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Lettre ouverte à François Hollande Par Henri Pouillot Objet : "Révisionnisme de la Guerre de Libération de l'Algérie"
Lettre ouverte à François Hollande
Par Henri Pouillot
Objet : "Révisionnisme de la Guerre
de Libération de l'Algérie"
En ce 25 septembre 2016, vous venez de prononcer un discours en direction des Harkis. Une nouvelle fois, derrière quelques phrases, expressions, qui semblent enfin positives, vos prises de position relatives aux séquelles de la Guerre de Libération de l’Algérie révèlent, en fait, une forme de manipulation de l’Histoire, un déni de la Vérité.
Une nouvelle fois, au sujet de la Guerre de Libération de l’Algérie, vos propos ne sont pas à la mesure de la responsabilité de la France envers le peuple Algérien : je ne reprendrai que trois exemples, significatifs : le 17 octobre 1961, l’assassinat de Maurice Audin, et tout dernièrement les Harkis.
17 Octobre 1961 : Le 15 octobre 2011, alors que vous n’étiez encore que candidat à la Présidence de la République vous aviez signé la pétition initiée par le "Collectif du 17 octobre 1961" demandant au Président de la République de reconnaître et condamner ce crime d’état commis par la France le 17 octobre 1961. Le 17 octobre 2012, comme ce collectif n’avait pas de réponse aux deux courriers envoyés par ce Collectif, je suis un de ces militants (en tant que l’un des animateurs de ce collectif) qui ont patienté plus d’une heure sous la pluie devant la porte de l’Élysée sans pouvoir être reçu avant de connaître par un message d’agence de presse votre position : "Le 17 octobre 1961, des Algériens qui manifestaient pour le droit à l’indépendance ont été tués lors d’une sanglante répression. La République reconnaît avec lucidité ces faits. Cinquante et un ans après cette tragédie, je rends hommage à la mémoire des victimes." Mais dans ces trois phrases laconiques, vous aviez oublié d’évoquer qui est responsable de "ces faits". Ils ne sont pas reconnus comme un crime d’Etat, comme vous vous étiez engagé un an plus tôt à le faire.
La mort de Maurice Audin : Le 17 juin 2014 vous diffusiez un communiqué remettant en cause, enfin la version officielle de son évasion. Vous déclariez "Mais les documents et les témoignages dont nous disposons aujourd’hui sont suffisamment nombreux et concordants pour infirmer la thèse de l’évasion qui avait été avancée à l’époque. M. Audin ne s’est pas évadé. Il est mort durant sa détention". Mais on ne sait pas encore comment est mort Maurice Audin : à cet âge là, il est difficilement admissible de croire à un décès naturel. Depuis 2 ans maintenant, ni les documents, ni les témoignages nombreux et concordants dont vous avez disposé pour cette déclaration ne sont connus. La famille, les historiens n’ont pu avoir accès à ces informations. Parce que j’ai demandé, dans une lettre ouverte au Chef d’Etat Major des Armées, quels étaient les documents et témoignages concordants évoqués je suis condamné à ce jour en première instance et en appel pour diffamation envers le Général Schmitt. Un comble !!!
Pourquoi ce déni de vérité, de transparence. Quels sont les responsables de ce qui est vraisemblablement un assassinat ? Qu’est devenu son corps ? Faudra-t-il attendre que sa femme, ses enfants disparaissent pour que toute la lumière soit enfin faite ?
Au sujet des Harkis : vous avez déclaré : "…et je l’affirme ici clairement, au nom de la République. Je reconnais les responsabilités des gouvernements français dans l’abandon des Harkis, des massacres de ceux restés en Algérie, et des conditions d’accueil inhumaines des familles transférées dans les camps en France. Telle est la position de la France."
Vous "oubliez" de dire que ce sont des victimes du colonialisme. La majorité ne "s’est pas mise sous le drapeau français". Vous "oubliez" de dire qu’une grande partie de ces harkis a été enrôlée de force, mais ne se sont pas engagés "pour contrôler un territoire de plus de 2 millions de kilomètres carrés que l’Armée Française ne pouvait soumettre".
Vous sous-entendez que la majorité des Harkis restés en Algérie, furent donc massacrés. Certes plusieurs milliers furent l’objet de répressions organisées localement parce qu’ils avaient été reconnus pour les exactions dont ils avaient été responsables, et souvent, comme en France après la libération en 1945, par les "résistants de la 25ème heure" (les marsiens en Algérie). La majorité des anciens harkis vit encore en Algérie et des dizaines de milliers perçoivent même la retraite d’Anciens Combattants.
Effectivement, les Harkis et leurs familles "parqués" dans les camps de Rivesaltes, Jouques… ont connu une discrimination honteuse. Certes quelques-uns, très rares, de leurs enfants sont parvenus à réaliser une scolarité leur permettant se sortir de la condition sociale misérable de leurs parents, mais la majorité continuent encore aujourd’hui, ainsi que les petits-enfants à connaître la discrimination liée à leurs origines d’indigènes.
La journée du 25 septembre est humiliante : en effet, ces harkis ont porté le même uniforme que moi dans cette période, ont vécu les mêmes difficultés, horreurs que moi. Il est donc scandaleux qu’il y ait une journée spéciale, différente de commémoration entre les militaires qui portaient le même uniforme que les appelés métropolitains, c’est constituer une discrimination inqualifiable à leur égard, une forme de racisme d’Etat, les considérant comme des citoyens de seconde zone.
Vous avez prôné : "Egalité : égalité des droits, égalité des chances, égalité aussi au nom de l’Histoire, que chacun est fondé à demander, quand son histoire a été blessée." Eh bien non, Monsieur le Président, ces déclarations à l’eau de rose, camouflant la dure réalité de cette période ne sont pas satisfaisantes, suffisantes. En falsifiant la réalité historique, en ne reconnaissant pas les victimes du système comme de réelles victimes, vous maintenez un climat de discriminations, des catégories de Français à part entière et des sous-citoyens du fait de leurs origines.
Quand l’État français reconnaitra-t-il ses responsabilités et condamnera les crimes commis en son nom ? Tout particulièrement pendant la Guerre de Libération de l’Algérie :
les crimes d’Etat : 8 Mai 1945, 17 octobre 1961, 8 février 1962,
les crimes de guerre : utilisation du napalm (600 à 800 villages rasés, des Oradour-sur-Glane), l’utilisation du gaz VX et Sarin,
les crimes contre l’Humanité : le colonialisme, l’institutionnalisation de la torture, les viols, les exécutions sommaires (corvées de bois, "crevettes Bigeard"…), les essais nucléaires du Sahara, les camps d’internements (pudiquement appelés camps de regroupements)…Je suppose que cette lettre, comme les précédentes que je vous ai adressées, restera sans réponse. J’avais portant voté pour vous en 2012, espérant, tout particulièrement sur ces aspects, que "Le changement, c’est maintenant" !!! Hélas, trois fois hélas !!!
Veuillez agréer, Monsieur le Président, mes respectueuses salutations.
Henri POUILLOT
Témoin de la Guerre de Libération de l'Algérie, de la torture.
Militant antiraciste, anticolonialiste, de la mémoire.« Terrorisme et résistance par Gilles Manceron6 octobre 2016 - Cimetière du Père-Lachaise 5e anniversaire de l'inauguration de la stèle de la Ville de Paris aux victimes de l'OAS »
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