• Robert Paxton : « L’argument de Zemmour sur Vichy est vide »

    Robert Paxton : « L’argument de Zemmour sur Vichy est vide »

    La France de Vichy » de Robert Paxton, éd. Points, 2000

    http://rue89.nouvelobs.com/2014/10/09/robert-paxton-largument-zemmour-vichy-est-vide-255385 

    Le système Eric Zemmour se nourrit de sa propre surenchère : chaque livre de l’essayiste doit aller plus loin que le précédent – vers l’extrême droite. Il est allé si loin qu’il en arrive, dans son dernier essai, « Le Suicide français » (éd. Albin Michel) – déjà un best seller – à prendre la défense de Vichy, ce sinistre souvenir français. S’il avait vécu à cette époque, Zemmour, issu d’une famille juive algérienne, aurait été déporté ou aurait vécu dans la terreur.

    Mais qu’importe : il a choisi de reconsidérer le bilan de Pétain, qu’on aurait tort, selon lui, de classer dans la « malfaisance absolue ». Dans un passage de plusieurs pages de son livre, titré avec dédain « Robert Paxton, notre bon maître », l’essayiste s’en prend à ce qu’il appelle « la doxa paxtonnienne ». En 1972, dans son livre « Vichy France : Old Guard and New Order », traduit en français l’année suivante sous le titre « La France de Vichy » (éd. Seuil), l’historien américain a ouvert les yeux des Français sur leur propre histoire et sur les responsabilités du régime de Pétain dans la persécution et la déportation des juifs.

    Mais selon Eric Zemmour, la thèse de Paxton, devenue « parole d’évangile », est idéologique :

    « Elle repose sur la malfaisance absolue du régime de Vichy, reconnu à la fois responsable et coupable. L’action de Vichy est toujours nuisible et tous ses chefs sont condamnables. »

    On peut la lire à l’envers : selon Zemmour, la malfaisance du régime de Vichy n’est pas absolue, l’action de Vichy n’est pas toujours nuisible, tous ses chefs ne sont pas condamnables...

    Selon l’essayiste, si 75% des juifs ont été sauvés en France, c’est en grande partie grâce à « la stratégie adoptée par Pétain et Laval face aux demandes allemandes : sacrifier les juifs étrangers pour sauver les juifs français ». Tout en se gardant de réhabiliter ce régime, il invite à faire le distinguo, dans le jugement que l’on porte sur Vichy, entre « morale » et « efficacité politique ».

    « C’est ridicule »

    Pour combattre les thèses de Paxton, Zemmour s’appuie sur le livre du rabbin israélien Alain Michel, « Vichy et la Shoah. Enquête sur le paradoxe français » (éd. CLD, 2012), dans lequel ce dernier, né en France, s’emploie à essayer de démolir l’apport de l’Américain. Zemmour écrit :

    « Il reprend, en l’étayant, l’intuition des premiers historiens du vichysme, et montre comment un pouvoir antisémite, cherchant à limiter l’influence juive sur la société par un statut des juifs inique, infâme et cruel, et obsédé par le départ des juifs étrangers – pour l’Amérique, pense d’abord Laval qui, devant le refus des Américains, accepte de les envoyer à l’Est, comme le lui affirment alors les Allemands –, réussit à sauver les “vieux Israélites français”. »

    J’ai demandé, par téléphone, à Robert Paxton, professeur à l’université de Columbia, ce qu’il pensait de tout cela.

    Rue89. Selon Eric Zemmour, votre regard sur Vichy est idéologique et manichéen : le régime aurait, à la différence de ce qui s’est passé dans d’autres pays comme la Hollande, permis de sauver de nombreux juifs français en sacrifiant les juifs étrangers...  

    Robert Paxton. Cet argument est parfaitement vide, de même que le livre d’Alain Michel sur lequel il s’appuie. Il suffit de lire les lois promulguées par Vichy entre 1940 et 1942, qui imposent des exclusions sur tous les juifs, y compris les juifs de nationalité française. Le statut des juifs qui les exclut des services publics ; l’instauration de quotas à l’université ; la loi du 22 juillet 1941 sur l’aryanisation des biens juifs... tous ces textes ne font aucune distinction entre juifs français et juifs étrangers.

    Dans leur application, ces mesures frappent durement les juifs de nationalité française, car ce sont eux qui sont les plus impliqués : ce sont des instituteurs, des conseillers d’Etat, des officiers de l’armée... des gens qui ont des propriétés et qui sont les premiers à souffrir de l’aryanisation. C’est absurde de soutenir que Vichy a soutenu les juifs français pendant ces deux premières années.

    Quand les déportations commencent, et surtout au moment de la rafle de décembre 1941 au cours de laquelle plus de 700 juifs, souvent des notables, y compris un sénateur, ont été arrêtés – pour une fois – directement par les Allemands, cela a été un scandale : tout le monde a pris conscience de la faiblesse du régime de Vichy.

    A partir de ce moment, du printemps 1942, mais pas avant, le régime s’efforce de laisser partir en premier les juifs étrangers et apatrides. Ce n’est pas une question morale, mais Laval et Pétain ont conscience de ce qui se joue en terme de souveraineté.

    Laval continue de dire que les réfugiés juifs font du mal à la France et explique aux Américains et autres, aux évêques ou aux pasteurs qu’il a l’intention de se débarrasser de ces étrangers... Il essaye alors de persuader les Allemands de prendre d’abord les étrangers et les apatrides. Les Allemands répondent : « Bon, on va faire comme en Belgique, on prend les étrangers d’abord. Mais comprenez bien qu’on prendra les Français plus tard... » Mais c’est leur bon vouloir.

    Il n’y a pas d’accord avec les Allemands ? 

    Jamais. Laval a obtenu un report. Mais sans qu’il n’existe d’accord : les Allemands ont accepté, de leur propre décision, de prendre les étrangers en premier.

    Robert Paxton : « L’argument de Zemmour sur Vichy est vide »

    Robert Paxton et Bertrand Delanoë, lors de l’inauguration de l’exposition « Archives de la vie littéraire sous l’Occupation », hôtel de ville de Paris, le 11 mai 2011 (Michel Euler/AP/SIPA)

    C’est donc ridicule de soutenir que Vichy a protégé les juifs de nationalité française : pendant les deux premières années, Vichy a fait tout son possible pour fragiliser cette population, les excluant des emplois publics, mettant des quotas dans certaines professions, confisquant leurs propriétés, bloquant l’accès à l’université de leurs enfants...

    Et quand vient l’heure des déportations, ces juifs sont horriblement fragilisés, encore plus susceptibles d’être traqués... Certes, Vichy a essayé sur le tard de sauver les apparences, en encourageant le report des déportations à plus tard... Mais il n’y a pas eu d’accord.

    Zemmour pousse l’argument selon lequel les trois-quarts des juifs ont survécu en France... 

    Il fait croire que c’est un bon chiffre. C’est un mauvais chiffre ! En Italie, 16% ont été déportés. Les fonctionnaires italiens et les policiers italiens n’ont pas aidé à la déportation. Si l’Italie a été occupée plus tardivement que la France, l’occupation de l’Italie a duré longtemps après la libération de la France - le nord de l’Italie a été occupée deux mois de moins que le sud de la France, ce n’est pas beaucoup (septembre 1943 à mai 1945, contre novembre 1942 à août 1944 ndlr).

    Voilà le chiffre qu’on pourrait imaginer dans un pays où les Allemands doivent tout faire eux-mêmes, sans l’apport des policiers qu’ils ont eu en France...

    Ce chiffre de 25% de juifs déportés, dont de nombreux juifs français, est déplorable, il n’y a pas de quoi pousser des cocoricos. Je ne vois aucune raison de changer mon avis selon lequel le régime de Vichy a commis des actes terribles contre tous les juifs, y compris les juifs de nationalité française.

    Zemmour et Alain Michel s’appuient sur plusieurs livres : ceux de Raul Hilberg, Léon Poliakov... 

    Les livres des deux derniers sont très honorables, mais très anciens : ils n’avaient pas accès à l’ensemble de la recherche réalisée sur ces sujets.

    Alain Michel n’est pas un historien sérieux : on ne peut pas écrire ce qu’il a écrit si on a lu les textes de Vichy et les ouvrages récents sur l’application de ces textes.

    Rappelons-nous des paroles de Zemmour, l’extrémiste : « Pétain a sauvé des juifs »

    « Le Touvet (Isère) Cérémonie de dévoilement d'une plaque commémorative en hommage à toutes les victimes de l'OASLes souvenirs d’Algérie de l’appelé Bourdet »

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