• Ouvéa : ultimes révélations sur un crime colonial

     

    Ouvéa : ultimes révélations

     sur un crime colonial

    Le trentième anniversaire de l’assaut sur la grotte d’Ouvéa est l’occasion d’ultimes tentatives pour nier, déformer ou s’approprier le passé. Les éléments à disposition permettent pourtant de nommer les choses : un massacre colonial amnistié sans être assumé, avec ses tortures, ses « corvées de bois » et ses blessés achevés à coups de feu ou de savate.

    Quatre gendarmes tués lors de l’attaque du poste de Fayaoué par des indépendantistes kanak, le 22 avril 1988 ; deux militaires abattus et dix-neuf Kanak tués, parmi les preneurs d’otages mais aussi les « porteurs de thé », deux semaines plus tard, lors de l’assaut de la grotte d’Ouvéa…

    Ouvéa : ultimes révélations sur un crime colonial


     

    Le dénouement sanglant de la prise d’otages, à la suite d’une opération de guerre d’une ampleur inédite sur le territoire français depuis la fin du conflit algérien, n’a pas seulement pesé sur le second tour de l’élection présidentielle opposant François Mitterrand, en quête d’un second mandat, et Jacques Chirac, alors premier ministre.

    Il n’a pas seulement structuré les relations entre l’État français et la Nouvelle-Calédonie, en obligeant à inventer, après ce qui s’était passé là, les possibilités d’un processus de décolonisation inédit et à engager un processus institutionnel inédit qui pourrait conduire à l’indépendance du petit territoire situé à 20 000 km de Paris, si le oui l’emporte au référendum prévu le 4 novembre prochain.

    Il n’a pas seulement mis à nu, et à vif, les conflits et les tensions qui parcourent parfois encore la Nouvelle-Calédonie, de la Grande Terre aux îles Loyauté, que ce soit entre indépendantistes et non indépendantistes, entre Kanak et Caldoches, mais aussi entre Kanak eux-mêmes, selon les clans, les générations ou les partis politiques auxquels ils appartiennent.

    Ouvéa : ultimes révélations sur un crime colonial

    Michel Rocard en 2008.

    Le drame d’Ouvéa a aussi constitué la scène d’un maquillage de l’histoire, le territoire du dernier massacre colonial de l’armée française et le lieu d’une raison d’État devenue mensonge d’État, par-delà les alternances politiques, même si l’ancien premier ministre Michel Rocard avait fini par vendre en partie la mèche. 

    Toutefois, si le chef de l’État, qui se rend en Nouvelle-Calédonie la semaine prochaine, veut savoir ce qui s’est réellement passé à Ouvéa le 5 mai 1988, il ne pourra guère se fier aux ouvrages publiés ou republiés sur le sujet ces dernières années. Ils sont pourtant nombreux, mais entretiennent, chacun, leurs zones d’ombre, et passent davantage de temps à polémiquer les uns avec les autres ou à vouloir justifier les actions de leurs auteurs qu’à tenter d’éclaircir le passé.

    Ouvéa : ultimes révélations sur un crime colonial

    « Mourir à Ouvéa » La Découverte-Le Monde, 1988.

    Ni Grotte d’Ouvéa, la libération des otages, écrit par le général Vidal, qui commandait les opérations ; ni Ouvéa, l’histoire vraie, de Michel Lefèvre, qui dirigeait le groupe d’assaut sur la grotte ; ni Ouvéa, quelle vérité ? d’Alain Picard, alors lieutenant-colonel à la tête des escadrons de gendarmerie mobile au sud de la Nouvelle-Calédonie et dans les îles Loyauté, dont Ouvéa fait partie ; ni Ouvéa, la République et la morale, de Philippe Legorjus, le chef du GIGN, qui a fourni la trame et le point de vue du film de Mathieu Kassovitz, L’Ordre et la morale ; ni encore moins les Mémoires que Bernard Pons, ministre des DOM-TOM au moment de l’assaut sur la grotte, vient de faire paraître sous le titre Aucun combat n’est jamais perdu, ne constituent en effet des viatiques fiables.

    Si Emmanuel Macron, qui devrait aller à Ouvéa le 5 mai prochain et devenir ainsi le premier président de la République à se rendre sur place, ne veut pas commettre d’impair lors de cette visite à haut risque mémoriel et politique, il lui faudra plutôt consulter un blog confidentiel mais roboratif, tenu par le journaliste en retraite Jean-Guy Gourson.

    Son enquête complète, confirme et amplifie les révélations faites par la presse dans les jours et les semaines qui ont suivi l’attaque de la grotte : le travail initial du correspondant de l’AFP en Nouvelle-Calédonie, Antonio Raluy ; l’investigation poussée des journalistes du Monde, en particulier Frédéric Bobin, Georges Marion et Edwy Plenel, alertés par le nombre de munitions employées le 5 mai 1988, qui fournira la base du livre Mourir à Ouvéa, le tournant calédonien, d’Edwy Plenel et Alain Rollat ou encore les témoignages recueillis par l’envoyé spécial de Libération…

    À ces premières révélations se sont depuis ajoutés, notamment, les travaux de la commission d’enquête sur le sujet mise en place par la Ligue des droits de l’homme dès l’été 1988, mais aussi le travail documentaire de Mehdi Lallaoui, en particulier avec Retour à Ouvéa, tourné en 2008, ou encore le film d’Élizabeth Drévillon, Grotte d’Ouvéa : autopsie d'un massacre, réalisé la même année. 

    Mais Jean-Guy Gourson a entrepris, en solitaire, une « contre-enquête sur des morts suspectes » et obtenu des témoignages inédits et concordants qui permettent non seulement de faire la synthèse de cet événement longtemps obscurci, mais de révéler comment et pourquoi l’armée française a agi à Ouvéa, avant de vouloir dissimuler certains des actes commis par les siens.

    Ouvéa : ultimes révélations sur un crime colonial

    Renseigné initialement par un informateur qui lui avait livré des documents dès le printemps 1994, il laisse l’histoire, dont les faits sont couverts par les lois d’amnistie adoptées en novembre 1988 et janvier 1990 sous le gouvernement de Michel Rocard, reposer pendant près de vingt ans. Avant de reprendre l’enquête « parce qu’une fiction, L’Ordre et la morale, le film de Mathieu Kassovitz sorti en salles en novembre 2011, a rallumé en Nouvelle-Caldonie des feux mal éteints et relancé la polémique ».

    Et de recueillir ainsi les témoignages d’une « bonne centaine de cadres et de militaires » pour répondre à plusieurs questions jusqu’ici non résolues : qui a abattu Patrick Amossa Waïna, le jeune « porteur de thé » de 19 ans, tué à quelques mètres de la grotte ? Qui a exécuté de sang-froid Wenceslas Lavelloi, le plus aguerri des preneurs d’otages, d’une balle dans la tête ? Qui a achevé Samuel Wamo, preneur d’otages blessé lors du premier assaut sur la grotte d’Ouvéa ? Dans quelles circonstances Alphonse Dianou, le chef des ravisseurs, a-t-il été blessé à la sortie de la grotte, avant de mourir sous les coups lors de son transfert en 4×4 ?

    « L’ombre portée de la guerre d’Algérie

     sur la crise d’Ouvéa »

    Trois éléments de cette histoire imposent plus particulièrement de parler de crime « colonial » pour évoquer ces jours où la carte postale paradisiaque d’Ouvéa s’est transformée en enfer militaire : les tortures, les « corvées de bois » et les conditions de la mort d’Alphonse Dianou.

    Mais ces trois éléments sont eux-mêmes inscrits dans un contexte de discours a priori et de mensonges a posteriori, qui en forment à la fois le décor et la trame. Les discours qui « préparent » la tragédie d’Ouvéa sont d’abord ceux des autorités françaises, en particulier du premier ministre de l’époque, Jacques Chirac, fort éloigné de celui qui construira le musée du Quai Branly.

    Il dénonce en effet, dès le début de la prise d’otages, la « sauvagerie » et la « barbarie » de ceux qu’il nommera, au soir de l’assaut du 5 mai, les « rebelles », un terme qui ne peut qu’évoquer la dernière guerre coloniale française menée en Algérie.

    Ouvéa : ultimes révélations sur un crime colonial

    L’inconscient colonial qui entoure ce qui s’est passé à Ouvéa se révèle de la manière la plus flagrante par le nom choisi pour désigner l’action de l’armée française. « L’Opération Victor » tire en effet son nom de l’indicatif radio que le général Vidal, en charge de celle-ci, portait lorsqu’il était lieutenant en Algérie…

    Pour les politiques à la manœuvre en ce printemps 1988, comme le ministre des DOM-TOM, Bernard Pons, le ministre de l’intérieur, Charles Pasqua, ou le premier ministre Jacques Chirac, la guerre d’Algérie est présente comme cadre d’analyse et mémoire traumatique. L’anthropologue Alban Bensa, l’un des meilleurs connaisseurs de la Nouvelle-Calédonie, juge ainsi dans un texte tout juste publié dans L’Humanité dimanche, que « l’insurrection indépendantiste, marquée à ses débuts par une visite de Jean-Marie Tjibaou à Alger, a réveillé l’idée d’une ultime guerre coloniale que, cette fois, la France, après ses échecs en Indochine et en Algérie, pourrait gagner sans risque : le camp des colonisateurs français est majoritaire en Nouvelle-Calédonie, les indépendantistes ne disposent pas d’armement sérieux, ni d’armée. Dans les faits et les propos, l’ombre portée de la guerre d’Algérie sur la crise d’Ouvéa est tout à fait perceptible. Les prises d’otages relèvent en principe de la gendarmerie nationale. En plaçant l’affaire sous le commandement de l’armée, le gouvernement Chirac faisait, mais sans le dire, comme en Algérie, d’une question de maintien de l’ordre, une véritable entrée en guerre contre… une trentaine de nationalistes kanak ».

    Cette manière de se représenter la situation n’a guère laissé de chances à une issue négociée de la crise d’Ouvéa, ni donné place aux modalités kanak de résolution des conflits, ni permis d’entendre le FLNKS, soucieux d’attendre le dénouement de l’élection présidentielle pour engager la libération des otages détenus à Ouvéa, qui semblait d’autant plus possible qu’un autre groupe de gendarmes, également enlevés le 22 avril à Fayaoué, avait été libéré par leurs ravisseurs peu après.

    La volonté politique du gouvernement RPR, finalement approuvée par un François Mitterrand soucieux de ne pas paraître laxiste juste avant le second tour de l’élection présidentielle, aboutit à la décision envoyer à Ouvéa 130 hommes issus des unités d’élite de l’armée française, dont des membres du sulfureux 11e Choc, dissous un temps pour menée factieuse à la fin de la guerre d’Algérie, et plus habitué des opérations extérieures que du maintien de l’ordre sur le territoire français.

    Cette armada se déploie face à une trentaine de ravisseurs constitués en majorité de parents d’élèves ou de jeunes gens à peine sortis de l’adolescence, mal équipés même avec les armes prises au poste de gendarmerie de Fayaoué, et mal entraînés en dépit de la présence parmi eux de quelques hommes ayant, à l’instar de Wenceslas Lavelloi, servi dans les rangs de l’armée française.

    Les survivants de l’assaut clament aujourd’hui, comme on l’entend par exemple dans le documentaire de Mehdi Lallaoui, qu’ils ne voulaient pas tuer de gendarmes le 22 avril, mais seulement occuper le poste pour protester contre la tenue d’élections régionales coïncidant avec le premier tour de l’élection présidentielle, le 24 avril 1988.

    Ouvéa : ultimes révélations sur un crime colonial

    Ce scrutin était voulu par un Bernard Pons conforté par le succès d’un référendum tenu le 13 septembre 1987 affirmant pouvoir ainsi mettre fin à la période sanglante faite d’embuscades et de militarisation en réduisant les revendications kanak en matière de souveraineté et de droits des peuples autochtones.

    Il était en revanche insupportable aux yeux de nombreux militants kanak, notamment aux yeux des animateurs de la prise d’otages d’Ouvéa, dont certains se réclamaient d’une forme d’intégrisme coutumier et avaient pu verser, devant l’absence de perspectives politiques et économiques d’une grande partie de la jeunesse kanak, dans le repli identitaire.

    Avec d’autant plus de rancœur que le verdict d’acquittement, prononcé en octobre 1987, par la cour d’assises de Nouméa, avait achevé de radicaliser une partie des Kanak, et creusé encore plus profond le fossé séparant les univers caldoche et mélanésien. En effet, contre toute évidence, les sept prévenus accusés d’avoir, le 5 décembre 1984, tendu une embuscade dans laquelle dix militants du FLNKS, dont deux frères de Jean-Marie Tjibaou, avaient trouvé la mort, étaient ressortis blanchis, mettant en lumière le fait qu’une justice de type coloniale existait encore bel et bien sur le territoire français.

    Ouvéa : ultimes révélations sur un crime colonial

    Eloi Machoro. 

    Dans ce contexte de quasi-guerre civile, qui s’était traduit non seulement par des morts violentes et des assassinats entre caldoches et Kanak, mais aussi entre l’État français et les militants indépendantistes, puisque, en 1985, l’un des chefs du FLNKS, Eloi Machoro, avait été abattu, avec un de ses camarades, par le GIGN, l’assaut sur Ouvéa se distingue toutefois non seulement par le nombre de morts, mais par les méthodes employées par certains membres des unités d’élite de l’armée française.

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    Tortures et « corvées de bois »

    Les soupçons de torture à l’encontre des membres de la tribu de Gossanah, accusés de savoir où se cachaient les ravisseurs, ont été précoces, à la suite de témoignages de victimes recueillis dans la presse. Mais à l’époque, les membres du GIGN qui en ont été les principaux acteurs, ont fait bloc et défendu ceux qui avaient pu commettre « tout acte par lequel une douleur ou des souffrances aiguës, physiques ou morales, sont intentionnellement affligées à une personne », selon les termes de la convention des Nations unies sur la torture, ratifiée par la France en 1985…

    Mais, ainsi que l’écrit Jean-Guy Gourson, « contrairement au déni, le mensonge ne résiste pas toujours à l’usure du temps. Tantôt il se fait moins assuré et s’effiloche peu à peu à force de ressassement, de justifications embarrassées et d’infimes variations. Et tantôt il cède, sans prévenir, par lassitude, comme s’il était soudain devenu trop lourd à porter ».

    Après s’être entretenu avec la moitié des 19 opérationnels du GIGN ayant participé aux recherches ou aux combats, le journaliste en est arrivé à la conclusion que des matraques électriques avaient bien été utilisées, même si cette arme ne faisait pas partie, théoriquement, de l’équipement du GIGN.

    Ouvéa : ultimes révélations sur un crime colonial


    Face au journaliste, plusieurs membres de l’unité d’élite reconnaissent ainsi avoir participé à des interrogatoires où la frontière entre sévices et tortures s’estompe, notamment Michel Lefèvre et Michel Bernard, même si ce dernier tient à souligner que « ce n’était pas l’Algérie, avec salle d’interrogatoires, gégène et bassines d’eau ».

    Ce qui rapproche, en tout cas, Ouvéa de l’histoire algérienne, c’est que des « corvées de bois » – le terme utilisé pour désigner les exécutions sommaires commises par des militaires – ont bien existé. Contrairement à la version officielle, selon laquelle les dix-neuf indépendantistes tués seraient morts dans l’assaut, les armes à la main…

    Selon Philippe Legorjus, l’emblématique et contesté chef du GIGN, ainsi qu’il l’écrit dans un communiqué à l’AFP dès le 9 mai, après que l’agence a rapporté des accusations en ce sens : « Affirmer aujourd’hui que des preneurs d’otages ont été exécutés est un mensonge pur et simple et constitue aussi une injure pour les morts canaques qui sont tous tombés les armes à la main et ont combattu vaillamment, se défendant bec et ongles. »

    Ces exécutions sommaires effectuées à proximité de la grotte sont pourtant, au moins, au nombre de trois. La première est celle de Samuel Wamo, blessé dans le premier assaut contre la grotte d’Ouvéa d’une balle dans le thorax, dont l’un des gendarmes mobiles détenus obtient qu’il soit évacué et réceptionné par deux hommes du groupe des « jalonneurs » de l’EPIGN, qui auraient dû le faire brancarder.

    Mais, comme le rapporte Jean-Guy Gourson, après avoir croisé les témoignages, le « maréchal des logis-chef H. » (…) dirige « l’arme vers le blessé et tire. En rafale. Trois balles dans le bras droit. Deux au niveau du mamelon droit. Une qui a pénétré à trois centimètres sous le pavillon de l’oreille droite. Lors de son autopsie, le corps de Samuel Wamo présentera six impacts en plus de sa première blessure ». Jean-Guy Gourson conclut : « Son meurtrier ne sera jamais inquiété. Son geste restera ignoré, y compris au sein de sa propre unité. Et en 1995, il sera décoré de la médaille militaire. »

    La deuxième exécution sommaire est celle de Patrick Amossa Waïna, adolescent de 19 ans, qui faisait partie non des ravisseurs mais des « porteurs de thé », chargés de nourrir, depuis le village voisin, les ravisseurs et les otages. Jean-Guy Gourson a recueilli le témoignage d’un militaire, dont il a préféré conserver l’anonymat, qui confirme la version donnée initialement par un groupe de prisonniers kanak.

    Le jeune porteur de thé, qui arbore les couleurs du drapeau kanak sur ces vêtements, est contraint de se lever avant que « l’adjudant F. », de l’escadron parachutiste, ouvre le feu sur lui avec son riotgun. L’adjudant prétextera qu’il menaçait de s’enfuir mais le témoin de Jean-Guy Gourson affirme que beaucoup de monde était présent et peut témoigner du contraire.

    Il cite également un ex-lieutenant, Alério Nannini, également présent au moment des faits, qui reconnaît qu’il « y a eu des exactions. Nous aurions pu, nous aurions dû intervenir physiquement, moi comme les autres. Mais nous ne l’avons pas fait ».

    Ce geste non plus ne sera jamais sanctionné et l’adjudant F. recevra aussi, moins de deux ans plus tard, la médaille militaire, puis la Croix de la valeur militaire avec palme.

    Pour la troisième « corvée de bois », impossible de savoir qui s’en est chargé. Ce qu’on sait, c’est que Wenceslas Lavelloi, qui était vu comme le chef opérationnel des ravisseurs, en raison de sa formation militaire et des cartouchières qu’il portait en bandoulière à la manière de Rambo – son surnom –, était soupçonné d’être l’auteur des tirs qui avaient tué, durant l’assaut, deux militaires du 11e Choc. Il est sorti vivant de la grotte, et son corps a été retrouvé à proximité de celle-ci, tué d’une balle dans la tête, tirée à bout portant.

    On sait « avec une quasi-certitude, écrit Jean-Guy Gourson, qu’il a été emmené par un ou deux hommes du 11e Choc. Et il est hautement improbable qu’un ou des militaires de cette unité aient agi de leur propre initiative. Mais, sauf aveu tardif ou témoignage inespéré, on cherchera sans doute encore longtemps qui a décidé de faire justice pour la mort des deux soldats de la DGSE ».

    Enfin, il faut évoquer ce qui est arrivé à Alphonse Dianou, le chef des ravisseurs. Blessé d’une balle dans la cuisse après être sorti de la grotte, il est évacué avec les autres prisonniers vers le village de Saint-Joseph, comme en atteste une photographie publiée alors dans Paris Match.

    Ouvéa : ultimes révélations sur un crime colonial

    © Paris Match 

    Au lieu d’être transféré à l’antenne médicale d’Ouloup, il est placé dans un 4×4 où il meurt dans les conditions décrites par plusieurs interlocuteurs de Jean-Guy Gourson. Selon le témoignage d’Henri Knorst, un gendarme parachutiste, Dianou « était déjà mal en point. Le capitaine B. était à l’intérieur du camion. Une fois Dianou allongé sur le plancher, il lui est monté dessus et a ordonné à ses gens de faire la même chose ». Un de ses camarades de l’EPIGN est témoin de la même scène : « B. appuyait sur la cage thoracique », assure-t-il. Un troisième raconte avoir « vu des individus de l’escadron de Decize en train de “savater” Dianou qui était allongé dans son brancard placé dans la “caisse” d’un 4×4 ». Un gradé de l’escadron Decize, commandé par le capitaine B., témoigne aussi : « Dianou hurlait de douleur. On a entendu un dernier cri et puis plus rien. »

    Ces témoignages recueillis par Jean-Guy Gourson confirment ceux des deux membres de l’escadron Decize qui avaient brisé la loi du silence, dès l’été 1988, face à Jean-Louis Recordon, un gendarme chargé par Jean-Louis Mazières, premier juge d’instruction au tribunal de grande instance de Paris, de recueillir les témoignages des membres de cet escadron sur les conditions de la mort de Dianou.

    Le juge Mazières, déjà chargé de l’enquête judiciaire sur la mort des gendarmes de Fayaoué et sur la prise d’otages, s’était vu confier l’ouverture d’une information judiciaire contre X, initialement confiée au parquet de Nouméa, pour « coups et blessures volontaires et non-assistance à personne en danger » concernant Alphonse Dianou et pour « homicides volontaires » sur les personnes de Wenceslas Lavelloi et Patrick Amossa Waïna.

    Une information ouverte à l’initiative du garde des Sceaux, Pierre Arpaillange, quelques heures seulement après que le ministre de la défense, Jean-Pierre Chevènement, pensait avoir tourné la page en déplorant « des actes individuels contraires au devoir de l’armée, mais qui ne sauraient entacher son honneur ».

    Toutefois, la loi d’amnistie annexée aux accords de Matignon permettra à l’homme qui a achevé Alphonse Dianou – que Jean-Guy Gourson ne désigne que comme le capitaine B., mais dont le nom complet est Alain Belhadj – de ne pas être inquiété par la justice et d’être fait chevalier de la Légion d’honneur par Jacques Chirac en 2000, avant de devenir délégué départemental du Médiateur de la République puis du Défenseur des droits…

    Pour Jean-Guy Gourson, l’enquête désormais presque complète sur Ouvéa, effectuée à partir de documents probants et de témoignages concordants, ne laisse plus place au doute : « On n’a pas seulement enfreint les consignes données la veille au soir lors des derniers briefings, à savoir ne pas tirer sur un adversaire désarmé, évacuer les blessés et laisser le champ de bataille en l’état jusqu’à l’arrivée de l’équipe judiciaire, on a modifié et truqué la scène de combat dans le but évident de tromper les enquêteurs, de masquer des “bavures” et d’en protéger les auteurs. » 

    SOURCE : https://www.mediapart.fr/journal/france/280418/ouvea-ultimes-revelations-sur-un-crime-colonial 

     

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