• Louisette Ighilahriz c’est elle, rappelez-vous, elle a été la poseuse de bombe du FLN au Milk Bar mais hier la grande reportrice française Anne Nivat écrit cet article :

     

    En 2013 "la petite Dany du Milk Bar" revient pour la première fois  sur les lieux qui ont marqué son enfance

    Louisette Ighilahriz c’est elle, rappelez-vous, elle a été la poseuse de bombe du FLN au Milk Bar mais hier, dans le quotidien algérien « tsa-algerie.com » la grande reportrice française Anne Nivat écrit cet article :

    « Si vous êtes un homme, tuez-moi ! »

    C’est grâce à Louisette Ighilahriz*, à qui le journal le Monde a consacré sa « Une » ainsi que plusieurs articles, que la pratique de la torture par l’armée française durant la guerre d’Algérie est redevenue d’actualité au début des années 2000.

    La polémique qui s’en est suivie a fait sortir du bois tous les tortionnaires et leurs complices : les généraux Aussaresses, Schmitt, Bigeard, Massu…

    La France chiraquienne était sens dessus-dessous, rattrapée par son passé par la faute d’un bout de femme qui cherchait non pas à se venger, mais juste témoigner de ce qu’elle a subi, et aussi, si étonnant que cela puisse paraitre, de sa reconnaissance pour un…militaire.  Paradoxal ? Oui, mais cela vaut explication dans le récit de sa vie.

    Trop dégueulasse pour être violée

    Louisette, combattante au grand cœur, a eu le courage de dénoncer ce qu’elle a subi dans sa plus intime intimité. Arrêtée  alors qu’elle était au maquis, criblée de balles, mille fois elle a pensé mourir sous les sévices et mille fois elle renait, blessée dans sa chair, blessé dans son cœur, mais l’honneur sauf.

    En dépit des tortures du tristement fameux capitaine Graziani, sous l’œil du colonel Bigeard à la grande gueule, et le général Massu qui fera son « coming out » par la suite, elle ne dira pas un mot. Ne se mettra pas à table. Elle est du sang dont on fait les héros.

    Extrait, juste pour avoir un avant-goût de la cruauté des tortionnaires : « Les méthodes de Graziani étaient de plus en plus « musclées ». À présent, je ne comptais plus les gifles et les coups de poing. Mais l’essentiel de ses tortures ne s’exerçaient pas à mains nues. Il était toujours armé d’ustensiles pour s’acharner contre mon plâtre (NDLR : Louisa a été plâtrée à la suite de ses blessures par balles tirées par des paras lors de son arrestation). (…) Il ne pouvait pas non plus me violer, j’étais trop dégueulasse ! En revanche, il m’enfonçait toutes sortes d’accessoires dans le vagin. J’avais l’impression qu’il avait du temps à perdre, car je maintenais toujours mes dires. (…) Je ne lui enjoignais même plus de cesser, mais je lui disais que je préférais mourir : « Vous n’êtes pas un homme, si vous ne m’achevez pas. »-telle était ma rengaine ».

    Elle a eu le sort de tous les combattants emprisonnés dont certains furent torturés à mort. Elle eut plus de chance. Elle rencontra un homme, un médecin militaire qui fait figure, pour elle, d’ange sauveur. Si elle n’est pas morte, c’est grâce à cet homme dont elle se rappelle avec la douleur de la reconnaissance. Elle était dans un état terrible : sale, croulant sous ses excréments qui se mélangeaient à ses menstrues, une loque dont seule la respiration saccadée laissait croire que c’est un être vivant.

    Un homme en tenue kaki ouvre son cagibi. Il a un haut le cœur tant l’odeur est épouvantable. Il ferme la porte et revient aussitôt avec un mouchoir parfumé sur le nez pour supporter les effluves insupportables. Il soulève ses couvertures pour confirmer son sexe tant, dans cette situation, elle était presque sans sexe rendue méconnaissable par les tortures et les immondices. Va-t-il l’achever ? Le contraire.  À Mme Ighilahriz de nous raconter avec ses mots une rencontre qui l’a marquée à vie plus même que les tortures :

    « Il m’a dit d’une douce voix :

    -Mais, mon petit, on vous a torturée…

    Cet homme que je ne connaissais pas-apparemment un militaire français-s’inquiétait de mon sort, m’appelait « mon petit », et me vouvoyait !

    -Qui vous a torturée ? Dites-moi, qui ? Mon corps était couvert d’ecchymoses. Mon pubis était rouge et enflé. De toute évidence, mes plâtres avaient été malmenés, les traces de violences à mon encontre étaient manifestes. Et cet homme voulait savoir qui m’avait torturée… »

    « Mon petit, vous êtes bien jeune pour le maquis »

    Celui qui a été mordu par une vipère craint même une cordelette, dit un proverbe populaire. Louisette ne dira donc mot. Elle fait la carpe. Elle ne fait pas confiance à cet homme quand bien même il semblait sincère. Elle pensait à une autre ruse pour la mettre en confiance et la faire parler. Et quand avant de la quitter, il lui lance : « Ne vous inquiétez pas, mon petit, on va vous soigner », la prisonnière comprend tout de suite : « On va vous achever, et ce sera une corvée de bois comme une autre ».

    Mourir pour de bon, ah ! Comme elle était heureuse d’en finir : « C’était pile ce que je souhaitais. Enfin ! ». La méprise de Louisette était normale. Dans cet enfer, pire que celui très poétique de Dante, il n’y avait pas de place pour la bonté, il n’y avait que la noirceur de l’humain et sa pire face. Pourtant, le miracle se produit. Quelques heures plus tard, elle est transportée vers l’hôpital Maillot. Elle apprend de la bouche des militaires qui devisaient entre eux qu’elle est évacuée sur ordre du commandant Richaud. Ce qui n’avait pas l’heur de plaire aux infirmières qui, tout en la nettoyant, lui lançaient des vertes et des pas mures.

    Après les soins on la ramène dans la même piaule, nettoyée et sentant le propre. Miracle, on lui offre même un pyjama et, divine surprise, son nouveau lit est couvert de draps et couvertures propres. Elle n’est plus nue. Elle boit une soupe chaude dans une gamelle. Elle la trouve bonne. Elle croit qu’elle rêve. Mais voilà que le commandant Richaud arrive. Il soulève les draps, inspecte le nouveau plâtre. Il a l’air satisfait. Dialogue :

    -Mon petit, vous êtes bien jeune pour le maquis. Je vous en prie, laissez ça à d’autres. Aux hommes, par exemple !

    De nouveau je pense que ce Richaud cherche à se livrer sur moi à de l’action psychologique.

    -Vous savez, vous me rappelez ma fille ; elle a le même âge que vous. Cela fait six mois que je ne l’ai pas vue.

    Il a l’air triste.

    -Mon petit, que puis-je faire pour vous ? ajoute-t-il.

    C’est alors que j’ai décidé de parler. Finalement, je n’avais plus rien à perdre.

    -La prison, ai-je répondu d’une voix forte. La prison ! Transférez-moi en prison, s’il vous plait…

    Il m’a regardée intensément, les yeux remplis de questions, l’air perplexe.

    -D’accord, a-t-il finalement répondu. C’est tout ? Vous ne voulez rien d’autre ?

    Si je lui avais demandé n’importe quoi d’autre, je crois qu’il l’aurait fait. Il m’aurait même rendu la liberté ». Elle ira donc rejoindre sa mère en prison.

    Ce commandant Richaud elle le cherchera sans relâche pendant quarante ans, quarante ans vous vous rendez compte, quarante ans juste pour lui dire : merci ! Merci pour ce que vous avez fait. À la fin de sa quête-enquête, Elle découvrira qu’il était l’intime de Massu et qu’il avait deux filles qui refuseront de la voir. Lui était mort trois ans avant qu’elle ne le localise. Tant pis, elle ira fleurir sa tombe.

    La voilà claudiquant, en compagnie de sa sœur Ourdia, sous un soleil de plomb dans un cimetière à Cassis, non loin de Marseille. Après une heure de recherche, ruisselante de sueur, mais le cœur serré d’impatience, elle découvre enfin la tombe si recherchée ! Alors, alors elle pleure devant la tombe qui porte une simple inscription : « Francis Richaud, 1917-1997 ». L’insigne de la Légion d’honneur est déposé sur le marbre. C’est tout ce qui reste du sauveur de la Moudjahida. Non, pas tout, il reste encore, immense, la gratitude de l’Algérienne qui lui doit la vie.

    Assise près de lui, elle verse des torrents de larmes comme s’il était un membre de sa famille. Non, pas un membre, son père, et d’une certaine manière, il l’était puisqu’il lui a redonné la vie alors qu’elle pensait la perdre. Elle sort de son sac un stylo-feutre noir pour écrire sur la stèle : « Avec toute ma gratitude-Louisette. » Elle est soulagée Louisette, mais il lui faut faire un geste de plus pour cet homme, ce militaire, différent des autres, cet humain parmi des monstres. Alors elle se rend dans un magasin d’articles funéraires et achète un petit rectangle de laiton gris anthracite orné d’une colombe avec un rameau sur lequel elle grave en lettres dorées : « Où que tu sois, tu seras toujours parmi nous. Louisette ». Ce rectangle sera déposé le lendemain sur la tombe du docteur Richaud. Il n’est pas sûr que du côté Français pareil geste a eu lieu…

    Le geste, si noble de Louisette, résume l’état d’esprit des combattants algériens : ils se sont battus sans haine ni cruauté pour l’indépendance du pays contrairement  à l’armée coloniale qui a usé de toutes les dérives pour le maintenir sous sa domination.

    « Et les enfants de martyrs, ils vont habiter où ? »

    L’autre geste marquant qui a valeur d’exemple dans cet ouvrage est celui de son père à l’aube de l’indépendance quand elle voulait prendre possession d’une belle villa. Le père, moudjahid, ulcéré, la soufflète et lui lance : « Tu as donc lutté dans le seul but de posséder une villa, c’est tout ? S’est-il mis à hurler. Et les enfants des martyrs, ils vont habiter où, à ton avis ? »

    Comme des milliers de Moudjahidine et des millions d’Algériens, il sera déçu par les dirigeants de l’Algérie indépendante : tout ça pour ça…Mais il ne perdra jamais foi, jusqu’à sa mort, dans son pays.

    Celle qui a défié les paras et soulevé leur admiration, comme le confia l’un d’eux, l’ex–adjudant Raymond Cloarec à une journaliste du Monde, ne recula pas, non plus, durant la décennie noire, devant les « barbus » du FIS dont trois d’entre eux, faisait régner la terreur dans le quartier tout en la toisant avec haine.

    Elle va les voir, les salue en arabe et leur dit : « Si vous avez besoin de quelque chose, sonnez à ma porte, je vous répondrai. D’autre part, tout le monde ici a remarqué votre présence et nous savons que vous n’êtes pas du quartier. Faites attention : vous risquez d’avoir des ennuis. Ils étaient tous trois vêtus à l’occidentale, en jeans et tee-shirts, et armés. Presque naturellement, j’ai poursuivi la conversation en français, mais eux tenaient à s’exprimer en arabe ». Brave Louisette qui fait figure de Martienne s’exprimant devant des zombies…

    S’ensuit alors cette leçon extraordinaire d’une dame infirme devant trois « islamistes » qu’on devine médusés : « Je ne suis pas convaincue par le nouvel islam que vous voulez nous imposer, ai-je ajouté avec gravité. Votre bon Dieu n’est pas le mien, nos deux façons de pratiquer l’islam semblent incompatibles, alors que je suis aussi croyante que vous, et peut être même plus sérieusement que vous. Alors, s’il vous plait, faites ce que vous devez faire de votre côté et laissez-moi libre du mien. Et si votre Allah vous autorise à massacrer des bébés et trancher la gorge des adultes, le mien ne pardonnera jamais au votre ce travail sanguinaire ».

    Après ce sermon, elle tourna les talons non sans leur préciser qu’elle n’a comme arme que sa canne. Ils lui répondirent par des ricanements : « Elle est vraiment cinglée, cette vieille folle. Vraiment à côté de la plaque ! ».

    C’est cette « vieille folle » qui leur a permis de naitre dans un pays indépendant et de l’insulter en toute liberté. Les paras sont partis. Mais leurs fils – ou ce qui en tient lieu- sont restés pour terminer le boulot : torturer, assassiner, violer…

    Ainsi va l’Algérie qui tombe de Louisette Ighilahriz et Hassiba Ben Bouali à une bande de terroristes sanguinaires qui avaient le projet de « coloniser » à leur tour l’Algérie.

    *Louisette Ighilahriz Algérienne (récit recueilli par Anne Nivat)

    SOURCE : https://www.tsa-algerie.com/si-vous-etes-un-homme-tuez-moi/ 

     

     

     

    En 2012 Danielle Michel-Chich a pu rencontrer

    Zohra Drif la poseuse de bombe du FLN

    Guerre d'Algérie : "Je n'ai pas de colère,

    pas de rancœur, pas d'envie de revanche" 

    Blessée dans un attentat en Algérie en 1956, Danielle Michel-Chich, dans sa "Lettre à Zohra D.", livre un témoignage apaisé.

    Août 1956, des partisans de l'Algérie française font éclater une bombe, rue de Thèbes, dans la Casbah, provoquant de nombreux morts et blessés. En représailles, les nationalistes, sous l'égide de Yacef Saadi, vont commettre des attentats dans le centre d'Alger. Le 30 septembre 1956, c'est la veille de la rentrée des classes. Les vacances touchent à leur fin. 

    Danielle Michel-Chich, surnommée "Dany", bientôt cinq ans, déguste une dernière glace au Milk Bar, glacier populaire d'Alger, rue d'Isly, avec sa grand-mère. C'est ce même jour, en fin d'après -midi que Zohra Drif, jeune militante FLN de 22 ans, dépose la bombe qui va tuer la grand-mère et arracher la jambe de la petite fille. Ce jour-là, la Cafétéria est aussi la cible d'un attentat. En tout, les attaques font quatre morts et une cinquantaine de blessés. 

    Une survivante 

    Quelques cinquante-six années plus tard, Danielle Michel-Chich entreprend d'écrire une lettre à celle qui a brisé sa vie. Elle ne cherche pas à dresser un tableau historique de l'événement. Elle raconte sobrement ce que fut sa vie de petite fille confrontée à la souffrance, aux multiples opérations, aux douloureuses prothèses. La différence engendrée par cette jambe manquante. Etre la seule fillette en pantalon à l'école, alors que l'époque était aux robes courtes et aux socquettes blanches. Mais elle nous communique aussi cette soif de liberté, cet appétit de vivre et d'en vouloir toujours plus. 

    "L'important n'est pas ce que l'on fait de nous, mais ce que nous faisons nous mêmes de ce qu'on nous a fait ". La formule de Jean-Paul Sartre est en exergue de son livre. Danielle Michel-Chich a la soixantaine rayonnante d'une femme qui a su mener la vie qu'elle désirait en dépit du traumatisme initial. Elle ne se voit pas comme une victime. Elle se décrit comme une survivante. 

    "Les victimes, ce sont mes parents qui ont été sidérés par le malheur. Ils étaient très jeunes, j'étais leur fille unique qui avait perdu sa jambe. Mon père avait perdu sa mère chérie. Je les voyais trop malheureux et malgré mes cinq ans, je suis devenue leur mère", déclare-t-elle à présent. Danielle était forte, serrait les dents et allait de l'avant. 

    Le silence du traumatisme 

    A la maison, c'est le silence, le déni. On ne parle pas de l'évènement. "Avec ce qui nous est arrivé" disaient seulement ses parents. "Si l'on faisait comme si rien ne s'était passé, c'est que rien de grave ne s'était passé", écrit l'auteur. 

    A la maison, la petite fille est protégée des bruits de la guerre. "J'y étais rentrée sans jamais savoir que nous étions en guerre." Elle est choyée, entourée de ses oncles, de ses tantes et de ses cousins. Cependant, les adultes chuchotent devant elle des propos qu'ils n'auraient jamais du tenir devant une enfant. Elle ne pourrait pas se marier, elle ne pourrait pas avoir d'enfants ni mener une vie normale. Pour Dany qui enregistrait tout, ces paroles étaient des inepties. La petite fille se promettait le contraire."Je n'ai jamais douté de moi et de mon avenir" affirme-t-elle aujourd'hui. 

    "La France, une patrie de manuel scolaire" 

    L'avenir commence pour elle en juin 1962 , quand la famille quitte l'appartement de la rue Richelieu, au centre d'Alger, pour partir en métropole, en suivant le vent de l'histoire. "La France , une patrie de manuel scolaire", c'est ainsi que Danielle se représente le pays où elle va désormais vivre. Elle fait partie d'une famille juive installée sur le sol algérien depuis des siècles. Ils ne sont pas des "rapatriés", ils ne retournent pas dans une patrie dont ils ont pourtant la nationalité. 

    A Toulon, Dany abandonne son diminutif et exige désormais qu'on l'appelle Danielle. Une identité toute neuve "entière et intègre" pour celle qui va se lancer dans une nouvelle vie avec avidité. L'adolescente, se passionne pour les livres. Dans son enfance, ils étaient une distraction. Ils sont à présent une nécessité. En 1969, le bac en poche, la jeune fille prend ses distances et fuit le périmètre familial. Elle entame d'abord des études de lettres à Marseille avant de les poursuivre à Paris, à la Sorbonne. 

    Militante et des contradictions 

    Danielle s'engage rapidement dans des activités militantes. Auprès des féministes et du MLAC (Mouvement pour la Liberté de l'Avortement et de la Contraception), mais aussi dans les luttes anti colonialistes, et anti impérialistes, qui imprègnent fortement les années 70. Ce n'est pas toujours facile, au plus fort de ces combats, d'avoir l'étiquette de "rapatriée", souvent assimilée à la droite extrême. 

    Qui plus est, d'avoir été blessée par ceux-là mêmes dont elle défendait la cause. La jeune femme ressent alors un hiatus entre son histoire et l'Histoire. "Engagée dans la lutte à leurs côtés, je trouvais mon histoire déplacée. Leur dire qui j'étais, ce que j'avais vécu dans le fracas de cette période, m'aurait rendue suspecte", écrit-elle. Alors sans vraiment dissimuler ses origines, elle élague lorsqu'on l'interroge sur son handicap ou ment par omission. 

    Plus tard, mariée et mère de famille, Danielle passe quelques temps à Houston, Texas. Là-bas, elle se sent légère, libérée de l'image qu'on se fait d'elle en France. En Amérique personne ne connait l'Algérie et son histoire. Pourtant, lorsque se pose la question de la transmission, l'auteur dit n'avoir qu'un regret, celui de ne pouvoir rien montrer de ses premières années à ses propres enfants. Pas de maison, pas d'école, aucun des lieux où elle a grandi. Si l'on soupçonne un brin de révolte chez cette femme sereine et souriante, c'est là qu'elle se niche. 

    Désillusion 

    Lorsque Danielle Michel-Chich entreprend son récit, elle se méprend sur l'identité de la jeune femme qui a posé la bombe au Milk Bar. Pendant des années elle a pensé que l'auteur de l'attentat était une autre militante du FLN, Djamila Bouhired. Cherchant à en savoir davantage sur la destinataire de sa lettre, elle découvre sur Internet la véritable identité de celle qu'elle appelle "Madame". Zohra Drif, personnage public de premier plan dans la vie algérienne, une apparatchik "glaciale, sans idéal et sans regret", loin de la jeune combattante qu'elle avait imaginée. 

    Le peu de colère que j'ai, dit l'auteur, c'est pour ce qu'elle est devenue. "Vous n'êtes décidément, Madame, pas du tout celle que je voudrais!" s'exclame-t-elle dans son livre. 

    Son récit, Danielle l'a voulu apaisé. Elle dit qu'on peut avoir souffert sans pour autant vouloir la vengeance. Le but ultime de cette lettre à Zohra D. est de poser la question morale du terrorisme, celle qui traverse l'œuvre de Camus : peut-on tuer pour une juste cause ? 

    Les réactions au livre commencent à se manifester. La toile bruisse de propos, étonnés de la part des Algériens, violents de la part d'associations de rapatriés. 

    La publication de ce récit a déjà permis à son auteur de renouer avec une amie de sa prime enfance, avant l'attentat. La fillette aurait dû se trouver au même endroit ce jour là. Invitée à partager les derniers moments des vacances autour d'une glace, sa mère déclina. Il fallait préparer la rentrée. Anne-Marie n'a pas oublié la chaise vide dans la salle de classe, le lendemain du 30 septembre 1956. Danielle, elle, a perdu tout souvenir d'avant le Milk Bar.

    Guerre d'Algérie : "et si on arrêtait 

     de se jeter nos morts à la figure ? " 

    En 2012 les ombres de Tipaza planaient sur le Vieux-Port, au théâtre de La Criée, où l'hebdo Marianne avait organisé un grand colloque sur la guerre d'Algérie "50 ans après". Pendant près de 3 jours, plusieurs dizaines de débats se sont succédés, dans un casting réussi qui mélangeait historiens, journalistes, politiques et témoins directs, des deux rives de la Méditerranée. La petite poignée de manifestants et la tension souvent très présente dans les salles du théâtre pendant les débats ont montré que cette guerre n'était pas encore rentrée dans l'histoire. Dans un des articles de Marianne qui annonçait le colloque marseillais l'historien Benjamin Stora "Monsieur Guerre d'Algérie", écrivait : 

    La guerre du souvenir n'est pas terminée. Entre l'Algérie, où le nationalisme exacerbé instrumentalise l'histoire, et la France, encore divisée aujourd'hui sur cette période, un immense travail historique reste à faire. 

    Au cours de ce colloque Danielle Michelle-Chich a pu poser une question à la poseuse de bombe Zohra Drif qui lui a répondu : 

     

    En 2013 "la petite Dany du Milk Bar" revient pour la première fois

    sur les lieux qui ont marqué son enfance

    Alger, le 30 septembre 1956. Au Milk Bar, un attentat du FLN fait basculer la vie de Danielle. Amputée d’une jambe, elle déménage en France. Après une cinquantaine d'années, celle qu’on appelait "la petite Dany du Milk Bar" revient pour la première fois sur les lieux qui ont marqué son enfance. Adel Gastel l'a accompagnée.

    "Ne m'appelez plus Dany", insiste-t-elle. "Je m'appelle Danielle, Dany est un morceau !" Ceux qui ont connu la guerre d'Algérie se souviennent pourtant de la "petite Dany du Milk Bar". Le 30 septembre 1956, une bombe du FLN (le Front de libération nationale) explose et lui arrache une jambe. Elle avait cinq ans. Sa grand-mère Éléonore est tuée dans l'attentat.
    Une cinquantaine d'années plus tard et alors que l’on vient de célébrer le cinquantième anniversaire de la fin de la guerre d'Algérie, Danielle Michel-Chich a accepté de retourner sur les lieux de son enfance.
    Dans le quartier populaire de Soustara, à Alger, les noms des rues ont changé et portent désormais les noms d’Algériens tombés pour l'indépendance. "C'est ici que j'ai réappris à marcher", se souvient Danielle en voyant une descente piétonne. "Après ma sortie d'hôpital, le prothésiste a appris à ma mère la formule talon-pointe qu'elle me répétait…"
    Danielle arrive enfin devant le numéro 5 de la rue de Nuits, aujourd'hui rue Yataghène. Elle hésite : qui habite dans l'immeuble aujourd’hui ? Comment va-t-elle être reçue ? Dans l'obscurité des escaliers, les souvenirs remontent. Des Algériennes de sa génération lui ouvrent leurs portes. Émue, Danielle revoit les ombres de ses parents et de sa grand-mère Éléonore déambuler dans l'appartement.
    Il est temps d'aller au cimetière de Bologhine, Saint-Eugène autrefois. Éléonore est enterrée là-bas, dans le carré juif. Danielle ne sait pas où précisément. Le gardien du cimetière non plus. Retrouver une tombe abandonnée depuis plus d'un demi-siècle n'est pas tâche facile. Des arbustes couvrent le cimetière et les pierres tombales sont parties en morceaux, comme ces morceaux de mémoire que Danielle tente de recoller. Elle ne trouve pas la tombe d'Éléonore, mais celle de son frère, "l'oncle Prosper".
    "Nous aurions dû tous pleurer", soupire Danielle, persuadée que Français et Algériens auraient dû faire le deuil de cette histoire commune pour avancer. Danielle quitte le cimetière et Brahim, le gardien, lui promet de poursuivre les recherches. Promesse tenue. Brahim a retrouvé la pierre tombale d'Éléonore Chich.

    Par Adel GAST 

    Merci de cliquer sur le lien ci-dessous pour visualiser une remarquable vidéo concernant la petite " Dany du Milk Bar " qui est tout le contraire des haineux nostalgériques extrémistes puisqu'elle a été dans toutes les luttes anti colonialistes et anti impérialistes qui ont imprégné fortement les années 70. Ces haineux nostalgériques extrémistes qui occultent, par ailleurs, les attentats terroristes et criminels de l'OAS, mais nous avons mis en ligne de nombreux articles sur ce sujet et nous en mettrons d'autres...

    http://www.france24.com/fr/20130713-reporters-algerie-memoire-morceaux-petite-dany-milk-bar-attentat-fln-adel-gastel

    En 2013 "la petite Dany du Milk Bar" revient pour la première fois  sur les lieux qui ont marqué son enfance

    Anne Nivat a écrit « Algérienne »

    « Je souhaite que les Français sachent qu'en Algérie, entre 1954 et 1962, il ne s'est jamais agi d'une opération de « maintien de l'ordre » ni d'une « pacification ». J'écris pour rappeler qu'il y a eu une guerre atroce en Algérie, et qu'il n'a pas été facile pour nous d'accéder à l'indépendance. Notre liberté a été acquise au prix de plus d'un million de morts, de sacrifices inouïs, d'une terrible entreprise de démolition psychologique de la personne humaine. Je le dis sans haine. Le souvenir en est lourd à porter.
    Je souhaite que mon témoignage en provoque d'autres des deux côtés de la Méditerranée ; que les langues d'anciens appelés et d'officiers français qui ont vécu cette guerre et survécu se délient. Je souhaite que l'on retienne de mon histoire qu'il faut préserver l'être humain, d'où qu'il vienne. Ce n'est ni en torturant, ni en avilissant ou dégradant qu'on parvient à ses fins, quelles qu'elles soient.
    Avec ce livre j'ai accompli mon devoir de vérité. »
    Recueilli à Alger par Anne Nivat (prix Albert-Londres pour Chienne de guerre, Fayard, 2000), ce récit autobiographique retrace la vie de Louisette Ighilahriz, militante et haute figure de l'indépendance de son pays. Il est emblématique de la douloureuse histoire franco-algérienne à l'heure où, plus d'un demi-siècle plus tard, d'aucuns font et diffusent des apologies de la torture.
     

     

    En 2013 "la petite Dany du Milk Bar" revient pour la première fois  sur les lieux qui ont marqué son enfance

    Louisette Ighilahriz c’est elle, rappelez-vous, elle a été la poseuse de bombe du FLN au Milk Bar mais hier la grande reportrice française Anne Nivat écrit cet article :

    La moudjahida et le parachutiste

    Ce film du réalisateur Mehdi Lallaoui nous montre les témoignages parallèles d'une martyre de l'indépendance algérienne, qui a subi avec sa famille les pires atrocités de l'armée française, et d'un ancien engagé parachutiste de la guerre d'Algérie qui reconnaît et raconte les horreurs que ses supérieurs lui ont fait commettre sans se compromettre eux-mêmes directement.
    Les deux témoins disent ce qu'ils pensent de Bigeard. Ils confirment sa responsabilité
    indéniable des pires excès et la position pertinente de ceux qui ont fustigé l'indécence du projet de transfert de ses cendres aux Invalides.
    Finalement, ce projet a été abandonné.

     

    A voir ou à revoir l'article ci-dessous :

    Source : http://www.micheldandelot1.com/la-4acg-anciens-appeles-en-algerie-et-leurs-amis-contre-la-guerre-nous-a114830702 

     

    « Comment "Le Monde” a relancé le débat sur la torture en Algérie *** Par Florence BeaugéSoixante après sa mort en Algérie, son copain d’enfance lui rend hommage « pour se souvenir » »

  • Commentaires

    3
    Mardi 21 Août 2018 à 20:30

    Quand la guerre est déclenchée il faut s'attendre à toutes les horreurs. Elle a sa logique faite d'enchaînement de violences. Plutôt que d'espérer adoucir la guerre il faut la prévenir.  La prévenir  par la justice. Il n'y a pas d'autre voie pour la paix. 

     

    2
    Mardi 21 Août 2018 à 19:47
    Marc Lavoine : «Deux Algériens ont sauvé mon père de la mort»
    Marc Lavoine n’a pas donné les détails de l’histoire de son père ni des circonstances exactes dans lesquelles il a échappé à la mort grâce à l’intervention des deux Algériens auxquels il rend hommage. «Je vis avec ces deux hommes qui lui ont sauvé la vie, le premier fut soigné à l’hôpital militaire, le deuxième était son ami qu’il appelait «mon frère»», raconte Marc Lavoine qui révèle que l’un des deux hommes «prit la balle tirée d’un fusil et mourut dans ses bras, au soleil d’un après-midi, d’une balle qui n’était pas pour lui».
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    1
    Mardi 21 Août 2018 à 19:44
    Voilà un dialogue qui ne devrait pas être une exception. Bien sûr il y a d’autres personnes qui comprenaient que c’etait la guerre et qui ont su éviter la rancoeur, des Roger Hanin, Marc L’avoine, Gérard Depardieu, etc, hélas trop rares....Il y a des Français qui ont souffert du fait de la résistance algérienne et admettent que c'est a cause de la guerre. Mais il y a beaucoup plus d’Algeriens qui ont compris que les petits soldats qui les ont pourchassés dans le djébel n’étaient pas des assassins. Que c’était la guerre.
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