• Rémi Kauffer : Le Pen et l'Algérie

     

    Rémi Kauffer : Le Pen et l'Algérie

    Historien spécialiste de l'Algérie, Rémi Kauffer a lu les Mémoires de Jean-Marie Le Pen. Il nous décrypte les silences et les oublis de l'auteur…

    « J'aurai passé ma jeunesse à voir l'armée française foutre le camp. Et à foutre le camp avec elle. » C'est vrai pour l'Indochine, où Jean-Marie Le Pen arrive après Diên Biên Phu, et l'expédition de Suez, où il gagne le surnom de « lieutenant Borniol » pour le soin qu'il met à enterrer les morts musulmans déchaussés et tournés vers La Mecque. En revanche, il participe à la bataille d'Alger dès le lendemain de l'ordre donné à la 10e division parachutiste (DP), commandée par le général Massu, de mettre fin à la campagne d'attentats lancée par le FLN.

    Rémi Kauffer Historien

    © Jacques BENAROCH/SIPA Jacques BENAROCH/SIPA / Jacques BENAROCH/SIPA

     

    Ce 8 janvier 1957, le député et officier de renseignement Jean-Marie Le Pen débarque de Zéralda avec le 1er REP, régiment de la Légion étrangère, au sein duquel il a rempilé. C'est l'une des quatre unités en pointe pour démanteler les réseaux terroristes de la Ville blanche. Sur l'action de l'armée française en Algérie, longuement évoquée dans ses Mémoires, il faut d'abord noter que Jean-Marie Le Pen ne fait état, côté « rebelles », que de bilans très sous-estimés. « Concernant les émeutes de Sétif, qui débutent le 8 mai 1945, il évoque une répression qui aurait fait 1 200 morts parmi les musulmans alors qu'il y en a eu au moins dix fois plus, note l'historien Rémi Kauffer (1), auteur de OAS, histoire d'une guerre franco-française (Seuil). Et, sur la bataille d'Alger, 1 000 alors que c'est au moins le double. » Un bilan jugé « exceptionnel » par Jean-Marie Le Pen, au regard des résultats, l'activité terroriste étant « extirpée » de la capitale à l'automne 1957.

    Le Pen ne nie pas la pratique de la torture

    « Je ne vais pas raconter la bataille d'Alger, à laquelle je pris une part mineure du début janvier à fin mars », commence Jean-Marie Le Pen, plutôt décevant, avant d'entrer dans le vif du sujet : « Je vais régler pour commencer quatre questions : qu'est-ce que j'ai fait pendant la bataille d'Alger, qu'est-ce que la 10e DP a fait, ai-je torturé, a-t-elle torturé ? » Cantonné à la villa des Roses, il se livre avec son unité à des arrestations, des barrages, des perquisitions, mais, précise-t-il, s'il est officier de renseignement, il l'est au niveau de sa compagnie – « les interrogatoires que l'on va dire “spéciaux” n'étaient pas de mon ressort ». Ceux-ci se pratiquent au PC du régiment, villa Sésini, où Le Pen écrit n'être passé qu'une fois, pour se faire décorer de la croix de la valeur militaire par Massu et y boire une coupe de champagne, « pas dans les bureaux aux heures ouvrables ». Une précision apportée pour réfuter le témoignage du général Aussaresses, qui affirme l'y avoir vu plus actif. Dans la nuit du 16 au 17 janvier 1957, rentrant de mission, celui-ci écrit dans son terrible livre Services spéciaux : « C'était Borniol qui était de permanence. » Et d'en tracer un portrait cinglant, « d'une grande rigueur quand il était de service [...], mais qui passait pour être turbulent. On disait qu'il affectionnait de se défouler en déclenchant des bagarres dans les lieux les plus chics. » Ce détail des Mémoires d'Aussaresses sur sa présence, moins anecdotique qu'il ne l'écrit, à la villa Sésini, haut lieu de la torture à Alger, semble irriter Jean-Marie Le Pen. Il s'en débarrasse en le traitant d'« affabulateur alcoolique, pilier de bar désireux de se faire valoir ».

    Le mémorialiste Le Pen ne nie pas la pratique de la torture : « Alors oui, l'armée française a bien pratiqué la question pour obtenir des informations durant la bataille d'Alger, écrit-il, mais les moyens qu'elle y employa furent les moins violents possible. Y figuraient les coups, la gégène et la baignoire, mais nulle mutilation, rien qui touche à l'intégrité physique. » A-t-il lui-même torturé ? Sa défense est chantournée. Il reconnaît avoir déclaré au journal Combat le 9 novembre 1962 : « Je n'ai rien à cacher. Nous avons torturé en Algérie parce qu'il fallait le faire. » « Le nous, précise-t-il aujourd'hui, désigne l'armée française dont je suis solidaire, non pas moi et mes camarades, qui n'étions nullement chargés, je le répète, des interrogatoires spéciaux. » Il ne les fuit pas non plus. Quand le colonel Jeanpierre, chef du 1er REP, lui propose de le muter pour éviter « d'avoir à en connaître », le lieutenant Le Pen refuse en répliquant : « Mon colonel, ils vous couvrent de boue et la grande muette ne peut pas répondre. Moi, redevenu parlementaire, je serai libre de parler, je serai son porte-voix. » « Qu'il n'y ait pas participé est plausible, estime Rémi Kauffer. Il faut rappeler que, pour Massu, la position de député de Le Pen était une source d'ennuis, qu'il lui arrive quelque chose ou qu'il se laisse aller à des débordements. Le chef de la 10e DP ne lui a probablement pas confié de missions spéciales. Ce qui n'empêche pas les initiatives personnelles. »

    Jean-Marie Le Pen a obtenu la condamnation des différents journaux qui, au fil des années 1980, ­l'accusaient d'avoir torturé à Alger. Mais, en 2005, il échoue devant la Cour de cassation contre Le Monde et sa journaliste Florence Beaugé, qu'il poursuivait pour diffamation. Trois ans plus tôt, deux jours avant le second tour de l'élection présidentielle où il est le challenger de Jacques Chirac, le journal a publié le témoignage de Mohamed Chérif Moulay. Celui-ci raconte comment, dans la nuit du 2 mars 1957 (il avait alors 12 ans), un groupe de parachutistes commandé par le lieutenant Le Pen a fait irruption au 7, rue des Abencérages, ruelle de la casbah, frappé et torturé son père, Ahmed Moulay, 42 ans, qui meurt, foudroyé par une décharge électrique. Le jeune garçon n'a pas eu de peine à reconnaître le lieutenant Le Pen, dont la photo est publiée dans les journaux lorsqu'il est décoré. Mais, d'après lui, lors de cette visite nocturne, celui-ci a perdu son couteau, les parachutistes revenant à deux reprises pour tenter de le retrouver, en vain, la famille l'ayant caché. C'est cette arme qui sera produite lors de l'une des audiences du procès qui l'oppose au Monde. Il s'agit d'un couteau original « en acier trempé long de 25 centimètres et large de 2,5 centimètres ». Un poignard des Jeunesses hitlériennes sur le fourreau duquel sont gravés ces mots « JM Le Pen, 1er REP ». « C'est du bidon, du bidon évidemment bidon  », écrit Jean-Marie Le Pen, dénonçant dans ces accusions récurrentes « une machination politique contre un parti qui avait le vent en poupe ».

    1. Dernier ouvrage paru : « Les Maîtres de l'espionnage  » (Perrin, 2017).

    SOURCE : http://www.lepoint.fr/edition-abonnes/remi-kauffer-le-pen-et-l-algerie-23-02-2018-2197454_2913.php 

    Rémi Kauffer : Le Pen et l'Algérie

    Rémi Kauffer : Le Pen et l'Algérie

    Un poignard des Jeunesses hitlériennes sur le fourreau duquel sont gravés ces mots « JM Le Pen, 1er REP ».

    Le Pen est de l'"ancien-ancien" monde, celui de Pétain, Laval et de l"État français"
    Cette galaxie est bien décrite par René Monzat dans son livre de 1992 "Enquête sur la droite extrême". A l’occasion de la sortie de son « torchon » le 1er mars prochain je lui dédie cette chanson ainsi qu’à tous les collabos de la fachosphère…

    Ayons un souvenir pour ce jeune imitateur trop

    tôt disparu Thierry Le Luron :

     

    « Nos Justes à nous : Georges Arnaud, l’homme dont le procès se transforma en réquisitoire contre l’occupation française de l’AlgérieBanon : Au Bleuet… Algérie, une mémoire qui ne passe pas… »

  • Commentaires

    1
    Samedi 24 Février 2018 à 19:15

    Connaissant le personnage et son idéologie, la fonction qui était la sienne au niveau du renseignement, l'atmosphère qui régnait pendant la bataille d'Alger, il serait étonnant que Le Pen n'ait pas participé de manière active aux exactions multiples auxquelles se livrait l'armée française et donc à la torture

    Je me répète mais l'OAS comme le FN sont dans la continuité du colonialisme dont ont souffert, avec des ordres de grandeur différents, le peuple algérien et le peuple français.

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