• LETTRE D'INFORMATION DE l'ANPROMEVO Association nationale pour la protection de la mémoire des victimes de l’OAS

    LETTRE D'INFORMATION

     DE l'ANPROMEVO 

    Association nationale

     pour la protection

    de la mémoire des victimes de l’OAS

    AVRIL 2018

    Quelques semaines avant l’assemblée générale de l’ANPROMEVO, prévue à Paris autour du 29 mai, il paraît utile de revenir sur deux événements qui en ont marqué l’activité au cours du premier trimestre 2018 :

    - d’abord avec la cérémonie d’hommage à la mémoire d’Alfred Locussol organisée le 5 janvier à Alençon (Orne) à l’initiative de M. Pierre Frénée et de Mme Annie Pollet et au cours de laquelle le message de vœux de Jean-François Gavoury à l’intention des adhérents, amis et correspondants de l’association a été lu en présence notamment de M. Joaquim Pueyo, vice-président de la commission de la défense nationale et des forces armées à l’Assemblée nationale ;

    - ensuite avec la célébration, le 19 mars, au cimetière du Père Lachaise, du souvenir des 755 jeunes Parisiens morts pour la France pendant la guerre d'Algérie et les combats de Tunisie et du Maroc, à l’occasion de laquelle la maire de Paris, accompagnée par le préfet de la région d’Ile-de-France et par le préfet de police, a déposé une gerbe de fleurs au pied de la stèle dédiée à l’ensemble des victimes de l’OAS en Algérie et en France.

    Cette lettre d’information est également le prétexte à la diffusion d’un article intitulé "L'OAS contre les institutions de la République", thème sur lequel le président de l’ANPROMEVO devait intervenir dans le cadre d’une Journée d’études sur l’OAS prévue le 28 février 2017 à Oran et placée sous la double égide du Ministère des Moudjahidine et du Centre de recherche en anthropologie sociale et culturelle (CRASC).

    VOEUX 2018

    prononcés à Alençon le vendredi 5 janvier à 11 h 

    par Mme Annie Pollet au nom

     de Jean-François Gavoury 

    2018, année en 8 

    Une année débute, qui en rappelle d’autres : 1958 et 1968 en particulier !

    1968, avec son mois de mai marqué, notamment en France, par sa révolte étudiante, ses mouvements sociaux et le vacillement des institutions jusqu’à la rencontre de Baden Baden au cours de laquelle le général de Gaulle reçoit du général Massu, commandant en chef des Forces françaises en Allemagne, l’assurance du soutien des armées face aux émeutes et barricades : des barricades qui en rappellent d’autres, meurtrières celles-ci, dressées par une partie des Français d'Algérie entendant manifester ainsi leur mécontentement après la mutation en métropole, le 19 janvier 1960, du général Massu, relevé de ses fonctions de commandant du corps d'armée d'Alger sur décision du président Charles de Gaulle.

    1958, avec son mois de mai marqué, le 13, par le putsch d’Alger au cours duquel les partisans de l'Algérie française prennent d'assaut le siège du Gouvernement général et créent un Comité de salut public civil et militaire, avec à sa tête le général Jacques Massu, bénéficiant du soutien tacite du général Salan, chef des Forces françaises en Algérie. Ce coup d’État sera le point de départ d’une crise qui précipitera la fin de la IVe République et entrainera un processus qui aboutira, quelques mois plus tard, à l’instauration de la Ve.

    Crise et déconstruction des institutions en 1958, crise et déconstruction des valeurs anciennes en 1968 : un même contexte insurrectionnel pour l’affirmation de deux utopies, celle d’une Algérie à jamais française et celle d'une société idéale.

    La Ve République survivra tant aux "événements" d'Algérie qu’aux "événements" de mai 1968 : sans doute sa robustesse face aux épreuves les plus violentes lui vaudra-t-elle de voir son soixantième anniversaire officiellement célébré en octobre prochain.

    ***

    Entre 1958 et 1968, un certain 3 janvier de l’année 1962, huitième année d’un conflit franco-algérien ayant viré à l’affrontement franco-français.

    Au lendemain de cette date, le 4 janvier, à 19 h 15, qu’apprend-on sur l’antenne de Paris Inter dans le journal radiophonique Inter Actualités ? (1)

    Jean Lefèvre : 

    « Hier, un fonctionnaire de l’enregistrement a été attaqué à Alençon. Maintenant on peut établir qu’il s’agit d’un attentat activiste. » 

    Francis Mercury ajoute : 

    « En tout cas, l’enquête est menée avec beaucoup de célérité par la police. 

    Voici ce que nous donne comme renseignements, à Alençon, notre correspondant : 

    Et le correspondant alençonnais de la radio nationale de préciser : 

    « Et d’abord, qui était cet homme dont les Alençonnais n’ont connu le nom qu’en lisant ce matin leur journal. 

    En effet, il est difficile de parler d’émotion à propos d’une personnalité discrète dont la vie publique était quasi inexistante. 

    Tout ce que l’on savait de lui, c’était qu’il partait régulièrement, pour de longs week-ends, dans la capitale où il aurait entretenu des relations avec les milieux nord-africains, relations qui lui avaient valu sa mutation d’office après une condamnation pour activité antinationale. 

    Pourtant, cet ancien membre du Parti communiste algérien ne s’était signalé d’aucune manière à Alençon, où ses collègues le considéraient comme un bon fonctionnaire, impeccable et consciencieux. 

    Les faits, on les connaît dans leur simplicité tragique et leur rapidité. 

    12h35 : M. Locussol, qui déjeune avec sa sœur, sort de son domicile pour répondre à un coup de sonnette. Deux coups de feu claquent. L’inspecteur de l’enregistrement tombe, ensanglanté. 

    14h06, une heure et demie plus tard : deux hommes, vêtus avec une certaine élégance, descendent de l’omnibus en gare du Mans. 

    Le commissaire de police d’Alençon, qui a recueilli dans l’intervalle un témoignage capital, téléphone à son collègue. On appréhende Robert Artaud, 23 ans, fils d’un publiciste parisien demeurant avenue Franklin Roosevelt : dans sa poche, un 22 long rifle de fabrication espagnole. Puis c’est la seconde arrestation, celle de Paul Stefani, 24 ans soudeur à Hassi-Messaoud, venu d’Alger par le « Ville de Marseille », Marseille où il avait débarqué le 23 décembre. 

    Artaud feint tout de suite l’ignorance, mais Stefani se trahit. 

    En mission spéciale, les deux jeunes gens ont, semble-t-il, descendu M. Locussol. 

    On devait apprendre dans la soirée, en effet, que Paul Stefani avait reçu d’un certain Willy (qui s’avèrera être Jacques Achard) – un officier de l’entourage immédiat de Salan – l’ordre de se rendre à Alençon et 200.000 anciens francs afin d’abattre M. Locussol qui faisait partie, ajoute-t-on, d’une section anti-OAS. « Vous pouvez maintenant faire de nous ce que vous voudrez : nous avons exécuté un ordre ». Au Mans, le transfert de Stefani et de son camarade, un comparse apparemment, est imminent. Mais la police multiplie les investigations : on pense que les listes trouvées dans la poche d’un des agresseurs mèneront sur des pistes nouvelles. » 

    Jean Lefèvre réagit en ces termes : 

    « Vous voyez donc que cette affaire risque d’avoir de profonds retentissements, non seulement à Alençon, où l’affaire s’est produite, mais également en province et à Paris. » 

    Daniel Pouget confirme : 

    À Paris et dans toute la France, c’est évident 

    Il n’est pas exclu que cette affaire trouve d’importants prolongements à Paris et en province. 

    Ainsi, on apprenait cet après-midi qu’un officier, le capitaine de Régis, avait été interpellé et se trouvait actuellement en garde à vue, interrogé au siège de la brigade criminelle. 

    Il n’est pas exclu non plus que l’arrestation de ce capitaine soit en rapport avec l’affaire d’Alençon qui aurait aussi des prolongements dans le Sud-Ouest. 

    Artaud, pour sa part, nie avoir eu connaissance des raisons qui poussaient Paul Stefani à pénétrer chez M. Locussol. 

    Nous apprenons ce soir que Roger Artaud, exerçant la profession de publiciste et demeurant à Paris, 14 avenue Franklin Roosevelt, a été appréhendé ce soir par les policiers de la brigade criminelle. Amené au siège de la police judiciaire, quai des Orfèvres, M. Roger Artaud ainsi que le capitaine de Régis subissent actuellement un interrogatoire préliminaire. En effet, ils seront transférés demain matin place Beauvau pour y être entendus par les policiers de la sûreté nationale qui sont chargés de l’enquête. 

    Jean Lefèvre conclut : 

    « Une affaire par conséquent qu’il convient de suivre de très près et qui aura probablement des retentissements dans les heures qui viennent. » 

    ***

    Dans les heures, certes, mais également dans les décennies, puisque cinquante-six ans après, les porteurs de la mémoire d’Alfred Locussol sont réunis ici et s’expriment.

    Ils s’expriment parce que faire acte de mémoire, c’est faire acte de parole.

    Ils parlent parce que l’actualité d’hier, celle des faits, contribue à cette vérité de l’histoire dont des discours révisionnistes ultérieurs, encouragés par les lois d’amnistie et de réhabilitation, ont pour objet de falsifier voire nier la réalité.

    Ils se rassemblent ici pour rappeler qu’Alençon a été le théâtre d’une exécution politique il y a cinquante-six ans.

    Et ici, ils affirment que s’en prendre à la stèle honorant le souvenir d’Alfred Locussol ne permettra pas à ses assassins de se libérer de leur passé criminel.

    Ils font acte de mémoire non pas tant pour obtenir repentance ou réparation de l’ancien État colonial que pour contrarier les tendances à l’amnésie collective et éviter la répétition de l’Histoire.

    Telle me paraît être la double vocation de la mémoire en action.

    Parce que j’en suis membre et surtout parce que leurs présidents respectifs m’y ont autorisé, j’associe « Les Amis de Max Marchand, de Mouloud Feraoun et de leurs Compagnons » ainsi que le Comité Vérité et Justice pour Charonne à l’hommage rendu aujourd’hui à Alfred Locussol, et, à travers lui, à celles et ceux que l’activisme terroriste de l’OAS a tués ou blessés, mutilés et traumatisés à vie, en Algérie comme en France.

    Heureuse année à celles et ceux qui soutiennent le combat des associations de victimes l’OAS. Et puisse 2018, dans le prolongement de 1958 et 1968, donner corps à une nouvelle utopie : celle d’un cessez-le-feu des mémoires !

    Jean-François Gavoury

    (1) [Source : http://www.ina.fr/audio/PHZ04015131  (de 4’13 à 8’25)]

     

    19 MARS 2018

     

    Célébration, le 19 mars, au cimetière du Père Lachaise, du souvenir des 755 jeunes Parisiens morts pour la France pendant la guerre d'Algérie et les combats de Tunisie et du Maroc, à l’occasion de laquelle la maire de Paris, accompagnée par le préfet de la région d’Ile-de-France et par le préfet de police, a déposé une gerbe de fleurs au pied de la stèle dédiée à l’ensemble des victimes de l’OAS en Algérie et en France : 

     
     

     

     
     

    L'OAS contre les institutions

     de la République 

    par Jean-François Gavoury

     président de l’Association nationale pour la protection de la mémoire des victimes de l’OAS (ANPROMEVO) 

     

    Avant-propos

    Le 5 octobre 2016, au nom de l’Association nationale pour la protection de la mémoire des victimes de l’OAS (ANPROMEVO), j’ai formulé auprès de la Mairie de Paris une demande de subvention pour le financement d’une Journée d’études relative à un projet de partenariat mémoriel entre les villes de Paris et Alger. Le 10 janvier 2017, je recevais de M. Brahim Zeddour un courriel d’invitation à participer, au côté notamment de Jean-Philippe Ould Aoudia, à une Journée d’études sur l’OAS prévue le 28 février à Oran et placée sous la double égide du Ministère des Moudjahidine et du Centre de recherche en anthropologie sociale et culturelle (CRASC).

    Les deux événements étaient sans lien, au point que le second n’a pas eu lieu cependant que la subvention sollicitée était obtenue en juillet 2017. Mais ils entraient en résonnance, comme s’il était écrit que le 55e anniversaire de la fin de la guerre d’Algérie devait marquer une étape décisive à la fois au regard de l’activité de l’ANPROMEVO et dans ma propre existence de fils de victime de l’OAS n’ayant posé qu’une fois le pied sur le sol algérien, le 3 juin 1961, à l’âge de 11 ans, pour assister, dans la cour de l’École de police d’Hussein Dey, aux obsèques du commissaire central d’Alger, mon père.

    Lors de ce colloque, il était envisagé que j’intervienne sur le thème qui fait le titre du présent article.

    ***

    De l’insoumission à la République

    Que ce soit à la veille ou au lendemain du putsch du 21 avril 1961, les cibles de l’OAS n’étaient pas le fait du hasard : étaient visés le siège des représentations gouvernementales, les infrastructures régaliennes ou d’intérêt stratégique, les élus, les services publics, les tenants de l’ordre social et républicain, bref, tout ce qui pourrait permettre à l’Algérie de vivre libre et indépendante, tout ce qui serait de nature à favoriser l’émergence d’une ère nouvelle de relations fraternelles entre les deux États et les deux peuples...

    Ainsi, dans l’un des rapports de présentation au Président de la République du décret du 1er mai 1962 déférant l’ex-général Salan devant le Haut Tribunal militaire le 15 mars 1962, on lit :

    « Pour se limiter à la ville d’Alger, sous le contrôle direct et immédiat de Salan, on peut mentionner des tirs au bazooka et au mortier sur le Palais d’Été, sur la place du Gouvernement, sur la caserne de gendarmerie des Tagarins, sur le quartier Belcourt et la casbah ; le mitraillage de la clinique Beaufraisier ; la destruction de la tour de contrôle de l’aéroport de la Maison-Blanche et l’attaque d’un véhicule transportant des militaires du contingent.

    « De même, de nombreux assassinats furent commis par des membres de l’OAS sur des gardes mobiles, des éléments des Compagnies républicaines de sécurité, des fonctionnaires de police, en particulier les commissaires Gavoury, Goldenberg, Joubert, Pélissier, sur des officiers tels que les commandants Poste, Grain et Bourgogne, sur des personnalités, notamment Me Popie, avocat à Alger et son successeur Me Garrigues, Me Frayssineaud, M. Abdessalam, directeur général de l’administration civile des finances à Alger, sur des médecins et des commerçants. »

    Lors du procès, les 11, 12 et 13 avril 1962, du général Jouhaud, qui avait assumé le commandement de la zone III (Oranie) de l’OAS durant les sept mois précédant son arrestation le 25 mars 1962, le président du Haut Tribunal militaire s’adresse en ces termes à l’accusé :

    « Il y a eu un nombre considérable de menaces. Il faut reconnaître que l’OAS a usé de la menace dans toute la mesure du possible : menaces contre le chef de l’État, contre le gouvernement, contre ses représentants locaux – préfet, préfet régional, inspecteur général de l’administration, préfet de police – contre les fonctionnaires, contre les commissaires de police, contre l’armée et nous avons vu que vous êtes passés à l’exécution contre les élus – car évidemment les élus algériens ont été aussi menacés -, contre la presse, contre ceux qui voulaient partir et aussi contre ceux qui voulaient rester. Il n’y a pas de catégorie qui n’ait été l’objet de menaces particulières de votre part, et ce qui est le plus abominable encore, c’est que ces menaces ne s’adressaient pas à des hommes, à des individus considérés à tort ou à raison comme des ennemis, mais à leurs proches, à leur famille, à leur affection. »

    Et le général Jouhaud de répondre :

    « Il est exact, effectivement, que nous avons prononcé un certain nombre de menaces à l’égard d’un certain nombre de corps constitués parce que nous étions des révoltés : nous ne pouvions pas admettre et nous n’admettrons jamais que l’Algérie, demain, cesse de faire partie de la France. »

    Plus tard, dans son réquisitoire, l’avocat général s’exprimera en ces termes :

    « La déclaration initiale du directoire insurrectionnel faite dans la forme d’une proclamation du Haut commandement en Algérie et au Sahara le 22 avril 1961 sous la signature de Challe, Jouhaud, Salan et Zeller donne la mesure de la menace grave qui a alors pesé sur les institutions de la République : « … le commandement ne préjuge pas les mesures propres à reconstituer dans l’ensemble de la France l’ordre constitutionnel gravement compromis par un pouvoir dont l’illégitimité éclate aux yeux de la Nation. »

    « Il était prévu une insurrection en métropole, laquelle insurrection devait être appuyée par toutes sortes de massacres, de plasticages, d’attentats, de meurtres et d’exactions. Alors donc c’est bien la preuve que ce complot avait nettement pour but le renversement du régime et des institutions républicaines. »

    Le même représentant de l’accusation citera l’extrait d’un tract n° T 563 diffusé à partir du 25 janvier 1962 : « C’est eux, les hauts fonctionnaires, que l’OAS rendra responsables dans leur personne, leurs biens et leurs affections. L’OAS ne reculera devant rien. »

    Il poursuit :

    « Jouhaud n’allait pas déposer les bombes et les plastics meurtriers, ni tirer le mortier qui arrosait d’obus tout un quartier d’Oran, ni aussi les avions qui allaient bombarder Oujda en territoire marocain, ni abattre à coups de pistolet les malheureux fonctionnaires, officiers, magistrats qui accomplissaient avec courage et dévouement les missions que leur confiait le Gouvernement légal de la République, ni mitrailler d’inoffensifs passants, bien sûr, mais combien plus coupable à mon sens est celui qui, en tant que chef d’une organisation séditieuse, ordonne, couvre et ne désavoue pas de tels forfaits. […]

    « On croit rêver quand on voit que de pareilles horreurs sont voulues et acceptées par des hommes qui se prétendent les défenseurs de la civilisation chrétienne et ont l’audace d’appeler la bénédiction de Dieu sur les incitateurs et les exécutants de ces crimes monstrueux.

    C’est ainsi qu’après le cessez-le-feu, entré en vigueur le 19 mars 1962, Salan termine par ces mots une allocution tendant à l’intensification de la lutte et transmise par l’OAS-III sous le numéro T 585 : « La résistance demande des efforts et des souffrances, mais nous savons aussi qu’elle nous conduit au bon port. Que Dieu protège notre combat. »

    Et l’un des deux défenseurs du général Jouhaud d’affirmer au cours de sa plaidoirie :

    « Ce sur quoi ne nous sommes pas d’accord, Monsieur l’Avocat général, c’est lorsque vous entreprenez de faire croire au tribunal qu’il a voulu renverser les institutions républicaines. Là, vraiment, je ne vois pas ce qui, dans le dossier, peut autoriser un pareil soupçon, … [lui pour qui] l’idée d’une France qui ne serait pas républicaine est aussi absurde que l’idée d’une Algérie qui ne serait plus française. Il n’y a rien dans le dossier à cet égard, rien ; c’est absurde. »

    Si j’ai mis l’accent sur certains échanges intervenus dans le procès du putschiste Jouhaud, ce n’est pas seulement parce qu’Oran était le siège de ses activités criminelles. C’est surtout parce qu’ils révèlent la fourberie du discours d’une organisation terroriste qui va progressivement s’installer dans le déni.

    La vérité, c’était que le premier des trente-sept points du manifeste-programme de l’OAS distribué des deux côtés de la Méditerranée et reproduit dans L’Express du 15 juin 1961, s’intitulait « CINQUIÈME RÉPUBLIQUE : proclamation solennelle de la déchéance de la Ve République, de ses principes et des hommes qui en sont maîtres et profiteurs. »

    L’on voit, dès le printemps 1962, se dessiner les prémisses d’une réécriture de l’histoire de l’OAS par ses propres dirigeants. Il est vrai que le général Salan lui-même en donnait une définition bien singulière en septembre 1961 : « L’armée secrète n’est pas une faction politique, c’est une véritable armée visant à mobiliser les Français sur le terrain essentiel de la défense des libertés fondamentales, de la justice sociale et du territoire national. ». Le chef suprême de l’organisation précisait même : « L’OAS ne sera jamais une équipe gouvernementale. Il y a une Constitution, il y a surtout des assemblées et un peuple de France. »

    Les milliers de témoins et victimes survivantes des actes criminels perpétrés par l’OAS en Algérie et en France ont sans doute vu dans le rôle de ce mouvement une autre dimension que simplement tribunitienne ! Tous les documents attestent de son mépris à l’égard des institutions et de son dessein consistant à abattre la République.

    ***

    à la soumission puis au sursaut de la République

    L’OAS de 1961-1962 est parvenue à faire vaciller la République sur ses fondements démocratiques.

    Cependant, sous l’effet d’une succession de lois d’amnistie (1) et de mesures de grâce collectives intervenues de 1964 à 1982, les anciens activistes de l’OAS, forts de leur virginité pénale retrouvée, ont eu toute latitude pour poursuivre leur mission d’asservissement de la République : non plus par la violence physique cette fois, mais par l’intimidation psychologique, le lobbying, le chantage électoral, formes plus subtiles d’un terrorisme qui infiltre et finit par subjuguer la classe politique jusqu’à la faire sombrer dans le révisionnisme.

    Les premiers résultats ont pris la forme :

    1°) d’un Mémorial de l’Empire colonial, dévoilé le 14 février 1971 dans l’enceinte du cimetière Lagoubran à Toulon, en présence de Jacques Soustelle, ancien gouverneur général de l’Algérie et co-fondateur en 1962 du Conseil national de la résistance, et du général Jouhaud ;

    2°) d’une stèle dédiée le 25 février 1973 à Roger Degueldre, symbole de l’Algérie française à l’intérieur du square Alsace-Lorraine à Nice ;

    3°) d’un vaste monument (deux mètres de haut sur six de large) aux « martyrs de l’Algérie Française », à nouveau à Toulon, au pied des remparts de la vieille ville, inauguré le 14 juin 1980 par Jacques Dominati, secrétaire d’État aux Rapatriés, en présence des grandes figures de l’OAS, au premier rang desquelles le putschiste Edmond Jouhaud ;

    4°) du Mémorial Notre Dame d’Afrique, situé sur un promontoire de Théoule-sur-Mer, composé d’une sculpture monumentale haute de douze mètres sur le mur d’enceinte de laquelle sont apposées plus d’une centaine de plaques commémoratives au nom de chacun des membres de l’OAS tombés pour la défense de L’ALGÉRIE FRANÇAISE (la première pierre de ce mausolée fut posée le 27 mai 1990 par Joseph Ortiz, activiste de l’Algérie française, l’un des principaux artisans de la « Semaine des Barricades » en janvier 1960 qui fit quatorze morts et plusieurs dizaines de blessés parmi les gendarmes mobiles chargés de rétablir l’ordre).

    Ces initiatives locales, dont les projets ont été conçus par d’anciens ultras de l’Algérie française et appuyés par des maires plus ou moins sincèrement acquis à leur cause, l’État en a cautionné la réalisation alors même qu’il lui appartenait de les empêcher en exerçant les voies de droit à sa disposition. Non seulement il ne l’a pas fait, mais, comme on vient de le rappeler à propos de Toulon, le Gouvernement est allé jusqu’à dépêcher l’un de ses membres à la manifestation inaugurale afin d’y prononcer une allocution : une allocution (en l’occurrence) troublée par les participants qui scandaient des slogans tels que « Amnistie » et « Réhabilitation » !

    Ainsi s’exprimait le jusqu’au-boutisme des nostalgiques de l’époque coloniale.

    La glorification formelle de l’OAS, littéralement gravée dans la pierre des cénotaphes et monuments érigés sur le domaine public, ne les contentait pas. Les premières lois d’amnistie ne leur suffisaient pas. La réhabilitation était leur objectif : non pas une réhabilitation de façade, mais le rétablissement par la loi dans les droits et prérogatives dont on a été déchu du fait d’une condamnation pénale.

    Certes, durant cette double décennie 1970-1990, rien ne justifiait que la question de l’Algérie française constituât l’enjeu d’une élection présidentielle. Et pourtant, tel fut le cas lors des campagnes de 1974 et 1981.

    Les revendications des anciens activistes ne seront pas satisfaites sous la présidence de Valéry Giscard d’Estaing : l’article 18 de la loi du 16 juillet 1974 portant amnistie exclut en effet leur réintégration de plein droit dans les emplois et dans les ordres nationaux (Légion d’honneur, Libération, Mérite), et le Premier ministre Raymond Barre invoquera, pour ne pas aller plus loin dans la concession au lobby pied-noir, un contexte politique inapproprié et les nécessités de la rigueur budgétaire : attitude méritoire sachant que des parlementaires de l’opposition socialiste avaient cru devoir proposer des amendements réclamant une amnistie plus large !

    Déjà, le député-maire de Marseille Gaston Defferre, peu suspect de sympathie à l’égard de l’OAS, avait, obéissant en cela à des mobiles inavoués, déposé un amendement lors de la première séance de discussion, le 23 juillet 1968, du projet de la future loi d’amnistie du 31 juillet 1968 : suggérant de « rétablir dans leurs titres, grades et fonctions tous ceux qui ont été impliqués par les événements d’Algérie », l’amendement en question fut repoussé par 21 voix contre 1 en commission des lois et rejeté par l’Assemblée à raison de 288 voix sur 385 suffrages exprimés.

    Quant à lui, François Mitterrand s’emploiera, dès le début de son premier septennat, à la mise en œuvre coûte que coûte de sa promesse de campagne formulée le 4 avril 1981 à Avignon, visant à un parachèvement du dispositif d’amnistie propre à effacer l’ensemble des séquelles, même de carrière, des événements d’Algérie. Acquise au forceps de l’article 49-3 de la Constitution, la peu glorieuse loi du 3 décembre 1982 relative au règlement de certaines situations résultant des événements d’Afrique du Nord bénéficiera à quelque 800 policiers, 400 administrateurs civils et 800 officiers renvoyés entre 1961 et 1963 de la fonction publique de l’État, civile et militaire.

    Ainsi, huit généraux putschistes – dont Edmond Jouhaud – seront-ils réintégrés dans le cadre de réserve.

    Le 13 février 2006, en préface du livre La bataille de Marignane, que Jean-Philippe Ould Aoudia et moi avons « co-produit », l’ancien ministre Pierre Joxe écrivait : « Quelles que soient à présent les conséquences juridiques des lois d’amnistie, ces crimes-là sont aussi ineffaçables que l’honneur des serviteurs de l’État dont ils ont provoqué la mort et auxquels il est juste de rendre hommage. »

    Dans le même ordre d’idées, Bertrand Delanoë, maire de Paris, dans son allocution précédant le dévoilement de la première stèle dédiée par une institution publique à l’ensemble des victimes de l’OAS en Algérie et en France, déclare le 6 octobre 2011 :

    « La vérité, c’est que, dans les pages de notre histoire, il y a des drames, il y a des douleurs inouïes, et ces douleurs inouïes, elles ne viennent pas de nulle part : elles viennent d’idées, elles viennent de pensées qui se traduisent par des actes barbares.

    « L’OAS, c’est une organisation terroriste, c’est une organisation criminelle, c’est une organisation qui a voulu détruire la République. Les victimes que nous honorons aujourd’hui sont des femmes, des hommes, des enfants, des policiers, des militaires, des Français, des Algériens, des femmes et des hommes morts parce qu’une organisation a contesté l’ordre démocratique, a voulu l’abattre et a utilisé les moyens les plus horribles pour tenter d’atteindre ses objectifs.

    « Pourquoi est-il si long, pourquoi est-il si dur de poser ces actes évidents ?

    « Je le dis avec émotion, gravité : je suis en même temps fier que Paris soit la première commune, la première institution française, à oser le faire, mais avec le regret que cela n’ait pas été fait plus tôt.

    « Aujourd’hui, nous arrivons à mobiliser contre le terrorisme, contre les idéologies barbares, et ce qui s’est passé il y a quelques décennies semble nous coûter plus.

    « Non !

    « Paris, aujourd’hui, capitale de la France, Paris capitale de la République, Paris héritière de valeurs universelles, de valeurs de libertés, des droits de l’homme, Paris aujourd’hui relève la tête en disant que l’OAS était une organisation idéologiquement criminelle et, dans ses actes, barbare.

    Cimetière parisien du Père Lachaise – 6 octobre 2011 

    Inspiré par le propos du Maire de Paris, j’ai écrit, au lendemain de cette inauguration :

    « Quelle épreuve d’avoir dû supporter que, depuis 1973 à Nice jusqu’en 2005 à Marignane, on statufie et piédestalise les singes sanglants de l’OAS et leurs maîtres à penser : le poignard, le pistolet et le plastic !

    « Quelle douleur d’avoir dû accepter que l’on cherche ainsi à réhabiliter l’uniforme du déserteur et à insinuer le poison du révisionnisme dans les blessures ouvertes par la guerre d’Algérie !

    « Comment, nous, victimes du fanatisme factieux, avons-nous pu admettre cette peine s’ajoutant à la peine ?

    « Accepter de voir l’homme au service de la terreur érigé, sur le domaine public, en héros d’une cause pourtant reconnue scélérate, c’est, pour le responsable politique, défier l’ordre et l’entendement républicains, c’est braver les valeurs fondatrices de la communauté nationale en portant atteinte en particulier à la fraternité.

    « Faire passer l’homme-terreur à la postérité, c’est conférer à ses crimes passés valeur d’exemple pour les générations futures, c’est abaisser les victimes et éprouver leur mémoire endolorie.

    Je précise aujourd’hui : c’est ajouter l’anti-mémoire à l’anti-histoire.

    A contrario, célébrer le souvenir des victimes de l’OAS, c’est délégitimer le terrorisme : la Ville de Paris l’a compris et le manifeste officiellement depuis cinq ans lors de chaque commémoration en lien avec la guerre d’Algérie, entraînant dans son sillage préfet de région, préfet de police et même, à titre exceptionnel, secrétaire d’État en charge de la mémoire et du monde combattant.

    ***

    Mon père, Roger Gavoury, a été la première victime causée par l’OAS au sein de la fonction publique de l’État : c’était à Alger, dans la nuit du 31 mai au 1er juin 1961.

    Qu’il me soit permis de rendre hommage à la mémoire du dernier commissaire de police victime de cette organisation, M. Marc Jorandon : c’était à Oran, le 14 mars 1962.

    14 mars 1962, soit vingt-quatre heures avant l’assassinat collectif, sur leur lieu de travail, à Alger, et dans l’exercice de leurs fonctions, de six inspecteurs des Centres sociaux éducatifs, à qui le statut de Mort pour la France n’a pas été conféré, mais dont le Gouvernement a reconnu la qualité de « victimes de leur engagement pour les valeurs de la République et pour l’indépendance de l’Algérie dans une relation fraternelle avec la France ».

    Dix ans après la fin de la guerre d’Algérie, Lucien Bitterlin, disparu le samedi 11 février 2017, rencontrait, pour les besoins d’une émission de télévision intitulée « Plein cadre », un responsable FLN de la zone d’Alger et un officier d’active originaire d’Algérie ayant rejoint les rangs de l’OAS : il appelait alors à « la décolonisation des esprits, au dépassement du passé et à la coopération ».

    Je complète aujourd’hui cet exposé en soulignant que la lenteur du cheminement montre combien cet objectif relevait du défi : la journée d’études oranaise du 28 février 2017 en était un, et elle n’a pas eu lieu !

    Que vivent la coopération et la fraternité des mémoires de la guerre d’Algérie !

    (1) « L’amnistie est une fiction en vertu de laquelle le législateur tient pour inexistant non pas les faits qui se sont accomplis, mais leur caractère délictuel » (Jean-André Roux, cours de droit criminel français, visé au jurisclasseur pénal).

    SOURCE : http://anpromevo.com/index.php/2018/04/10/loas-contre-les-institutions-de-la-republique/

    LETTRE D'INFORMATION   DE l'ANPROMEVO   Association nationale  pour la protection  de la mémoire des victimes de l’OAS

    Inoubliable souvenir

     du 6 octobre 2011 

     

    « Le livre de Dalila Kerchouche « Mon père ce harki » commenté par Jacques Cros... Et le témoignage de Dalila Kerchouche dans l'émission de Thierry ArdissonLe leader de l’Union juive française pour la paix se confie à Algérie Patriotique »

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