• N’oublions pas Maurice Audin *** Cédric Villani s'exprime aussi...

    Elle raconte. L'assassinat de Maurice Audin

    Le contexte :

    11 juin 1957 

    N’oublions pas Maurice Audin *** Cédric Villani s'exprime aussi...

    1957. La bataille d’Alger oppose la 10e division parachutiste de l’armée française aux indépendantistes algériens du Front de libération nationale (FLN). Alors que certains Européens résistants se rétractent, d’autres voient leur activisme évoluer au rythme de la lutte pour l’indépendance. Beaucoup prennent le risque d’héberger des militants clandestins. C’est le cas de la famille Audin. Maurice et Josette se sont toujours positionnés contre le système colonial qu’ils jugent injuste et violent. Mais le 11 juin au soir, pour eux, tout bascule. Vers 23 heures, on tambourine à leur porte. Ils ouvrent sans se douter que cet épisode va bouleverser leurs vies. Maurice Audin est arrêté par des parachutistes, son épouse ne le reverra jamais. Il est torturé et tué par les hommes du lieutenant Charbonnier, sous les ordres du général Massu et du colonel Bigeard. Si certains de ses bourreaux parlent à la fin de leur vie (Jacques Massu avec des regrets, Paul Aussaresses sans remords), aucun ne reconnaît formellement l’assassinat – l’exécution ? – de Maurice Audin. Et la France ne se résout toujours pas à condamner les exactions commises pendant la guerre d’Algérie.

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    Le témoin : Josette Audin 

    Son sourire est mélancolique et ses silences sont parlants. Dans son appartement situé à Bagnolet, en région parisienne, Josette Audin joue nerveusement avec une cuillère à café posée sur la table. Les photos de son époux sont partout, mais la chaise près d’elle est vide. L’octogénaire convoque ses souvenirs : des parfums d’Alger, où elle naît en 1931 et grandit. Des convictions politiques, qui la conduisent à rejoindre le Parti communiste algérien à l’âge de 19 ans, et à se positionner contre le colonialisme. Une histoire d’amour, enfin, avec le mathématicien et résistant Maurice Audin, rendu tristement célèbre pour son arrestation et assassinat le 11 juin 1957. Depuis, cette militante dans l’âme ne cesse de lutter pour obtenir vérité et justice. 

    Je suis née à Alger, en 1931, à Bab El Oued, un quartier européen où nous n’étions pas mélangés aux musulmans. J’ai grandi là, au sein d’une famille de classe moyenne. Nous vivions certes mieux que les Arabes, mais le confort était très sommaire. Nous n’avions qu’un seul robinet pour tout faire : cuisine, vaisselle, toilette… A l’âge de 3 ans, j’ai perdu ma mère et c’est ma grand-mère qui a pris le relais. J’étais devenue la grande sœur d’une fratrie dont j’étais responsable. Cela a fait de moi une petite fille calme et rangée.

    Mon père était politisé et, très vite, j’ai partagé les mêmes opinions que lui. Je ne supportais pas de voir les inégalités auxquelles les musulmans étaient confrontés. Au marché, les Européens qui faisaient leurs achats s’adressaient à eux en les tutoyant. Ils étaient sous-considérés. Je me faisais enguirlander lorsque j’appelais un musulman ‘Monsieur’ et que je le vouvoyais. En fait, on était façonnés dès notre plus jeune âge à accepter ces injustices.

    Je suis entrée au Parti communiste algérien (PCA) à la fin des années 1940, j’avais environ 19 ans. J’ai rencontré Maurice ­à la fac d’Alger, à la cellule des étudiants communistes. Nous suivions tous deux des études de mathématiques. Comment sommes-nous tombés amoureux ? Un jour, il a parlé… et puis voilà.

    Des camarades arabes 

    Nous nous sommes mariés civilement peu de temps après. C’est à peu près à cette période que Maurice a démarré sa thèse, avec le soutien de René de Possel (1). En parallèle, nous militions au sein du parti. Nous organisions des ­réunions et des ­manifestations avec les camarades, au cours desquelles nous étions souvent ­tabassés par les forces de l’ordre qui nous reprochaient de nous mélanger avec les Arabes. Au sein du PCA, l’ambiance était plutôt bonne : il n’y avait pas de séparation entre Européens et Algériens, nous travaillions main dans la main.

    Quand la guerre a éclaté, de nombreux Européens résistants ont retourné leur veste et sont devenus pro-Algérie française. Mon père en faisait partie, mais Maurice et moi avons pris le chemin ­inverse. Notre militantisme a évolué naturellement, malgré la dissolution du PCA en 1955. Nous ­hébergions des militants clandestins chez nous, dans le quartier du Champ-de-Manœuvres. Jusqu’à ce 11 juin 1957...

    La journée avait été marquée par des manifestations d’Européens pro-Algérie française. Lorsqu’on a toqué à notre porte, à la nuit tombée, nous avons supposé qu’après une journée d’affrontements violents tournant à la ‘ratonnade’, les parachutistes faisaient semblant d’arrêter des Européens qui seraient rapidement relâchés. Il n’en fut rien. Alors que Maurice était emmené, il a juste le temps de me dire de m’occuper des enfants. Ces derniers dormaient dans la chambre... J’ai eu très peur.

    Un non-lieu en 1962 

    Les jours suivants, j’ai attendu de ses nouvelles. Je me suis rendue chez les paras, avec mes beaux-parents. Ce furent alors mes seuls soutiens. Nous avons également contacté les autorités à Alger, en vain. Maurice avait disparu, et on ­voulait me faire croire à une évasion. C’était ­impossible, car il m’aurait contactée. En vérité, il était retenu au centre de tri d’El Biar. Torturé par les hommes du ­lieutenant Charbonnier, aux ordres de Massu et Bigeard. Il a été assassiné, c’est sûr. Mais y a-t-il eu ordre d’exécution ? Pourrait-on retrouver sa trace, alors que l’on sait maintenant que des cadavres ont été déplacés (2) ? Je pense toujours à lui. Un homme qui n’avait que des qualités.

    L’affaire a été instruite en juillet 1957, avant d’être transférée à Rennes en 1960. Deux ans plus tard, un non-lieu a été prononcé (pour insuffisance de charges, ndlr). Les personnes mises en cause ont pré­féré se taire. Je ne saurai jamais ce qui s’est réellement passé.

    Après l’indépendance, je suis restée en Algérie et je suis devenue fonctionnaire. J’étais alors loin d’imaginer que l’Algérie au pouvoir allait me décevoir à ce point. Après le coup d’Etat de Houari Boumédiène, en 1965, la situation était devenue compliquée. Le gouvernement n’aimait pas les communistes. J’avais trois enfants et je ne pouvais plus prendre de risques, alors je suis allée en France en 1966. ‘Allée’ et non pas ‘rentrée’, car je suis algérienne.

    Chercher la vérité, en vain 

    Nous sommes passés par Etampes, ­Argenteuil puis Bagnolet, en région parisienne. En 2000, alors que la parole a commencé à se ­libérer sur la torture, j’ai décidé de porter plainte contre X pour séquestration. J’ai aussi envoyé une lettre, sept ans plus tard, à Nicolas Sarkozy (fraîchement élu Président, ndlr). Elle est restée sans réponse. J’ai parfois l’impression que toute cette bataille a été vaine.

    Je continue de lutter, mais j’ai cessé d’y croire. Il y a un an, Emmanuel Macron m’a téléphonée pour me promettre qu’il ferait tout ce qui est en son pouvoir pour accéder à mes revendications : la vérité et la justice. Depuis, je n’ai plus de nouvelles. Le 14 février dernier (3), j’ai rappelé à l’Assemblée nationale que la France se doit de condamner la torture, ceux qui l’ont utilisée et autorisée. Fin mai, 54 personnalités ont signé une lettre ouverte adressée au président de la République, lui demandant de reconnaître le crime d’Etat dans l’affaire Audin. Je ne pense pas que Macron fasse quoi que ce soit. Mais, qui sait, quelqu’un d’autre, un jour, peut-être...

     (1) Ce mathématicien français est l’un des fondateurs du groupe Bourbaki en 1934. Il est professeur d’université à Alger de 1941 à 1959. C’est lui qui pousse Maurice Audin à réaliser
    une thèse en mathématiques.

    (2) Référence à un article paru dans L’Humanité le 14 février 2018. Un ancien appelé, Jacques Jubier y affirme que beaucoup de corps avaient été déplacés pour brouiller les pistes, et qu’il aurait probablement enterré celui de Maurice Audin. 

    (3) Date d’anniversaire de Maurice Audin. 

    SOURCE : https://www.lecourrierdelatlas.com/elle-raconte-l-assassinat-de-maurice-audin-20526 

     

    N’oublions pas Maurice Audin *** Cédric Villani s'exprime aussi...

     

     

    N’oublions pas Maurice Audin 


    N’oublions pas Maurice Audin *** Cédric Villani s'exprime aussi...

    Rassemblement à Paris

     61 ans après le crime

    Le 11 juin 2018, à l’appel de l’Association Maurice Audin, un rassemblement a eu lieu Place Maurice Audin, dans le 5e arrondissement de Paris, soixante-et-un an après l’enlèvement à Alger par des parachutistes français du jeune mathématicien Maurice Audin, membre du parti communiste algérien. Nous en proposons un résumé en image. Le même jour, le mathématicien et député LREM Cédric Villani, qui a fait état à plusieurs reprises, ces derniers mois, des propos que lui a tenus à ce sujet le président Macron, a répété sa demande qu’il reconnaisse la responsabilité de l’Etat dans la mort de Maurice Audin.

    Cet appel ayant été relayé par les quotidiens l’Humanité et Mediapart ainsi que par plusieurs associations, sites internet et réseaux sociaux, plus d’une centaine de personnes se sont déplacées. Parmi elles, les enfants de Josette et Maurice Audin, Michèle et Pierre, et l’historienne Mariane Debouzy, chez qui se réunissait, de 1958 à 1965, le Comité Maurice Audin. Après les allocutions du président de l’Association Maurice Audin, Pierre Mansat ; de Gilles Manceron pour la Ligue des droits de l’Homme ; d’Henri Pouillot pour le Mrap ; de Pierre Laurent pour le Parti communiste français, d’un représentant du Collectif Secret défense un enjeu démocratique et du mathématicien Michel Broué, au nom des mathématiciens qui se sont mobilisés depuis 1957 pour que l’Etat dise la vérité sur la mort de Maurice Audin, des fleurs ont été déposées. Tous les orateurs ont exigé du président de la République la reconnaissance de ce crime d’Etat.

    N’oublions pas Maurice Audin *** Cédric

    Cédric Villani : « Pourquoi je veux la vérité

    sur la mort du mathématicien

     Maurice Audin »

    Cet article a été publié le 11 juin 2018, d’abord par The Conversation, puis par l’Obs.

    Le 11 juin 1957, Maurice Audin, jeune mathématicien en cours de doctorat, militant communiste, fervent partisan de l’indépendance algérienne, était arrêté à son domicile par l’armée française ; sa famille ne l’a plus jamais revu.

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    Maurice et Josette Audin 

     

    Tant a été écrit sur la guerre d’Algérie que l’on n’imagine que trop bien le sort de Maurice Audin : comme tant d’autres, il a subi interrogatoires, torture, assassinat, disparition. Mais le fait qu’Audin soit d’origine européenne, son militantisme généreux, en ont fait, très tôt, un symbole aussi bien en France qu’en Algérie. Pendant plus d’un demi-siècle, l’État français prétendra qu’Audin a déserté… Une version qui ferait rire, si cette disparition n’était si tragique.

    Le temps a passé et l’affaire Audin aurait pu se perdre dans les oubliettes de l’histoire, n’était la force de ce qu’il représente, la détermination de sa famille et de ceux qui l’ont soutenu. J’ai moi-même appris son histoire par les écrits de mathématiciens de l’époque : Laurent Schwartz, célèbre mathématicien engagé en politique, décrit l’affaire dans ses mémoires, et particulièrement la cérémonie de soutenance de thèse en l’absence du candidat. Cette cérémonie avait attiré une foule considérable et contribué au débat sur la terrible guerre d’Algérie qui à l’époque ne disait pas son nom.

    Ma sensibilité au sujet a été renforcée par d’autres facteurs. D’abord mes contacts personnels avec Michèle et Pierre, enfants de Maurice Audin, qui ont tous deux fait de beaux parcours en mathématique : Pierre, vulgarisateur de talent, a fait sa carrière au Palais de la Découverte ; Michèle est experte en systèmes dynamiques et en histoire des sciences. Elle a d’ailleurs récemment écrit un ouvrage sur son père, intitulé Une vie brève.

    Ensuite, de façon déterminante pour moi, il y eut le prix Maurice Audin. Fondé par Laurent Schwartz, tombé en désuétude du fait de son mélange des genres entre science et politique, il fut ressuscité par le mathématicien Gérard Tronel, humaniste infatigable, contestataire au service de toutes les nobles causes jusqu’à sa mort. Ce dernier prit soin de distinguer la récompense scientifique du combat militant. Le Prix Maurice Audin récompense simultanément un lauréat (ou une lauréate) en Algérie, et de même un lauréat en France : il suit ainsi une logique de coopération. Avec une limite d’âge, il récompense la jeunesse. Adossé à l’Institut Henri Poincaré, il est soutenu par des institutions stables et prestigieuses. C’est ainsi que je fus appelé pour servir comme président du jury, à plusieurs reprises. Ce fut pour moi aussi l’occasion de donner quelques discours publics en la mémoire de Maurice Audin.

    L’État doit reconnaître cet assassinat

    Parallèlement au prix scientifique, l’idée faisait son chemin que l’État français devait évoluer sur cette question, pour participer au travail de réconciliation de sa mémoire, et pour contribuer à assainir les relations entre France et Algérie. La famille Audin a travaillé sans relâche dans ce but. En 2014, au cours de la cérémonie du Prix Audin, je lisais une lettre adressée par le Président Hollande : il y admettait, pour la première fois, que Maurice Audin était mort en détention. Il donnait également instruction au ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian, de rendre accessibles toutes les archives classifiées en la matière.

    Un grand pas certes, mais un progrès incomplet ! Il faut dire que les plaies de la guerre d’Algérie sont encore si vives pour notre nation, et si mal refermées, que chaque pas est complexe et peut donner lieu à polémique. Cependant l’engagement du Président Macron dans le dossier algérien laissait espérer que l’État puisse aller plus loin et enfin reconnaître sa responsabilité dans ce qu’il faut bien appeler l’assassinat de Maurice Audin. Et en janvier dernier, à l’occasion d’une cérémonie en l’honneur de Gérard Tronel, je recevais du chef de l’État la mission de faire part de sa conviction personnelle qu’il s’agissait effectivement d’un assassinat.

    Depuis lors, les appels se sont multipliés — encore tout récemment par une pétition que j’ai co-signé dans l’Humanité — pour qu’un dernier pas soit franchi afin que cette reconnaissance faite à titre personnel devienne enfin une reconnaissance officielle, historique.

    La famille attend depuis si longtemps !

    Dans le même temps, le travail des historiens continuait, avec son lot d’incertitudes, pour faire la lumière sur l’affaire Audin. C’est un travail ingrat, où parfois des documents nouvellement trouvés ouvrent de nouvelles pistes, et où parfois ces pistes aboutissent sur des impasses, soit par manque d’indices, soit par disparition des témoins. Dire que c’était il y a 60 ans et que l’on n’est toujours pas au clair… Et dire que la famille attend depuis si longtemps !

    Au-delà de la difficulté à trouver la vérité et les mots justes, l’affaire Audin nous rappelle combien la guerre d’Algérie s’est achevée sans être véritablement achevée. Mal enseignée dans les cours d’histoire, elle a laissé dans le désarroi des pans entiers des nations française et algérienne. Le travail de mémoire sur ses épisodes les plus tragiques n’est toujours pas abouti. Plein de non-dits en France, le débat est au contraire presque omniprésent en Algérie. Les situations politiques des deux nations sont très différentes, et mériteraient de longues analyses ; mais à coup sûr l’une et l’autre aspirent à retrouver un sens politique et le destin international dont elles ont rêvé. Peut-être les deux destins sont-ils liés, pour notre bénéfice mutuel. Et sans doute la mise au clair de l’affaire Audin fait-elle partie des obstacles à franchir pour permettre cette bonne coopération.

    N’oublions pas Maurice Audin *** Cédric Villani s'exprime aussi...

    Cédric Villani

     

    SOURCE : http://histoirecoloniale.net/Rassemblement-a-Paris-61-ans-apres-le-crime.html 

     

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