les animaux ne sont pas traités comme ils l’ont fait avec nous » : des Gazaouis racontent les sévices infligés par l’armée israélienne Honneur aux héros : la ville de Dijon célèbre l’entrée au Panthéon du couple Manouchian »

  • Commentaires

    2
    ould aoudia
    Samedi 17 Février à 12:04

    Dans le Projet scientifique et culturel remis au Président de la République en vue de la création à Paris d’un Musée-mémorial du terrorisme il est écrit : 

    1954-1962 : Le terrorisme durant la guerre d’Algérie :

    Le terrorisme et la politique de terreur d’État, ont été des éléments structurels de la Guerre d’Algérie, une guerre coloniale et une guerre civile. Il s’agit ici d’évoquer le  sort des civils et certains attentats emblématiques, comme celui du 30 septembre 1956 par des militantes du FLN[1] au Milk Bar d’Alger ou celui de Château-Royal par l’OAS contre six membres des Centres sociaux éducatifs, le 15 mars 1962. 



     
    1
    Samedi 17 Février à 11:04

    La question de l'insécurité liée au terrorisme nous interpelle. On ne résoudra pas ce problème par des mesures policières, juridiques, militaires ou des leçons de morale. Il faut avoir le courage d'examiner ce qui produit de telles horreurs comme ce qu'a été DAECH. On ne fera pas l'économie de l'analyse de fond qui s'impose. Le terrorisme est né de l'effondrement de notre monde fondé sur la domination de ceux qui ont les moyens d'exercer ce pouvoir. Et c'est ce système qui a atteint ses limites et provoqué les actes terribles que nous avons vécus et qu'hélas nous risquons de revivre.

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