• Pierre Vidal-Naquet : "Dans la guerre d'Algérie la torture n'était pas un accident, il s’agissait d'un système dans lequel l'état tout entier s'était trouvé engagé"

     

    Pierre Vidal-Naquet : "Dans la guerre d'Algérie la torture n'était pas un accident, il s’agissait d'un système dans lequel l'état tout entier s'était trouvé engagé"

    Pierre Vidal-Naquet : "Dans la guerre d'Algérie la torture n'était pas un accident, il s’agissait d'un système dans lequel l'état tout entier s'était trouvé engagé"

    L'Historien Pierre Vidal-Naquet, directeur d'études à l'Ecole des hautes études en sciences sociales et auteur du livre "La Torture dans la République", le 06 décembre 2000 à son domicile à Paris.• Crédits : Patrick Kovarik - AFP

     

    L'ouvrage de Pierre Vidal-Naquet, La torture dans la République, avait été édité une première fois en anglais, aux éditions Penguin, peu après la Guerre d'Algérie avant de paraître en 1972 aux Éditions de Minuit. Comme le soulignait alors Gérard Chaliand dans Le Monde Diplomatique,  c'était en historien, et non en moraliste, que Pierre Vidal-Naquet abordait la question de la torture à travers le conflit algérien.

    La torture telle que je la définis ici, écrivait Pierre Vidal-Naquet, torture d’État, n’est en effet pas autre chose que la forme la plus directe, la plus immédiate de la domination de l’homme sur l’homme, ce qui est l’essence même du politique.

    En 1972, à l'occasion de la réédition de La torture dans la République, Pierre Vidal-Naquet était invité à présenter la démarche qui avait été la sienne dans ce livre où il écrivait : "Toute dissidence, quelle que soit sa nature, peut pousser l’État moderne, si libéral soit-il, à user de la torture". Des entretiens durant lesquels, avec la force de conviction des esprits clairs, Vidal-Naquet balayait les idées reçues, toujours bien ancrées chez certains, qui inclineraient à justifier la torture, ou pire peut-être, à la banaliser.

    Au début de ces entretiens Pierre Vidal-Naquet fait référence à La Raison d'État, recueil de documents officiels réunis par le Comité Audin, publié en 1962 aux Éditions de Minuit

    Ce titre "La Raison d'état" exprimait ce que je voulais dire. Ce qui m'a frappé, ce qui m'a bouleversé dans la guerre d'Algérie c'est que les faits de torture n'étaient pas des faits individuels, il ne s'agissait pas d'accidents, il s’agissait d'un système dans lequel l'état tout entier, notre Etat, s'était trouvé engagé jusqu'à aboutir à une dégradation, dont nous subissons encore aujourd'hui les conséquences.

    Sur les origines de la pratique de la torture durant la guerre d'Algérie : 

    C'est un fait qui est généralement peu connu, on s'imagine que la torture a été une riposte au terrorisme, rien n'est plus inexact et on pourrait soutenir tout aussi bien le contraire : à savoir que le terrorisme est une riposte à la torture. 

    Dans le cas algérien, il explique  : 

    Il y avait l'existence d'une communauté européenne minoritaire sur le plan des chiffres mais majoritaire sur le plan des ressources [...] depuis bien des années cette communauté considérait les 'autres', c'est à dire les algériens musulmans, comme non existants. C'est dans la mesure où ils se mettaient brusquement à exister qu'on les torturait. Ils étaient des ombres : dans la mesure où ils voulaient devenir des hommes c'est à ce moment-là qu'intervenait la torture.

    En quoi l'affaire Audin est symptomatique de la torture en Algérie : 

    L'affaire Audin est doublement exemplaire et symptomatique : d'abord en ceci qu'on pouvait constater qu'un homme, citoyen français pouvait disparaître du jour au lendemain, sans qu'on donne d'autres explications que des explications absurdes. [...] Maurice Audin était un universitaire, un communiste et un français, c'est parce qu'il était un universitaire, communiste et français que l'émotion a été vive dans une partie de l'opinion publique. Autrement dit, nous avons dû alors, pour mener la campagne contre la torture, prendre appui sur un cas qui n’était pas typique car des 'Audin' il y en avait beaucoup d'autres [...] 3024 affaires similaires ont été comptabilisées entre janvier et septembre 1957, dont la majorité était composée de musulmans.

    Ecoutez la suite 

    « Ernée. Récits de Kabylie, un livre de Jacques BouvierAprès Maurice Audin et la torture la France va-t-elle enfin reconnaître les crimes d’octobre 1961 ? »

  • Commentaires

    1
    Lundi 15 Octobre 2018 à 10:47

    Ce document situe clairement les choses. La torture s'inscrivait dans la logique du système. Elle était un élément de la domination imposée par les plus fort sur les plus faibles. Et les appelés du contingent avaient été enrôlés pour maintenir cette situation. L'OAS était dans la continuité de cette conception des rapports entre les hommes. 

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