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Quelle santé ! Le sociologue et philosophe français Edgar Morin fête son 102e anniversaire ce samedi 8 juillet 2023.
Quelle santé ! Le sociologue et philosophe français Edgar Morin fête son 103e anniversaire le 8 juillet 2024.
Je vais raconter son incroyable histoire, à commencer par son centenaire en 2021 mais j’en profite pour lui souhaiter un très joyeux anniversaire... avec un peu de retard.
Michel Dandelot
Edgar Morin, un centenaire toujours engagé
Le jeudi 8 juillet 2021, Edgar Morin, le philosophe et sociologue du temps présent, fêtait ses 100 ans ! En octobre 2015, il était l'invité de la rédaction de l'Humanité. Extrait vidéo.
Pour lui rendre hommage, le président de la République l’a reçu à l’Élysée en présence d’une centaine d’invités. Edgar Morin intègre une organisation antifasciste pendant la guerre d’Espagne, en 1936, puis entre dans la Résistance en 1942.
Membre du Parti communiste français depuis 1941, il s’en éloigne à partir de 1949. L’année suivante, il intègre le CNRS et devient le théoricien de la pensée complexe et systémique, inspirée de la cybernétique. Nommé directeur de recherche au CNRS en 1970, il entreprend son œuvre majeure, la Méthode, entre 1977 et 2004.
L’homme au centre de la politique
Avec Terre-Patrie, écrit en 1993 avec Anne-Brigitte Kern, Morin appelle à une « prise de conscience de la communauté du destin terrestre » qui doit s’accompagner d’une nouvelle « politique de civilisation » pour remettre l’homme au centre de la politique, « en tant que fin et moyen, et à promouvoir le bien-vivre au lieu du bien-être ».
Il appelle depuis à « changer de civilisation » et s’engage dans le combat écologique.
Anna Musso rédactrice à l'Humanité
Edgar Morin, 103 ans
et toute sa vie !
« Esprit indépendant et original, Edgar Morin garde une appétence intacte pour les choses de la vie et les objets de la pensée. De l'élégance de l'hirondelle à l'humanisme post-marrane de Montaigne, de la mission de l'intellectuel au combat des femmes iraniennes, rien de ce qui est humain ne lui est étranger. » (Note de l'éditeur, quatrième de couverture de "Encore un moment...", juin 2023).
Quelle santé ! Le sociologue et philosophe français Edgar Morin fête son 103e anniversaire le samedi 8 juillet 2024. Non seulement le savant du complexe a traversé plus d'un siècle, mais à l'arrivée, il est encore, semble-t-il, en pleine capacité de réfléchir et même d'exprimer ses réflexions puisqu'il a sorti son dernier livre pas plus tard que le 7 juin 2023 chez Denoël ("Encore un moment..."). Ce livre est un recueil un peu disparate pour ne pas écrire désordonné de ses précieuses réflexions et souvenirs, un peu à la manière d'un blog, mais formulé à l'ancienne, c'est-à-dire avec du papier et de l'encre d'imprimerie : « Ces textes ont en commun l'inséparabilité de la vie, de la pensée et de l'œuvre de leur auteur. Ils témoignent de ma curiosité polymorphe et considèrent notre monde dans sa complexité. ».
À l'évidence, Edgar Morin a toujours aimé la vie et les humains, et sa grande longévité, qui n'est plus si exceptionnelle de nos jours, physique mais aussi intellectuelle, force l'admiration, même si lui n'en est pas trop le responsable. Il y a un grand facteur chance dans ce qui lui arrive, pas d'accident, pas de maladie, pas d'horribles circonstances qui auraient pu lui abréger la vie comme cela arrive hélas à tant d'autres de ses contemporains. Que faire de son âge ? Eh bien, écrire évidemment ! Et aussi aimer !
Non seulement il n'est pas inerte sur le plan éditorial, mais il est encore très dynamique pour aller parler de ses écrits, de ses idées et de lui-même dans les médias en général. Il a tenu des milliers de conférences depuis le début de sa carrière scientifique au CNRS (au début, il était très discret et mis un peu à l'écart par son étrangeté intellectuelle), des conférences scientifiques mais aussi des conférences populaires, ce qui lui a permis de rencontrer nombre de ses lecteurs dont certains sont restés fascinés par lui.
Ainsi, il était l'invité de Laure Adler sur France Inter le lundi 26 juin 2023 (la productrice terminait cette semaine-là sa longue carrière à la radio, j'y reviendrai). Ces dernières mois, il a pu proposer ses réflexions sur la mort (un peu plus que d'habitude) mais aussi sur l'actualité en général, la réforme des retraites, la guerre en Ukraine, les émeutes en banlieue, etc. La retraite ? Lui, à 102 ans, il n'a toujours pas décroché, à l'instar d'un Maurice Allais, qui disait que sa retraite, ce serait après la vie.
Le nouveau livre d'Edgar Morin commence par la sidération, une sidération presque candide, celle de vivre encore, à cet âge, après avoir tant vécu, si longtemps vécu. Le titre du chapitre est même un très étrange mot, "Rémission", comme si la vie était une maladie et que le "bourreau" lui accordait encore un moment... Ce sont évidemment les trois points qui sont le plus important dans le titre, comme un texte inachevé, et que la vie continue à tracer sa route, et lui à s'accrocher au guidon pour la suivre comme un adolescent en éveil.
Le philosophe est simplement étonné : « Étonnement de vivre : pas seulement d'être en vie à cent un ans, mais tout simplement d'être un vivant au sein de la vie dont je jouis en même temps que l'oiseau, l'olivier proche, les palmiers plus lointains, les milliers de brins d'herbe de la pelouse, tous et chacun, dont moi, faisant leur métier de vivre. ».
C'est un étonnement de jeune qui précède un étonnement de... un peu moins jeune : « Et derrière cet étonnement devant la vie, l'étonnement d'être en vie, moi, pas seulement parce que je suis né par la chance d'un véloce spermatozoïde pénétrant dans l'ovule de ma mère (...), mais simplement parce que je suis vivant parmi les vivants, et plus encore parce que je suis sur Terre. Et la vie sur Terre m'étonne d'une autre façon depuis que j'ai la conscience de sa fabuleuse éco-organisation, à travers antagonismes et solidarités, prédations et symbioses. (…) Derrière mon étonnement d'être au monde, il y a l'étonnement de ce monde gigantesque, dont on ne sait pourquoi il est né et où conduit son expansion. ».
Ce qui l'entraîne à penser à sa propre disparition : « C'est parce que je ressens la plénitude d'être en vie et de jouir de la vie que je ressens la tristesse de perdre bientôt la vie, et plus que la vie, c'est tout l'Univers qui s'évanouira avec moi à jamais. Mon Je subjectif et mon Moi objectif vont disparaître en même temps, et cet anéantissement sera simultanément celui du monde en moi. Le monde continuera son aventure sans qu'on sache si elle est vouée à la disparition finale ou à toujours recommencer, notre soleil s'éteindra et la vie terrestre prendra fin. Mais d'ici là, qu'adviendra-t-il de l'aventure humaine ? Je regrette de ne pas pouvoir savoir ce qui va sortir de la conjonction des énormes crises que subit aujourd'hui l'humanité. Je regrette qu'il puisse me manquer une année ou deux pour percevoir ce qui se dessine, se détruit, prend forme. Je crains qu'advienne une longue période régressive, tout en sachant que l'improbable peut tout modifier, en mieux comme en pire. Je vais partir en plein suspense historique. ».
Edgar Morin exprime là de manière synthétique et dense, de manière très efficace, ce que les humains devraient avoir comme sentiment avant de franchir cette dernière étape qu'est la mort : l'impossibilité de connaître la suite de l'histoire. Le professeur Axel Kahn, qui se savait condamné à court terme par cette saleté de maladie qu'est le cancer, avait, lui aussi, exprimé, d'une autre manière, ce grand sentiment de curiosité : il venait de commencer à lire un livre, et calculant le nombre de pages, le nombre d'heures qu'il était capable de lire dans une journée, et le nombre de jours qui lui restaient à vivre éveillé, en pleine conscience, il en avait déduit qu'il n'arriverait certainement pas à la fin du livre, à la fin de l'histoire. À lui aussi, il lui manqua quelques moments (il est mort il y a exactement deux ans).
En bon chercheur, Edgar Morin s'est donc posé la question qu'on ne se pose qu'une fois la situation vécue : pourquoi suis-je centenaire ? Il a eu déjà deux ans pour y réfléchir et il apporte quelques réponses sans beaucoup d'assurance, évidemment. Il propose deux explications.
La première, c'est la résilience. Il explique que lorsque le « véloce spermatozoïde » a atteint l'ovule, personne n'aurait misé un kopeck sur la longévité de cet être qui allait prendre forme car sa mère voulait avorter. Le petit Edgar n'aurait jamais dû vivre, dès le début mais aussi à la naissance (difficile), dans son enfance (où il a failli y rester, atteint d'une maladie), etc. À chaque fois, il a su rebondir, la vie plus forte que tout.
La seconde explication, qu'il considère comme une certitude, c'est sa curiosité et l'esprit d'émerveillement : « Je n'ai pas cessé d'être mû, jusqu'à mon âge avancé, par les innombrables et insatiables curiosités de l'enfance. J'ai gardé les aspirations de mon adolescence, tout en en perdant ses illusions. (…) En même temps que la curiosité et la passion pour mon travail, c'est l'amour et l'amitié qui m'ont fait vivre. C'est la recherche de la qualité poétique de la vie ainsi que la révolte contre ses cruautés qui m'ont entretenu tel que je suis. ».
Et pour couronner le tout, l'amour et plus généralement, l'Autre : « Depuis 2009, ma compagne et épouse Sabah a entretenu et nourri ma jeunesse de cœur, m'a encouragé à poursuivre la "mission" que je me suis donnée, m'a sauvé à quatre reprise d'une mort quasi-certaine à la suite d'hémorragies et de septicémies. En fait, ma résilience n'aurait pas suffi. Il a toujours fallu autrui (…) pour que j'arrive à mon âge. ».
Bref, on l'aura compris, cet ouvrage, que je n'espère pas le dernier, apporte quelques réflexions denses sur sa vie mais aussi, sur la vie en général et peut être très utile. Il se présente comme un observateur de sa propre existence, étonné d'avoir vécu et de vivre mais aussi étonné de la vie, celle des autres, celle de la planète et de tout ce qui la constitue. C'est pourquoi je lui souhaite un très joyeux anniversaire, le troisième d'un centenaire, en lui espérant encore du temps, suffisamment pour pouvoir comprendre les grandes évolutions de notre époque, et aussi pour pouvoir les expliquer dans de prochains ouvrages et nous faire partager cette compréhension.Position originale pendant la guerre d'Algérie
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Commentaires
1Cros JacquesDimanche 9 Juillet 2023 à 12:45Eh bien j'en ai appris des choses en lisant ce dossier !
Je ne dis pas longue vie, à Edger Morin c'est déjà acquis mais bonne continuation.
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Quelle vitalité!!!