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    Revenir à Montluc

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    Agée d’à peine vingt ans, Claudie Duhamel s’engage dans un réseau de soutien au FLN, parti nationaliste algérien en guerre pour l’indépendance de l’Algérie. Elle est arrêtée en novembre 1960 et incarcérée dans la prison lyonnaise de Montluc. Convoquant la difficile mémoire de son incarcération, Claudie Duhamel témoigne notamment de la dernière exécution capitale d’un militant du FLN qui a eu lieu à Montluc, en janvier 1961, sous la fenêtre de sa cellule. Au fil de son récit, se dessine le portrait d’une femme digne qui, par-delà les années, reste une militante fidèle à ses idéaux humanistes.

    Des parcours restés dans l’ombre

    L’histoire de Claudie Duhamel mérite d’être entendue. Elle vient rappeler que la guerre coloniale dans laquelle la France s’est obstinée entre 1954 et 1962 n’était pas l’unique voie possible. Les questions morales et politiques que pose son engagement résonnent aujourd’hui encore. Des femmes et des hommes ont su prendre position dans cette guerre, au nom d’un idéal de justice que contredisait la colonisation. Leurs récits sont nécessaires. Ce sont les pierres angulaires d’une reconstruction mémorielle plus inclusive.

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    La question des exécutions capitales

    Montluc : un trou noir des mémoires lyonnaises 

    Au soir de sa vie, Claudie Duhamel décide de revenir sur son expérience carcérale en retournant à Montluc, et en acceptant que Béatrice Dubell filme ce voyage de retour.

    Le lieu abrite aujourd’hui un Mémorial dédié aux victimes du nazisme, ouvert au public à partir de 2010 en tant que haut lieu de la mémoire nationale. Si le projet de film a été reçu favorablement par la direction du Mémorial de Montluc en septembre 2021, l’autorisation de tournage transmise à l’Office national des anciens combattants (ONAC) n’a jamais été accordée. Le blocage est lié à la rénovation du Mémorial qui débute fin 2021 et qui prévoit d’intégrer une présentation de périodes historiques – comme la guerre d’Algérie – autres que l’oppression nazie.

    Ce projet a soulevé de vives oppositions de la part d’associations qui se présentent comme fondatrices du Mémorial et militantes de la mémoire. Elles invoquent le souvenir des enfants d’Izieu, l’esprit universel des fondateurs, parlent de trahison et mobilisent des soutiens politiques. Selon ces associations, il s’agit de délivrer une vision historique claire. Evoquer les mémoires des autres périodes de la prison pourrait créer un brouillage du sens du Mémorial qui doit rester centré sur la Seconde Guerre mondiale.

    Le projet de film a surgi à un moment où la polémique était la plus vive, ce qui explique que le mémorial n’ait pas ouvert ses portes au film. Cette fermeture renforce un clivage mémoriel qui pourrait, devrait, aujourd’hui être dépassé. Claudie Duhamel est l’une des dernières personnes à pouvoir témoigner de cette période algérienne de la vie de la prison, et de par sa position particulière, elle peut contribuer à ré-articuler les mémoires. De plus, la Résistance est pour elle une référence importante, comme elle l’est pour beaucoup de personnes qui s’engagent dans les réseaux de soutien aux nationalistes algériens, dont les plus âgées sont par ailleurs très souvent d’anciens résistant.es.

    Le récit de Claudie Duhamel met en lumière une continuité entre des idéaux et les formes d’engagement qui se développent pendant les deux conflits. Deux moments où des citoyenn.es s’organisent clandestinement et passent à l’action, contre le nazisme pendant la Seconde Guerre mondiale, puis, une dizaine d’années plus tard, contre un ordre colonial vu comme menaçant les principes fondateurs d’un État de droit.

    Pour en savoir plus sur la polémique  Le progrès, 27 janvier 2022 

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    Une mémoire enclavée

    « On ne voulait pas que s’installe une sorte de plainte. Une plainte, ça t’entraîne, ça a un effet d’entraînement, ça s’enchaîne, et ça ne débouche pas forcément sur une consolation. »

    Endiguer l’émotion par la rationalité politique renvoie à la dimension féminine de l’engagement militant. Ce dernier ne peut avoir lieu qu’au prix d’un verrouillage émotionnel, présent chez Claudie. Une certaine part intime de l’expérience doit rester hors champ.

    De plus, les déceptions quant aux suites politiques de l’indépendance, ainsi que lanon-reconnaissance par la société française des engagements anticoloniaux, ont certainement contribué à enclaver les souvenirs de cette période de sa vie.

    Malgré cela, Claudie n’avait rien renié de son engagement et savait en livrer un récit clair et construit, qui tenait toutefois l’émotion à distance. Revenir sur le lieu de sa détention aurait certainement été une épreuve qui aurait ravivé des souvenirs traumatiques. Soixante ans plus tard, elle avait accepté les risques de ce voyage de retour, qui aurait permis de renouveler son récit.

    L’impossibilité de filmer dans la prison de Montluc a posé un nouveau défi. Sans le choc du retour sur place, comment désenclaver la mémoire de cette expérience ?

    Claudie Duhamel et Béatrice Dubell n’ont pas voulu abandonner le projet. Le tournage a eu lieu chez Claudie, avec le support de documents et d’archives comme autant de fragments de réel qui viennent mettre en tension le récit cristallisé depuis des années. Ce sont à la fois des archives privées de Claudie Duhamel, dont des photos prises clandestinement en détention, et des archives apportées par la réalisatrice, coupures de presse, notes des renseignements généraux.

    Le film suit le parcours carcéral de Claudie Duhamel de manière chronologique. Elle est d’abord à l’isolement, dans une cellule sans vue, puis, après son procès, elle a accès à une salle commune où elle fait la connaissance des détenues algériennes. En novembre 1961, elle se joint à une grève de la faim lancée par le FLN, pour l’obtention d’un régime politique pour les militants incarcérés en France.

    Bénéficiant ensuite de nouvelles conditions de détention, elle retrouve l’autre agente de liaison condamnée et détenue en même temps qu’elle, Nicole Cadieu. Elles finissent leur parcours ensemble dans une pièce plus vaste. Toutes deux reprennent leurs études, passent leurs examens. Elles bénéficient d’une campagne de soutien orchestrée par le Secours populaire et qui rassemble de nombreux syndicats et associations. Elles sont libérées en décembre 1963, soit un an et demi après les accords d’Évian.

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    Claudie pendant son incarcération à Montluc  Photo DR Claudie Duhamel

    Le regard de Sylvie Thénault,

    Historienne, spécialiste de la guerre d’Algérie 

    À la prison de Montluc, devenue Mémorial, la Seconde Guerre mondiale domine jusqu’à effacer celle qui l’a immédiatement suivie : la Guerre pour l’indépendance de l’Algérie ; au mépris de l’histoire, tant les deux conflits sont proches dans le temps. Claudie Duhamel, incarcérée trois ans pour son soutien au FLN, le rappelle. Souvent la Seconde Guerre mondiale intervient dans son récit.

    Faute de pouvoir filmer Claudie Duhamel dans les lieux (elle n’y a pas été autorisée), Béatrice Dubell a dû imaginer un autre dispositif pour faire surgir ce qui l’intéresse : l’expérience sensible des témoins. Elle filme Claudie Duhamel chez elle, dans un intérieur soigné, un jardin qui l’est tout autant. Les meubles, les livres, l’ambiance qui se dégage de l’ensemble disent beaucoup de cette femme, vive, lucide, intelligente, de belle allure.

    Claudie Duhamel revient sur son incarcération à l’aide de documents (photographies, lettres, presse de l’époque) mais aussi d’objets comme l’appareil photo avec lequel ont été pris des clichés volés qui donne à voir – un peu – de ce qu’était la détention. Béatrice Dubell cherche et parvient à restituer le vécu de Claudie Duhamel, qui raconte le choc des exécutions de condamnés à mort, l’isolement, la façon dont il était brisé, à l’occasion des rencontres avec les avocats ou encore du procès ; elle évoque ses peurs, ses maux – en particulier la grève de la faim qui marque son corps – mais aussi ses joies et le quotidien, l’étourdissement de la libération après laquelle il faut se réhabituer à la vie du dehors. Cette approche fait tout le sel du film. Non pas que l’histoire soit absente – le récit est chronologique et les événements marquants rappelés – mais la sensibilité est bien l’apport du film à une histoire par ailleurs documentée.

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    Une femme en prison pendant

     la guerre d'Algérie 

     

     

     

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