• Martine Collet-Gamot est l’une de ces Pieds-noirs restés en Algérie, avec ses parents, jusqu’en 1965

    Martine Collet-Gamot est l’une de ces Pieds-noirs restés en Algérie, avec ses parents, jusqu’en 1965

    Le 5 juillet 1962, l’Algérie devient indépendante. Six cent mille Pieds-noirs ont déjà pris le chemin de l’exil, mais quatre cent mille restent. Au premier janvier 1963, plus de deux cent mille Européens et Juifs ne sont toujours pas partis, tentant le pari de l’Algérie algérienne. Ceux-là, qui les connaît ? Depuis un demi-siècle, les seules voix audibles sont celles des Rapatriés de 1962. Et parmi eux, qui entend-on le plus souvent ? Les plus nostalgiques de l’Algérie française, ceux qui affirment qu’ils sont “tous partis”, et qu’ils n’avaient le choix qu’entre “la valise ou le cercueil”. Or, ces affirmations sont fausses. La seule présence, attestée par les archives, de ces deux cent mille Pieds-noirs présents en Algérie en 1963, le prouve amplement.
    Pierre Daum est parti à la recherche de ces hommes et de ces femmes restés dans leur pays après 1962. Ceux et celles qui, au lendemain de l’indépendance, n’ont choisi “ni la valise ni le cercueil”. Certains ont quitté leur pays cinq ans plus tard, ou dix ans, ou vingt ans. De nombreux y sont morts, heureux de reposer dans la terre où ils sont nés. Aujourd’hui, quelques centaines y vivent encore.

    Martine Collet-Gamot est l’une de ces Pieds-noirs restés en Algérie, avec ses parents, jusqu’en 1965, voici son témoignage :

    « De cette séparation violente est né un lien extraordinaire

    incroyablement fort »

    Martine Collet-Gamot, rentrée en France en 1965, âgée de 12 ans

    Je suis née en 1953 à Sétif, de père et de mère français, constituant la 4eme génération de ma famille vivant sur le sol algérien. J’ai donc vécu le début de ma vie en temps de guerre. Pour autant, je n’ai pas de mauvais souvenirs de cette période. Magie de l’enfance et protection parentale ont su préserver des jours heureux. Il ne me restera que l’attachement profond à cette terre magnifique qui a bercé les premières années de mon existence. Et puis, l’indépendance et le choix de mes parents, rester !

    Trois ans sans guerre, de 1962 à 1965, la découverte d’une Algérie sans combats ni convois. Je garde de cette époque, les belles escapades dans le sud, au bord de la mer et la blessure déjà présente que provoquent les derniers instants de bonheur avant de partir. Un départ sans retour, une déchirure terrible, sans tambours ni trompettes, un arrachement en toute discrétion, comme un départ en vacances avec la promesse de revenir. Un cœur de plomb, des larmes retenues et la porte grande ouverte de la volière rendant définitivement la liberté à mes oiseaux.

    Partir en taxi, deux valises à la main, surtout ne pas se parler, ne rien laisser paraître, le désespoir de chacun de nous était perceptible, le moindre mot aurait déclenché des flots de larmes. Quitter notre patrie sans au revoir à nos amis, nos voisins, pour la plupart algériens, ne pas dire que l’on ne reviendrait pas mais ils le savaient et l’on avait tous du chagrin. Comme ils m’ont manqués, des années durant !

    J’ai compris bien plus tard, l’angoisse qui m’a alors habitée. Perdre toute relation avec son passé pour aller vers un avenir sans fondation, c’est comme être au milieu d’un océan, sur un rocher, sans  aucun pont pour rejoindre les rives. J’ai eu pendant longtemps le sentiment d’être apatride, ne sachant pas où poser mes valises. Ne m’investissant ni dans mes relations, ni sur un territoire ; trop peur sans doute de tout perdre à nouveau et de risquer de raviver ma douleur enfantine si bien cachée au fond de moi. A peine s’est elle réveillée lors de voyages en Tunisie ou au Maroc, les  bruits de la rue…les parfums…La douceur de l’air.

    Le temps est passé ; Thierry mon mari, nos enfants, Marion, Perrine, Augustin, ont redonné du sens à mon existence et l’envie de planter quelques arbres aux abords de notre maison. Le mot RACINES à ce moment là a pris toute son ampleur. Une partie des miennes étaient encore là-bas, à mon insu ou presque, elles m’avaient accompagnée et se sont manifestées de plus en plus souvent. Le désir de partir à la rencontre de mes souvenirs d’enfant s’est réalisé en mai 2009, avec une décision rapide, presque irréfléchie, ne pas trouver une nouvelle excuse, ne pas faire machine arrière, ne pas rater cette occasion. Retour aux sources avec ma sœur, un rêve mêlé d’inquiétudes qui, jusque dans l’avion, me paraissait  totalement irréalisable.

    10 jours d’une intensité qui vous chavire le cœur et l’âme, où les souvenirs se télescopent avec la réalité, où l’on reconnait sans reconnaître vraiment, où l’enfant est déçue, où l’adulte retrouve la base de ses souvenirs...Oui, c’était là, tu te souviens ? Enseignes défraîchies, mais toujours présentes, objets ayant appartenu à ma mère, conservés avec précaution au creux d’un tiroir, notre appartement, retrouvé à l’identique, il ne manquait que nos meubles. Plus de 45 ans après !

    On retrouve alors les lieux, ils sont là, on les embrasse du regard, on s’en imprègne pour ne plus les perdre, on les photographie encore et encore, garder une trace ! Pour moi, pour mes parents mais aussi pour mes enfants. Cette terre fait partie intégrante de ma personne, ils en gardent  forcément une empreinte et je voudrais que cette petite parcelle soit légère. Pour mon mari aussi, sur qui j’ai sans doute fait peser le poids de mon destin.

    Mais la plus belle découverte de ce voyage s’est révélée au fur et à mesure des rencontres. Retrouvailles où l’étonnement et la joie se mêlent, où l’émotion est encore teintée de regrets.

    De cette séparation violente est né un lien extraordinaire, incroyablement fort, qui a traversé le temps et l’espace, un lien fraternel qui nous a tous émus aux larmes et qui nous a accueillies avec ces mots merveilleux : vous êtes chez vous !

    Il est aujourd’hui pour moi, ce pont qui enfin relie les deux rives de mon existence et qui  rassemble en mon cœur deux peuples, deux terres. Cet attachement réciproque, qui semble indestructible, d’une humanité bouleversante, me fait rêver d’une population unie dans une Algérie en paix, où j’aurais aimé poursuivre ma vie.

    « D'une rive à l'autre, une mémoire toujours blessée FRANCE-ALGÉRIE, CINQUANTE-QUATRE ANS APRÈSPierre Daum présente, en Algérie, son dernier ouvrage sur les harkis »

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