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OAS, archives inédites, révélations
OAS, archives inédites, révélations
Préface de Sylvie Thénault
« Archives inédites » : le titre choisi par Jean-Philippe Ould Aoudia rend fidèlement compte du contenu de son livre. Car « inédites », oui, les archives qu’il publie et commente ici le sont. C’est par là qu’il me faut commencer.
Les archives, c’est tout un monde, c’est crucial et – malheureusement – c’est complexe. Contrairement à la façon dont la question des archives est posée dans le débat public, en effet, les archives ne sont pas ouvertes ou fermées. Elles sont accessibles à des conditions inscrites dans la loi et qui tiennent essentiellement dans des délais variables : 30 ans, 50 ans, 75 ans voire plus. Sans vouloir simplifier une législation fournie, disons que, globalement, les délais supérieurs à 30 ans visent à protéger tout particulièrement la vie privée des personnes ainsi que la défense et la sécurité communes. Concrètement, cependant, la rédaction des textes, leur multiplication et leur interprétation rendent variable l’accès aux archives. En la matière bien sûr la raison d’État demeure active. Récemment, ainsi, une réinterprétation des textes sur le « secret-défense » a conduit à refermer des archives qui avaient été accessibles à un moment donné. Une mobilisation, victorieuse, s’en est suivie. Elle a rappelé l’enjeu démocratique que recèle le droit des archives. Consulter des archives n’est pas seulement nécessaire à la connaissance du passé et à l’écriture de l'histoire – pour le dire autrement, l’accès aux archives ne concerne pas que les chercheurs, les personnes enquêtant pour raisons familiales, ou les professionnels ayant besoin de se documenter, comme les journalistes et les réalisateurs, par exemple. C’est aussi un droit fondamental du citoyen. À ce titre, la légitimité des dénonciations et des mobilisations ne se discute pas.
Pour autant, se focaliser sur les fermetures d’archives présente un biais. C’est oublier non seulement l’immensité et la richesse des fonds accessibles – bien des cartons n’ont pas encore trouvé leurs lecteurs en dépit de leur intérêt au regard de l’histoire – mais également l’effet des ouvertures spéciales par ailleurs décidées. Il en est ainsi de l’arrêté du 22 décembre 2021 concernant les archives judiciaires et policières de la guerre d’Algérie. Selon le Code du patrimoine qui régit les délais de communication des archives, les enquêtes judiciaires et policières ne sont pas consultables avant 75 ans. En réponse à la demande sociale exprimée sur la guerre d’indépendance algérienne, toutefois, l’arrêté du 22 décembre 2021 a permis d’accéder immédiatement à l’essentiel des dossiers concernant ce conflit – l’essentiel seulement car les dossiers concernant des mineurs ou des faits « portant atteinte à l’intimité de la vie sexuelle des personnes » sont restés soumis au délai de 75 ans. C’est dans ce contexte que Jean-Philippe Ould Aoudia a travaillé – depuis un arrêté a remplacé celui de 2021 mais ce n’est pas le lieu ici d’y revenir.
« Archives inédites » donc. Pour mesurer la justesse du titre, il faut lire les pages qui suivent en ayant à l’esprit ce que Jean-Philippe Ould Aoudia savait avant 2021. Il faut donc relire l’Assassinat de Château-Royal, publié en 1992, par le même éditeur. « Un fils enquête pendant trente ans pour connaître toutes les causes et circonstances de la mort de son père victime d’un crime organisé et prémédité qui eut lieu à Alger le 15 mars 1962, donc la semaine où furent signés les accords d’Évian » écrivait Germaine Tillion en introduction de cet ouvrage. Jean-Philippe Ould Aoudia y reprenait l’organigramme de l’OAS tel qu’il était alors connu pour situer les responsabilités à l’échelon des plus hauts cadres de l’Organisation : Raoul Salan et les autres membres du Conseil Supérieur de l’OAS (Jean Gardes, Yves Godard, Jean-Claude Perez, Jean-Jacques Susini) ; les responsables des opérations où se retrouvent Godard et Pérez, avec Roland Vaudrey ; le chef des « opérations ponctuelles », Roger Degueldre. Déçu, Jean-Philippe Ould Aoudia concluait néanmoins à l’absence du crime de Château-Royal dans les procès de 1962, avant que les amnisties ne bloquent à jamais toute instruction.
Qu’apprend-il alors dans les dossiers consultés après 2021 ? « Tout », me dit-il quand je l’interroge ; et en premier lieu l’existence même des investigations consécutives à l’attentat. Je me retiens de dire ce qui m’a le plus frappée, personnellement, afin de ne pas déflorer le contenu du livre auprès de celles et ceux qui s’apprêtent à s’y plonger. Je les invite néanmoins à tenter un effort d’imagination : se glisser – autant que faire se peut – dans la peau d’un homme qui a voué sa vie à tenter de savoir la vérité sur l’assassinat de son père et des cinq autres victimes de cet attentat ; puis, une fois le temps des larmes et du deuil passé (car ce temps-là est révolu, affirme-t-il), rester mobilisé contre l’extrême droite et les menaces qu’elle fait planer sur nos libertés.
Jean-Philippe Ould Aoudia a la défense de la République chevillée au corps. C’est ainsi qu’il faut lire les chapitres revenant sur les questions politiques et mémorielles, après les chapitres centrés sur l’enquête et ses documents-phares ; avec au cœur une contradiction d’autant moins facile à comprendre qu’aujourd’hui confrontée à un autre terrorisme, qu’évoque Jean-Philippe Ould Aoudia, la République ne montre pas d’équivoque. Pourquoi et comment des tueurs et leurs partisans irréductibles de l’Algérie française ont-ils fini par être amnistiés voire parfois réhabilités ou à tout le moins défendus ? Pourquoi et comment leurs victimes doivent-elles alors se battre pour être reconnues comme telles ?
Comme historienne, j’ai bien des débuts de réponses, à puiser notamment, je crois, dans l’histoire des cultures politiques françaises, en particulier dans celles des droites et de leur recomposition. Au contraire de Vichy, jamais l’Algérie française n’a fait l’objet d’un désaveu consensuel. De la sorte, elle ne constitue aucun rempart solide alors qu’au temps de la guerre d’indépendance (et au moins dans les années 1960 si ce n’est plus tard encore : jusqu’au sarkozysme ?), l’Algérie française servait de marqueur pour départager les droites et isoler les extrêmes en leur sein.
À cette intuition s’en ajoute une autre, qu’ont renforcée les échanges avec Jean-Philippe Ould Aoudia au sujet d’un passage de son texte relatif à la minute de silence préconisée après le crime du 15 mars 1962. Ici se mesure toute la pertinence de sa façon de lire notre présent, en fonction de son vécu mais pas seulement : en raison de sa connaissance de l’histoire. Jean-Philippe Ould Aoudia voit en cette minute de silence une mesure fondatrice. N’y aurait-il pas dès lors une histoire des politiques publiques françaises envers les victimes du terrorisme à écrire ? Pour le formuler clairement : que doivent les mesures actuelles d’hommage et de réparation envers les victimes du terrorisme à ce passé pas si lointain de la guerre d’indépendance algérienne ?
C’est donc en historienne que je souhaite finir. Les archives nouvellement disponibles augurent bien des renouvellements. Puissent les défenseurs de la liberté d’accès aux archives se saisir des droits acquis, se rendre dans les salles de lecture trop peu fréquentées et contribuer à cette passionnante quête qu’est la recherche historique ; et ce d’autant plus quand elle fait sens au présent.
Sylvie Thénault est agrégée d’histoire, directrice de recherches au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), spécialiste de la guerre d’indépendance algérienne, Prix Malesherbes (2002). Médaille de bronze du CNRS (2005).
OAS, archives inédites, révélations
« OAS Archives Inédites », par Jean-Philippe
Ould Aoudia
Jean-Philippe Ould Aoudia, médecin et écrivain, est le fils de Salah Henri Ould Aoudia, l’un des six inspecteurs des Centres sociaux éducatifs assassinés à Alger par l’Organisation de l’armée secrète (OAS) le 15 mars 1962, lors de l’attentat dit de Château-Royal. Il en a fait l’histoire dans L’assassinat de Château-Royal (Tirésias, 1992). Il préside l’association Les Amis de Max Marchand, de Mouloud Feraoun et de leurs Compagnons qui honore l’œuvre et la mémoire de ces six victimes de la folie meurtrière de l’OAS. Après avoir enquêté sur les disparus entre les mains de l’armée française en 1957 dans Alger 1957. La ferme des disparus (Tirésias, 2021), Jean-Philippe Ould Aoudia revient dans ce livre préfacé par Sylvie Thénault sur les crimes de l’OAS en s’appuyant sur des archives judiciaires et policières inédites car récemment ouvertes partiellement. A l’heure où le courant politique lepéniste largement issu de cette organisation criminelle pourrait accéder au pouvoir en France, son livre revêt une importance particulière.
Présentation de l’éditeur
L’écriture est un acte politique, et même, comme dans ces pages, un acte de justice. Bien souvent, elle est porteuse ou génératrice du positionnement raisonné de celui qui fait acte d’écrire. La mission de l’historien est en premier lieu d’établir le mieux possible la vérité historique à partir de témoignages, de documents ou d’archives, c’est la genèse de ce livre. L’historien cite les sources, exhume les pièces archivées, énonce les faits, ne censure pas, c’est la démarche de l’auteur.
Il est ici question de tous les crimes commis en Algérie par ceux qui voulaient arrêter le cours de l’Histoire en 1961-1962 et l’auteur est humainement lié à des assassinés. À ce titre, il dispose de ce droit imprescriptible d’arbitrer, de définir « le bien et le mal», de condamner et d’exiger que Justice soit enfin rendue. Car c’est aussi la force de l’auteur — fait rare —, d’avoir deux fonctions : celle de l’historien et celle du juge informé de la République ce qui donne à son travail une dimension plus large.
Le terrorisme ne peut être spécifié au bon vouloir des politiques, dépendre de l’opportunité d’une tragédie, d’un événement, de l’instant. Il est « terrorisme» dans son atteinte à la vie mais aussi à la démocratie. C’est l’enquête et la justice historiques de ce livre car ne pas dénoncer ces atrocités serait mettre en péril la République.
L’auteur fait acte de « salubrité» civile et citoyenne.
OAS Archives Inédites, Révélations porte au grand jour non pas simplement une inhumanité, mais des révélations qui intentent à tout citoyen, à la patrie, à la République. Il est juste et nécessaire que la Nation rende enfin hommage à toutes les victimes des terroristes de l’OAS.Merci de cliquer sur ce lien important qui vous permettra de prendre connaissance d'un nombre important d'articles concernant les victimes de l'OAS :
« En hommage et en remerciements à Danièle PonsotIl s’est affiché avec Habib Meyer : Enrico Macias ne reverra plus l’Algérie »
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Commentaires
Dans son compte rendu du livre OAS Archives inédites Révélations, Jacques Cros écrit que l’auteur « est convaincu qu’il y avait Roger Degueldre » parmi les 5 terroristes de l’OAS qui ont commis le massacre de Château-Royal le 15 mars 1962 à Alger. En réalité, l’auteur apporte plusieurs informations attestant de la participation du chef des commandos deltas de l’OAS à l’assassinat des six fonctionnaires de l’Éducation nationale (pp. 49,65), en particulier son identification par un témoin de l’attentat sur documents anthropométriques de la police judiciaire. L’auteur a donc estimé inutile de rajouter pour preuve supplémentaire les lignes écrites par l’ex capitaine Pierre Montagnon qui a partagé la cellule de Degueldre à la prison de la Santé et dans lesquelles il implique directement son compagnon de détention dont il a recueilli les ultimes confidences. La lecture du procès-verbal d’audition (p.66) tel qu’il figure dans les archives nationales est accablante pour le futur condamné à mort et fusillé. Aujourd’hui, plus personne ne met en doute la participation de l’ex-légionnaire derrière son fusil mitrailleur AA 42 pour tirer dans les jambes des six victimes des Centres sociaux éducatifs, selon le procédé des SS contre les résistants.
Jean-Philippe Ould Aoudia.