• Montpellier : 61 ans après la guerre d’Algérie, la Ville rend hommage à Jacques Roseau

     

    Montpellier : 61 ans après

    la guerre d’Algérie, la Ville rend hommage

    à Jacques Roseau

    Montpellier : 61 ans après la guerre d’Algérie, la Ville rend hommage à Jacques Roseau

    Ce dimanche 5 mars à Montpellier, deux cérémonies célèbrent la mémoire de Jacques Roseau, militant pour la cause des rapatriés pieds-noirs, mort assassiné il y a 30 ans par 3 anciens membres de l’OAS.

    En présence du maire de la ville Montpellier, Michaël Delafosse, et de ses adjoints, Sébastien Cote, délégué aux Affaires militaires, Mylvia Houguet, déléguée aux Maisons pour Tous et à la Vie associative et Nicolas Marin-Koury, déléguée aux quartiers Croix d’Argent et Près d’Arènes, deux cérémonies rendent hommage à Jacques Roseau ce dimanche 5 mars dès 10h30.

    Un premier recueillement est organisé au niveau de la stèle qui lui est dédiée, place du Cardinal Verdier, puis rue du Mas de Lemasson, non loin de l’endroit où il a trouvé la mort le 5 mars 1993.

    La Maison des rapatriés d’Outre-Mer change de nom

    Lors d’une seconde cérémonie, la Maison des Rapatriés d’Outre-Mer du quartier Mas Devron sera renommée Maison des Rapatriés Jacques-Roseau en son honneur. Elle fut inaugurée en mars 1978 par le maire de l’époque, Georges Frêche. Ce fut la première en France ; l’initiative fut ensuite reproduite par d’autres grandes villes françaises.

    La maison, initialement située dans l’ancienne caserne des Pompiers du 36 rue Pitot, fut déménagée en 1986 au 31 rue Emile-Chartier, dans son bâtiment actuel. La salle polyvalente du lieu met à l’honneur une autre grande figure pied-noir locale, le docteur Jean Rosecchi. 

    Montpellier : 61 ans après la guerre d’Algérie, la Ville rend hommage à Jacques Roseau

    Jacques Roseau, un militant pied-noir

    qui divise

    Né à Alger en 1938 Jacques Roseau est arrivé en France en 1962. Rapidement, il a milité pour les droits des rapatriés. Il a d’abord été leader de l’Association des lycéens d’Algérie (Agelca), et a fait partie du Comité de salut public d’Alger en 1958. Après une courte adhésion à l’OAS (Organisation de l’armée secrète, anti-indépendantiste et proche de l’extrême-droite française), il a été écarté en raison d’une opposition aux exécutions aveugles de musulmans menées par l’organisation, qui réalisait de nombreux actes de nature terroriste.

    Il a créé l’Association des fils de rapatriés vers 1970, et en 1976, a fondé avec Guy Forzy l’association pour les droits des rapatriés le Recours, devenue Recours-France, en réunissant des associations pieds-noirs initialement rivales et en fédérant leurs intérêts.

    Interlocuteur médiatique privilégié à l’époque, il s’est impliqué dans la politique en s’appuyant sur la force électorale supposée de son mouvement. Il a appuyé la candidature de Georges Frêche en 1977 aux municipales, et au niveau national a soutenu François Mitterrand puis Jacques Chirac. Un rapprochement gaulliste qui a fortement déplu aux militants d’extrême-droite pieds-noirs, qui le jugeaient également trop opportuniste. Pendant plusieurs années, il a subi à plusieurs reprises des intimidations et des agressions, jusqu’à son assassinat le 5 mars 1993 par l’OAS.

    SOURCE : Montpellier : 60 ans après la guerre d’Algérie, la Ville rend hommage à Jacques Roseau - Hérault Tribune (herault-tribune.com) 

    Ecrit le 24/07/15 par Francis Gimenez :

    Assassinat d’un grand pied-noir :

    Jacques Roseau

    Montpellier : 61 ans après la guerre d’Algérie, la Ville rend hommage à Jacques Roseau

    A ceux qui m’ont traité sur les réseaux sociaux de vendu au FLN, de traître, de porteur de valises des fellaghas, de provocateur, parce que j’essaie de jeter un regard objectif sur mon passé de pied-noir, je signalerai que je ne fais que mon devoir de citoyen du monde. 53 ans après la fin de la guerre d’Algérie, j’estime que je dois témoigner. Il faut que cessent tous ces propos fallacieux tenus par des personnes qui ne l’ont pas vécue. Non, nous pieds-noirs, avant la Toussaint 54, n’étions pas plus racistes que les métropolitains, je dirais même beaucoup moins. Nous n’avons pas fait suer le burnous. Ce sont les gouvernements successifs depuis le début de la colonisation qui ont répandu les germes de la rébellion. 

    Mai 1945 : les « arabes » revenus vivants des combats contre le nazisme pour la liberté, au coude à coude avec les pieds-noirs, en entonnant le chant des Africains, croient naïvement pouvoir manifester pacifiquement pour obtenir plus de justice sociale, ne plus être français-musulman, mais français tout court. Plus de 1 000 morts parmi les indigènes et une centaine parmi les européens. (...) 

    À la Toussaint 54, la rébellion éclatait dans le sang des pieds-noirs et débouchait sur l’indépendance le 1e juillet 62. Par ce raccourci de la guerre de libération, j’ai tenté de justifier ce que je réplique à tous les ignares qui disent que ces salauds de bicots nous ont foutus à la porte : c’est la France la responsable de notre départ d’Algérie. 

    Le responsable n’est pas davantage de Gaulle. Porté au pouvoir par des militaires il a hérité d’une patate plus que chaude, il nous a menti en parlant de la France de Dunkerque à Tamanrasset et en promettant aux arabes la nationalité française, alors qu’il était raciste et ne l’envisageait pas. Mais il fallait éviter l’instauration en France d’une dictature d’extrême-droite. Les pieds-noirs ont cru au début que l’OAS (Organisation Armée Secrète) allait maintenir l’Algérie française. Mais elle n’a fait qu’ajouter du crime au crime. En tuant des intellectuels de toutes les couleurs, en plastiquant mon prof de philo Vié le Sage (nom prédestiné) parce qu’il prônait la réflexion, inconnue au bataillon, en tuant un voisin de mon âge en l’accusant à tort ou à raison de renseigner les barbouzes (police anti OAS). 

    J’ai cru fugacement à l’OAS Providence. Mais ses crimes m’étaient insupportables (lynchages, plasticages, mitraillages aux arrêts de bus, exécutions sommaires). Et j’en viens à Jacques Roseau, un ancien OAS qui n’a jamais admis les crimes de cette organisation. Forcé par ses parents de terminer à 20 ans ses études en France il échappa à la prison. Il s’adapta parfaitement à son nouveau statut de rapatrié, ou de « rat pas trié », comme le surnommaient ceux qui allaient l’abattre en 93, trois vieux ratés nostalgiques de l’OAS. 

    Il a payé de sa vie ses choix pragmatiques plutôt qu’idéologiques. Il avait réussi, ils ont échoué. Il croyait à l’avenir, ils n’ont cessé de remâcher le passé. Il songeait à une forme de réconciliation avec ses anciens ennemis algériens, ils ne le lui ont jamais pardonné. Il s’appelait Jacques Roseau, il avait 54 ans et une passion, le sort et la défense de ses frères rapatriés d’Algérie. 

    Montpellier : 61 ans après la guerre d’Algérie, la Ville rend hommage à Jacques Roseau

    Le maire de Béziers, Jacques Ménard, a préféré donner à une rue de sa ville le nom du commandant Denoix de Saint-Marc qui, bien qu’ancien héros de la Résistance, n’en a pas moins tué du viet, de l’arabe et du pied-noir. Jacques Roseau j’écris cette lettre pour ceux qui ne te connaissent pas, pour ta famille pour tes amis, tous ceux que tu as aidés en le payant de ta vie. Les mêmes ratés qui ont tué en Algérie t’ont tué en France. Vivant, tu leur faisais honte.

    Francis Gimenez 


    SOUVENIRS 

    L’assassinat du président d’une association de rapatriés, Le Recours, Jacques Roseau, le 5 mars 1993, avait fait rejaillir le spectre meurtrier de l’OAS dans l’actualité. Ce que reprochaient ses meurtriers à Jacques Roseau, c’était sa volonté de se rapprocher des Algériens en effaçant les vieilles rancunes. Les milieux “ultras”, nostalgiques de l’Algérie française, l’accusèrent d’être un “traître pro-arabe”, “pro-FLN”, d’autant qu’il s’opposait vigoureusement au discours raciste du lepénisme. Dans son livre paru en 1991, Le 113e été, il écrivait : “ Assassiner les Arabes, c’est un peu nous assassiner, assassiner l’Algérie de nos villages, assassiner nos rêves.” La transgression du tabou de l’Algérie française fut fatale à Jacques Roseau.  

    A MONTPELLIER LE 5 MARS 2011

     ILS ETAIENT BIEN PEU NOMBREUX

     CES RAPATRIES "MODERES" 

    Rapatriés : hommage à Jacques Roseau 

    Montpellier : 61 ans après la guerre d’Algérie, la Ville rend hommage à Jacques Roseau

    Photo : MICHEL PIEYRE 

    Il a été tué le 5 mars 1993. Il y a vingt-deux ans, Jacques Roseau tombait sous les balles à quelques pas de la Maison des rapatriés. L’assassinat du porte-parole du Recours-France avait un retentissement national et constituait un coup dur pour la communauté des rapatriés.  Le 5 mars 2011, devant la stèle élevée contre le stade Sabathé, son ancien collaborateur Roland Dessy l’a répété. « Jacques est irremplaçable. Nos affaires n’ont pas beaucoup avancé depuis. » Devant un petit parterre d’une cinquantaine de personnes, Jean-Pierre Moure puis Hélène Mandroux lui ont également rendu hommage. « Jacques faisait partie des hommes de foi, de convictions, des hommes debout», s’est inclinée le maire. 

    Rétrospective sur le Midi-Libre en 2014 : 

    Le meurtre fait resurgir le fantôme de l'OAS 

    dans la région

    Montpellier : 61 ans après la guerre d’Algérie, la Ville rend hommage à Jacques Roseau

    Trente et un ans après la signature des accords d'Évian, la question algérienne fait une nouvelle victime. Jacques Roseau, 55 ans, porte-parole de la Confédération des rapatriés Recours-France, est exécuté de trois balles de 11,43 au volant de sa voiture, le 5 mars, à Montpellier, près de la Maison des rapatriés, dans le quartier du Mas-Drevon. 

    Membre de l'OAS en 1958, où il s'occupait de communication et dont il fut exclu du fait de son opposition aux exécutions aveugles de musulmans, Jacques Roseau avait fondé le Recours dans les années 70 pour tenter - avec succès - de fédérer une mosaïque d'organisations rivales. Jouant sur le poids de l'électorat pied-noir, il avait su user de ce levier pour négocier des compensations en faveur des rapatriés d'Algérie et n'écartait aucune carte. De fait, s'il avait appelé à voter pour le socialiste Georges Frêche à la mairie de Montpellier en 1977 et pour François Mitterrand à la présidentielle de 1981, il avait soutenu Jacques Chirac lors de la cohabitation en 1986. 

    Le tireur présumé sera appréhendé le 7 avril. Il s'agit de Gérard Huntz, 58 ans, un ex-membre de l'OAS. Deux complices, Jean-Claude Lozano et Marcel Navarro, seront aussi arrêtés par la SRPJ de Montpellier. 

    Après une série d'interpellations dans les milieux de rapatriés proches de l'extrême droite, Gérald Huntz, un ex-membre des «commandos Delta» de l'OAS, est passé aux aveux. Il a tué le porte-parole du Recours de trois balles de revolver. 

    L'ASSASSIN présumé de Jacques Roseau est passé aux aveux. Gérald Huntz, un retraité de soixante ans, ancien membre des «commandos Delta» de l'OAS (Organisation armée secrète), a en effet reconnu hier avoir tué de trois balles le porte-parole du Recours-France, le 5 mars à Montpellier, la veille de la convention de son mouvement. 

    Huntz avait deux complices, Jean-Claude Lozano et Marcel Navarro. Le premier était l'exécutant, les seconds étaient chargés de la logistique et des repérages du lieu du crime. Tous trois sont membres de l'USDIFRA (Union syndicale de défense des intérêts français repliés d'Algérie). L'USDIFRA est connue pour son hostilité au Recours et la plupart de ses membres, d'extrême droite, sont des nostalgiques de l'Algérie française. 

    SOURCE : Assassinat d’un grand pied-noir : Jacques Roseau - micheldandelot1 

    « L’Algérie, de Gaulle et la bombe le film de Larbi Benchiha projeté le 17 mars au Centre Culturel AlgérienHommage national à Gisèle Halimi le 8 mars : L'un de ses fils refuse d'y assister »

  • Commentaires

    1
    Dimanche 5 Mars 2023 à 12:23

    Bonjour Michel,

    Merci pour tout ce que tu nous envoies ! 

    L’an dernier, nous avons monté à Marseille un collectif réunissant une quinzaine d'associations, « l’Algérie au coeur », pour commémorer le 60ème anniversaire de l’indépendance. Dans ce cadre et à l’initiative de l’association Promemo (PROvence, MEmoire et Monde Ouvrier) , le collectif à produit un livre, « Alg-Héritages », qui regroupe diverses contributions sur l’histoire et la mémoire de la guerre d’Algérie, vues de Marseille; https://www.syllepse.net/algherietages-_r_21_i_938.html.
     
    J’y avais contribué par un texte (« La guerre d’Algérie vue par les associations de pieds-noirs ») sur la naissance et le devenir de ces associations, et où il est question de l’assassinat de Jacques Roseau. Je le colle ic-dessous.
     
    Bien amicalement,
    Jacques
     

    La guerre d’Algérie vue par les associations de pieds-noirs.

    Ce texte vise au survol, à une présentation sommaire des associations pieds-noires existant aujourd’hui en France. Ceux que l’on appelle pied-noirs sont les Européens d’Algérie qui quittèrent leur pays natal pour la France avant, au moment et après l’indépendance. A cette différence dans le temps de l’exil correspondent des différences dans les situations que les uns et les autres occupaient en Algérie même. Dans un premier temps, nous reviendrons donc sur les Européens ou Français dans l’Algérie sous domination coloniale. Nous discuterons ensuite leur devenir, leurs évolutions durant la guerre d’indépendance, notamment lors de sa fin tragique. Nous traiterons alors de la naissance des associations pied-noires, de la diversité de leurs natures, de leur rôle et de leur impact dans la société française.

    Les Français dans l’Algérie coloniale
    Il faut entendre par là ceux qui avaient la nationalité française, soit des immigrés venant des quatre coins de l’Europe plus les habitants de religion juive et quelques milliers de notables musulmans ; à l’exclusion donc de la part colonisée de la population, sujets jusqu’en 1946, puis citoyens de seconde zone jusqu’en 1958 : un million contre neuf à l’indépendance.

    Il convient de souligner l’ambiguïté dans laquelle se trouvaient les Européens d’Algérie, à la fois “victimes” et “instruments” dans la société coloniale. D’un côté, ils étaient divisés en classes sociales antagonistes, avec une majorité de gens modestes ou pauvres (le salaire moyen était inférieur à celui des métropolitains), le côté “victimes”, et avec une minorité de possédants (gros propriétaires de terres, de ressources naturelles, de négoces) représentant le lobby colonial. Cette division en classes antagonistes explique que toutes les grandes villes, et ce jusqu’à l’indépendance, ont eu des municipalités de gauche ou d’extrême gauche (seuls votaient les citoyens français, pas les sujets). D’un autre côté, les Européens pauvres bénéficiaient d’une situation bien supérieure à celle des arabo-berbères colonisés, maintenus pour l’immense majorité dans une extrême précarité. Ils tenaient donc à ce que rien de ceci ne change, et furent des “instruments” pour le maintien de l’ordre colonial.

    Il s’agit là de deux facettes, deux éléments structurants de la société coloniale en Algérie : un antagonisme de classe entre Européens et un racisme multi-étage allant des Français aux “Arabes”, en passant par les Espagnols, Juifs ou Kabyles.

    Les Français d’Algérie face à la guerre d’indépendance.
    Le réflexe de classe évoqué plus haut, balancé par une situation privilégiée par rapport à la part colonisée de la population, ne reposait pas sur une analyse serrée de la société profondément inégalitaire dans laquelle ils vivaient ; à l’exception de deux catégories qui en avaient conscience. D’une part, des militants politiques - membres du parti communiste algérien (PCA, en ‘difficulté’ avec le PCF), libéraux et chrétiens de gauche - qui ont fourni le peu, quelques centaines, de Français d’Algérie qui ont participé à la guerre de libération. D’autre part, les groupes “Ultra” de l’Algérie française, longue liste d’officines secrètes d’extrême droite qui assassinèrent à l’envi : La main rouge, le FAF (Front pour l’Algérie française), l’UFNA (Union française nord-africaine), etc. ; les précurseurs directs de l’OAS !

    Si la plupart des possédants, gros colons, etc., avaient anticipé et assuré leur devenir en France, soit en s’y installant avant l’indépendance soit en y plaçant leurs capitaux, la grande masse des français d’Algérie vivaient l’ordre colonial, et la guerre, sans trop se poser de questions ; de manière naïve, trouvant une sorte d’équilibre, d’unité dans cette chaleur des peuples du sud, avec une langue abâtardie, le pataouet, un chauvinisme propre, la certitude béate d’être différents des autres, d’en être supérieurs et de vivre en privilégiés dans un pays magnifique. C’était “l’ordre des choses”.

    Ils ont ainsi continué de ne rien comprendre au mouvement national algérien et sa lutte pour l’émancipation ; avec ce moment particulier que fut la mascarade de la “fraternisation” du 13 mai 1958, une illusion à laquelle ils crurent et qu’ils vécurent comme l’espoir d’une réconciliation des différentes parties du peuple algérien, du rêve d’une Algérie d’un nouveau style faisant de tous des citoyens égaux, une Algérie certes moins inégalitaire mais toujours “française”. Et cet espoir déçu, cette illusion éteinte par la réalité, par les revirements politiques dans lesquels ils ont été juste trimbalés, en spectateurs - de l’Algérie française à l’autodétermination et l’Algérie indépendante – , le fossé qui irrémédiablement se creusait entre les communautés, la fin tragique de la guerre les ont conduit à un soutien tacite, ambigu mais réel à l’OAS ; même si seule une petite minorité y a vraiment participé.

    Naissance et objectifs des associations
    Du million de Français d’Algérie, 800.000 avaient quitté le pays en 1963 (les nantis bien avant) ; et la plupart des 200.000 qui avaient fait le choix d’y rester ont progressivement suivi ... , quelques centaines y sont encore. Cette population, devenue pied-noire, désarticulée par l’exil, la perte de racine, de repères familiaux et amicaux, s’est dispersée en France ; où, portant l’infamante (souvent imméritée) double étiquette colon et OAS, elle fut souvent mal accueillie.

    C’est dans ce contexte que sont apparues les premières associations. Toutes s’appuyaient sur le besoin de retisser des liens, de refaire société, mettaient en avant la douleur de l’exil, la nostalgie du pays natal ..., mais elles se distinguaient les unes des autres parce que d’une part elles n’avaient pas les mêmes objectifs, et que d’autre part elles portaient des regards différents sur la fin de la guerre et sur l’OAS.

    Le plus grand nombre correspondait à de petites ‘amicales locales’ d’anciens de ci ou là, (Bab-El- Oued,Tiaret ou Tizzi-Ouzou ... ; il y en eu des dizaines), de clubs sportifs, de corps de métier (jusqu’à une association des anciens chauffeurs de taxi d’Oran !). Elles n’affichaient en général pas d’objectifs particuliers sinon celui d’être ensemble, comme “là-bas” au bon vieux temps de l’Algérie française.

    Les associations nationales ont joué un rôle plus important, tant au plan social que politique. Les premières créées avaient pour objectif majeur la défense des intérêts matériels immédiats des pieds- noirs, néo-arrivants ou primo-arrivants (ceux qui pour la première fois mettaient le pied en France). La priorité pour eux était de reconstruire une existence dans ce pays et d’obtenir des pouvoirs publics la mise en place de dispositifs spécifiques pour le permettre ; d’abord à court terme par des aides sociales, prêts à l’installation, etc. ; puis à plus long terme par l’indemnisation des biens laissés outre-mer (notons ici que ceux qui n’avaient rien ou peu là-bas, n’eurent rien ou peu ici). Ces associations ne mettaient pas en avant les questions d’ordre mémoriel, d’analyse du passé colonial ou de la guerre d’indépendance. La plus ancienne, créée en 1957, et la plus active, fut l’ANFANOMA (Association Nationale des Français d’Afrique, du Nord, d’Outre-Mer et de leurs Amis), dont le but était de « constituer entre Français d’Afrique du Nord un lien de solidarité et un organisme d’entraide matérielle et sociale ». Citons également Le Recours, né plus tard, dans les années 70, quand l’ANFANOMA changea d’orientation et délaissa son objectif premier pour s’adonner à la mémoire et la glorification de l’Algérie française.

    L’ANFANOMA rejoignait ainsi le camp d’autres associations, créées par des chefs historiques de l’OAS immédiatement après la promulgation des lois d’amnistie des membres de l’OAS (1964 et 1968) : le général Jouhaud et le FNR (Front National Rapatriés) ; le général Salan et l’ADIMAD (Amicale pour la Défense des Intérêts Moraux et matériels des Anciens Détenus de l’Algérie française), qui s’appela un temps ADIMAD-OAS et aujourd’hui ADIMAD-MRAF (Mémoire de la Résistance Algérie Française) ; l’ultra Jo Ortiz et le comité Veritas. S’est ainsi constitué dans les années 80/90 un groupe d’associations pied-noires ouvertement d’extrême droite qui ont vite

    éliminé les autres ; parfois par le meurtre comme en 1993 l’assassinat par trois pieds-noirs anciens de l’OAS du président du Recours, Jacques Roseau qui avait pris ses distances avec l’extrême droite et portait une voix dissonante. Ainsi, à coté des ‘amicales locales’, seules sont restées en place les associations nostalgériques : celles qui se réclamaient ouvertement de l’OAS, comme l’ADIMAD, et celles qui se faisaient plus discrètes mais n’en pensaient pas moins, comme le Cercle
    Algérianiste ; et longtemps, ces associations ont été reconnues par les médias et par le politique comme portant la "parole pied-noire".

    Les associations rejetant la nostalgérie et le ressassement du passé pour activité principale, comme Coup de Soleil et l’ANPNPA (Association Nationale des Pieds-Noirs Progressistes et leurs Amis), sont apparues plus tard. Dès sa création, 1986, Coup de Soleil a mis en avant la culture et l’échange pour renforcer les liens entre maghrébins de toutes origines en incluant sa démarche dans le combat anti-raciste et anticolonialiste. Née plus tard encore, en 2008, l’ANPNPA se donnait deux objectifs : 1/ dénier aux nostalgériques la prétention de parler au nom de l’ensemble des pieds-noirs, dire le bien-fondé de la lutte des Algériens pour l’indépendance; 2/ œuvrer au renforcement de l’amitié des peuples des deux rives, à la solidarité avec les immigrés algériens, les bi-nationaux et les Français d’ascendance algérienne, à la lutte contre le racisme et la xénophobie.

    Ces associations sont aujourd’hui connues, s’expriment et sont entendues. Elles sont régulièrement sollicitées par les médias, par le politique, par des artistes, historiens, étudiants ..., elles participent ou organisent colloques et manifestations culturelles, sont incluses dans des réseaux d’organisations progressistes, luttent avec d’autres contre le racisme et la xénophobie, etc. Autant d’activités tournées vers l’avenir, à l’exact inverse de celles des associations nostalgériques, figées sur le passé.

    Qu’en est-il aujourd’hui ?
    Le discours nostalgérique reste le même qu’il y a 60 ans, avec cependant cette nouveauté de présenter maintenant les civils Européens morts ou disparus pendant la guerre comme des martyrs de l’Algérie française. Les associations comme l’ADIMAD et le Cercle Algérianiste entendent ainsi faire accéder leur groupe mémoriel au rang de “victime” de la guerre d’Algérie ; étape nécessaire vers l’objectif plus large d’une “réhabilitation” de l’Algérie française, contre les Algériens se battant pour l’indépendance (avec en arrière plan toutes les dérives racistes que ceci alimente ...).

    Soulignons combien les positions extrême droitières des associations nostalgériques sont en décalage avec la réalité de la société présente; pour faire court, seulement quelques éléments.
    - En décalage par rapport aux pieds-noirs. Ceux-ci se sont vite resitués dans les contradictions de la société française, fondus en elle en fonction de leur situation sociale, de leurs engagements, rencontres, etc. A côté d’une minorité d’excités enfermés dans une nostalgie absurde de l’Algérie française, la victimisation et le ressentiment, ils se distribuent par exemple sur l’ensemble de l’échiquier politique (quantité d’enquêtes ont montré qu’il n’existait pas de “vote pied-noir”).
    - En décalage par rapport aux travaux des historiens sur la colonisation et la guerre d’Algérie. Ces travaux ont largement fait progresser notre connaissance de la réalité des 132 ans de domination coloniale. La nostalgérie les tait et continue d’en haïr les auteurs.
    - En décalage par rapport au débat sur le passé colonial de la France et sur la résonance de ce passé dans notre société. Plusieurs facteurs alimentent ce débat : la diffusion des travaux des historiens dans la sphère publique et les médias ; la publication du rapport Stora (et la “publicité’’ faite autour) avec ses limites et ses attendus ; la multiplication des manifestations culturelles (littérature, théâtre, cinéma...) sur ces sujets ; les actions antiracistes et contre l’islamophobie ; les mobilisations citoyennes autour de dates symboliques (le 60ème anniversaire ...) ; et jusqu’à l’impact laissé dans l’opinion française par la beauté du Hirak en Algérie.

    Les associations progressistes, comme Coup de Soleil ou l’ANPNPA, tentent au contraire d’être en phase avec la réalité mouvante de notre société et d’y intervenir en prenant parti.

    Les associations nostalgériques, à l’inverse de leurs décalages face à la société réelle, sont politiquement bien “calées”, sur le flanc droit. De manière attendue, l’extrême droite et une partie de la droite républicaine continuent de les soutenir (soutien idéologique mais aussi financier, la mairie RN de Perpignan vient de voter une subvention 2022 de 100.000€ au Cercle Algérianiste). Le FN/RN affirme comme siennes leurs positions les plus radicales, glorification de l’OAS, stèles aux “martyrs” de l’Algérie française, re-baptème des rues du 19 mars, haine de "l’arabe", etc. La droite républicaine (façon Ciotti, Joissain ou Valérie Boyer), reprend ceux des thèmes qui sont acceptables pour son électorat traditionnel: la grandeur de la Nation, la France et son empire colonial, son héritage chrétien, le plus possible d’islamophobie et un racisme anti-maghrébin de bon aloi. Pour le RN et les autres, il s’agit ainsi de présenter les revendications nostalgériques comme autant d’arguments à l’appui de ces thèmes classiques de l’idéologie d’extrême droite ; un discours qui ne s’adresse pas particulièrement aux pieds-noirs mais à tout le monde, et qui s’inscrit dans les batailles idéologiques qui se mènent, ou sont à mener, aujourd’hui en France. 

     
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