• Mort de Jean Lacouture, le biographe des grands hommes *** MISE A JOUR 23/07/2015 : Hommage de Louis Bulidon sur MEDIAPART

     

    Mort de Jean Lacouture

    le biographe des grands hommes


    Photo : Gérard Julien/AFP
    Sa devise : "Ne pas raconter sa vie telle qu'on l'a vécue, mais la vivre
    telle qu'on la racontera".
    Photo : Gérard Julien/AFP
     
    Fervent partisan de la décolonisation, journaliste, écrivain, biographe, grand reporter au "Monde", Jean Lacouture est décédé le 16 juillet 2015 à l’âge de 94 ans.

    Journaliste et écrivain, Jean Lacouture a été, pendant de longues années, grand reporter au "Monde". Auteur de nombreux ouvrages traitant de l'époque de la décolonisation et de ses acteurs, il a également publié une série de biographies qui font référence, notamment sur Nasser, Blum, Mauriac, Mendès-France, Mitterand, Malraux ou De Gaulle mais aussi l'ethnographe Germaine Tillion.

    Né le 9 juin 1921 à Bordeaux, Jean Lacouture, diplômé de l'Ecole libre des Sciences politiques de Paris, devient l'attaché de presse du général Leclerc à la fin de la seconde guerre mondiale. Il découvre l'Indochine, où il fréquente les grands acteurs de la lutte pour l'indépendance, du général Giap à Hô Chi Minh. Jean Lacouture part ensuite au Maroc, écrit les discours du Maréchal Juin, puis devient journaliste. Collaborateur de Combat, France-Soir et du Nouvel Observateur, il est chef du service Outre-Mer puis grand reporter au Monde de 1957 à 1975. Il devient ensuite un biographe prolixe, parfois controversé, et un observateur passionné de son siècle. Il est l'auteur de plus de 70 livres consacrés à de grandes figures historiques, mais aussi au rugby, à l'égyptologue Champollion, au président Kennedy, à Stendhal ou Montesquieu. Professeur à l'Institut d'Etudes politiques de Paris (1969-72), il publie de 1984 à 1986 une vaste biographie de De Gaulle en trois volumes, et en 1991-92 une histoire monumentale des Jésuites, saluées par de nombreux spécialistes.



    Le texte suivant de Jean Lacouture a été mis en ligne

    le 26 mars 2005 par la Ligue des Droits de l'Homme

    de Toulon

    Mort de Jean Lacouture, le biographe des grands hommes

    SOURCE : http://ldh-toulon.net/26-mars-1962-la-fusillade-de-la.html#nb3

     

    26 mars 1962, la fusillade de la rue d’Isly à Alger 

     

    L’OAS organise des attentats à la voiture piégée – 25 morts à Oran le 28 février, 62 morts à Alger le 2 mai –, des journées de tueries aveugles – des préparateurs en pharmacie le 17 mars, des femmes de ménage le 5 mai... Ses commandos deltas procèdent à des assassinats, comme celui, le 15 mars, de six inspecteurs de l’Éducation nationale, dirigeant les Centres sociaux éducatifs, dont Mouloud Feraoun.

    Cette violence n’est pas seulement une fuite en avant désespérée. Elle relève aussi d’une stratégie : torpiller la sortie de guerre prévue, en tentant de provoquer, par les assassinats d’Algériens, une réaction de leur part – ce qui n’aboutit pas. Le vocabulaire de l’instruction 29 de Raoul Salan, le 23 février, est significatif de cette stratégie : « l’irréversible » étant « sur le point d’être commis », c’est donc « l’irréversible » qu’il faut empêcher.

    Dès le 21 mars, les responsables de l’OAS proclament dans un tract que les forces françaises sont considérées « comme des troupes d’occupation » en Algérie. Le 22 mars, des activistes armés prennent le contrôle de Bab-el-Oued. Ils transforment le quartier en un énorme fort Chabrol, attaquent des camions militaires et tuent six soldats du contingent en patrouille, provoquant l’encerclement du quartier par les forces françaises, qui l’investissent et le coupent de l’extérieur, faisant 35 morts et 150 blessés.

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    le Figaro du 24-25 mars 1962

    Le 26 mars au matin, le commandement de l’OAS proclame la grève générale dans le Grand Alger. Il appelle les Européens à se rassembler, et à gagner ensuite Bab-el-Oued, pour briser l’encerclement du quartier. Rassemblés rue Michelet, les manifestants empruntent la rue d’Isly pour rejoindre Bab-elOued. Mais ils se heurtent en chemin à un barrage confié à des tirailleurs, qui font feu. Le bilan – 54 morts et 140 blessés – traumatise la communauté européenne, désormais certaine d’avoir perdu.

    __________________________

    Alger, le 26 mars 1962 : la fusillade de la rue d’Isly

    par Jean LACOUTURE, Le Monde du 25 mars 1972 [3]

    Appel à l'insurrection de l'OAS (fin mars 1962).Depuis un an l’OAS faisait la loi dans Alger au nom de l’Algérie française. Depuis une semaine, l’entrée en vigueur des accords d’Évian avait embrasé la grande ville, et fait de Bab-el-Oued un énorme Fort-Chabrol crépitant de chahuts enfantins, mais tragiquement hérissé d’armes. Encerclé sinon « bouclé » par une troupe qui, le 23 mars, avait perdu sept des siens, tirés comme des lapins du haut des fenêtres drapées de linge et d’étendards tricolores, le berceau du peuple « pied-noir » vit en état de siège. La veille, un des responsables du service d’ordre avait montré à l’envoyé spécial du Monde, Alain Jacob, un tract qui lui avait paru invraisemblable, à lui qui avait pourtant vu tant de choses à Alger : les chefs de l’OAS y proclamaient que les forces françaises devaient dorénavant être considérées comme des troupes étrangères d’occupation...

    Le 26 au matin, le commandement de l’OAS proclame la grève générale dans le Grand Alger et appelle ses fidèles à se rassembler, en principe sans armes, sur le plateau des Glières et au square Laferrière pour gagner ensuite Bab-el-Oued et briser l’encerclement du quartier, « où les enfants meurent de faim ». Dans la matinée du lundi 26, les généraux Ailleret, commandant en chef, et Capodano se préparent à l’épreuve de force imposée par l’OAS. Les ordres venus de Paris, et plus précisément de l’Élysée, sont nets : ne pas céder d’un pouce, couper court à l’émeute.

    Ailleret et Capodano savent pourtant que toutes les troupes ne sont pas prêtes à de telles tâches, qui exigent autant de sang-froid que de discernement. Quand il a été question, quelques jours plus tôt, de faire appel au 4e régiment de tirailleurs algériens (RTA), son chef, le colonel Goubard, a mis en garde les généraux : c’est une excellente troupe au combat mais composée de paysans naïfs qui risquent de perdre la tête dans la fournaise d’Alger. Le général Ailleret acquiesce et donne l’ordre par écrit de ne pas engager le 4e RTA dans une telle affaire : cet ordre ne devait jamais être transmis.

    Dès 14 heures, ce lundi - il fait beau, presque chaud déjà -, la foule s’amasse, très jeune, vibrante et fiévreuse. Pour elle, le problème est de crever les barrages qui interdisent l’accès du centre vers Bab-el-Oued par la rue d’Isly notamment. À l’entrée de cette artère essentielle d’Alger, un « bouchon » a été placé par le commandant Poupat, du 4e RTA : ce régiment, dont l’emploi avait été si fort déconseillé, et dont le chef est en mission à cent kilomètres de là, sera constamment au cœur de la mêlée. C’est le sous-lieutenant algérien Ouchene Daoud qui est responsable de la barricade. Lui et ses supérieurs ont voulu savoir dans quelles conditions leurs hommes pourraient le cas échéant, faire usage de leurs armes. Au siège de la X e région, on leur a répondu : « Si les manifestants insistent, ouvrez le feu... » Mais nul n’a voulu confirmer cet ordre terrible par écrit.

    À partir de 14 h 30, la foule est immense, et son audace croît. Des injures partent en direction des tirailleurs : « Espèce de fellaghas ! » Les chefs de l’OAS sentent qu’ils sont peut-être sur le point de faire sauter le verrou et poussent en avant la foule surexcitée. Le jeune lieutenant algérien et ses hommes sont roulés comme une vague. À 14 h 45, une rafale de fusil-mitrailleur claque en direction de la troupe, du balcon du 64 de la rue d’Isly. « On nous tire dessus !, lance dans son émetteur-récepteur le lieutenant Ouchene Daoud, dois-je riposter ? » Le PC du régiment donne le feu vert. Et c’est la mitraillade aveugle entrecroisée, sauvage. Puis ces cris de « Halte au feu ! Halte au feu, je vous en supplie, mon lieutenant ! », que l’on entend comme des SOS de noyés, poussés par des voix blanches et déjà perdues.

    Le carnage ne devait pas durer plus de quelques minutes. Mais ces minutes-là ont fait quarante-six morts et deux cents blessés, dont une vingtaine n’ont pas survécu, presque tous du côté des civils algérois. L’irrémédiable est accompli, les forces de la République ont tiré sur la foule - ce que chacun, d’ailleurs, pressentait depuis des mois, le tenant pour inévitable, tant du côté du pouvoir que de celui de l’OAS. Pour horrible que soit le massacre, et graves les responsabilités de ceux qui n’ont pas su éviter l’engagement des forces les moins préparées à un tel affrontement, c’est l’OAS qui devait pâtir surtout de la tuerie : non seulement parce que ses responsabilités dans le déclenchement du feu sont lourdes, mais aussi parce que, ayant voulu engager l’épreuve de force après sa défaite de Bab-el-Oued, elle a perdu.

    Les centaines de victimes de la rue d’Isly, le 26 mars 1962 jettent sur les accords d’Évian une tache de sang, une de plus. Mais cet « holocauste » marque le déclin décisif de ceux qui ont voulu éviter l’inévitable par l’émeute et la terreur. À dater du 26 mars 1962, l’OAS n’est plus qu’un fantôme qui sera réduit, moins de trois mois plus tard, à tenter de négocier pour son compte avec le FLN, non sans avoir poussé au pire sa politique du « retour à 1830 » et de la terre brûlée.

     
     
    Jean LACOUTURE

    Jean La Couture ou la position

     du biographe

    Une carrière équitablement partagée entre le journalisme et la biographie : Jean Lacouture a accompagné le demi-siècle écoulé d'un regard singulier. Journaliste de la décolonisation, il a rencontré et portraituré tous les grands dirigeants du tiers-monde (Ho Chi Minh, Nasser, Sékou, Touré, etc...). Biographe, il a choisi de raconter des hommes dont les vies mêlaient toujours intimement dessein politique et préoccupation esthétique (Malraux, Blum, Mauriac, Mendès-France, de Gaulle, Mitterrand). Témoin engagé, il a tout à la fois cultivé le concept de « l'histoire immédiate » et développé une conception « héroïque » du monde. Le film propose un portrait de Jean Lacouture qui s'attache aussi bien à ses certitudes qu'à ses doutes, à ses engagements qu'à ses contradictions. Il s'agit de cerner « la position du biographe » et celle du journaliste. Comment Jean Lacouture se situe-t-il par rapport aux personnages qu'il a élus (identification, empathie, opposition, distance.. ?). D'où parle le journaliste? Une réflexion et un dialogue inséparables de ma propre expérience personnelle de journaliste et de documentariste. Voilà le fil conducteur de ce film.

     

     

     A Jean Lacouture, l'humble hommage d'un lecteur reconnaissant

     

     

       J’ai appris à lire Le Monde en 1960 pendant mes claSses au 2ème hussard à Orléans. Journal qu’il fallait dissimuler sous ma capote lorsque je franchissais la grille de la caserne après la permission du soir. Assis devant ma tasse de café dans une brasserie  de la gare, mon regard se portait aussitôt sur l’éditorial du directeur Hubert Beuve-Méry, surtout lorsqu’il abordait la question algérienne et malgré l’immense respect que j’avais pour le grand patron de presse, j’étais déçu par ce que je considérais comme ses valses hésitations pour défendre l’indépendance de l’Algérie face à l’intransigeance de De Gaulle, chef d’Etat. Alors, combien étaient réconfortants les éditoriaux des grandes plumes du quotidien dont celle de Jean Lacouture qui m’a le plus influencé mais je pourrais aussi citer Pierre Viansson-Ponté et, plus tard, Jacques Amalric.

       De Gaulle a manqué la décolonisation, d’abord en Indochine en brisant les tentatives françaises pour donner un statut d’indépendance à cette péninsule asiatique au prix d’une guerre de huit ans très meurtrière pour nos troupes coloniales, puis ce fut à son retour au pouvoir en 1958, la poursuite de la guerre d’indépendance algérienne qui coûtera la vie à trop de jeunes appelés du contingent, classe après classe, pour une cause qui n’était pas la leur. De Gaulle n’avait fait que se ranger aux côtés de ses pairs dans l’armée française pour refuser la paix en Algérie de même qu’à partir de 1960 il a soutenu le lobby nucléaire pour les essais de la bombe atomique au Sahara sans que les français, encore aujourd’hui, en comprennent le bien-fondé pour une puissance moyenne comme la France.

       Jean Lacouture au fil de ses écrits dans Le Monde fut mon maître à penser autant pour sa liberté de jugement que pour sa connaissance des faits historiques et sa proximité avec les hommes de pouvoir. Ses analyses m’ont ouvert l’esprit sur les vrais enjeux de nos guerres coloniales qui ont coûté tant de vies des deux côtés des champs de bataille et pour des intérêts qui n’étaient pas ceux de la majorité des français. L’Algérie de Camus, je peux en parler   car mon père est né à Alger au début du siècle dernier. La séparation entre les deux peuples ne devait pas relever d’une guerre coloniale mais d’une négociation pacifique. Arabes, kabyles et berbères avaient beaucoup plus de raisons que nous français de revendiquer le droit au sol.

       Jean Lacouture fera partie de mon panthéon des grandes plumes du journalisme qui ont su avec talent m’initier à la face cachée de l’Histoire. Il a vu juste, parmi les premiers, dans le débat franco-français sur la décolonisation et les luttes pour l’indépendance. Et pourtant, ses prises de position à contrecourant de la pensée politique du moment, celle qui ralliait les majorités, souvent par ignorance des vrais enjeux, ne l’ont pas empêché de vouer une certaine admiration au promoteur de notre Vème République, qui a fait d’un chef d’Etat un Souverain comme le rappelle le titre du troisième volume de son immense biographie sur De Gaulle. La République, je connais moi aussi, et à celle de Charles De Gaulle je lui préfère de loin la IIIème de Georges Clemenceau. Mais comme le souligne l’auteur du récit de sa vie dans Le Monde : « j’ai besoin d’admirer », disait-il. Homme de l’Histoire immédiate, il sera reproché à Jean Lacouture sa fascination pour les grands personnages, tel sera le cas de Nasser et de Mao. Reconnaissant plus tard ses torts, il mérite notre indulgence de lecteur car faute avouée est déjà à demi pardonnée.

       Un grand merci Monsieur Jean Lacouture pour nous avoir apporté votre vérité au nom de l’Histoire et dans des périodes où une grande voix du journalisme comme la vôtre était, peut-être, encore écoutée du pouvoir dans ce pays.

     

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