• Sarkozy et le 19 mars : de Grenoble au Petit-Clamart

    Le président de la République Nicolas Sarkozy et le ministre de l'Intérieur Brice Hortefeux, le 30 juillet 2010 à Grenoble. AFP Philippe Desmazes

    A Grenoble, Sarkozy avait dégainé tous azimuts

    Nicolas Sarkozy avait sorti l'artillerie lourde sur la sécurité et l'immigration en promettant à Grenoble un nouveau renforcement de l'arsenal répressif contre les délinquants et en déplorant l'«échec» du modèle d'intégration français depuis cinquante ans. C'était déjà la course à l'extrême-droite. 

    Sarkozy et le 19 mars : de Grenoble

     au Petit-Clamart

    19 mars 2016 | Par Hubert Huertas 

    « Ne déclenchons pas une guerre des mémoires », vient d’écrire Nicolas Sarkozy dans Le Figaro. Dans son viseur indigné, François Hollande, qui célèbre ce samedi la date du 19 mars 1962, c’est-à-dire le « cessez-le-feu » en Algérie. Mais en croyant tirer sur son successeur, Sarkozy atteint en fait Charles de Gaulle, le fondateur de sa famille politique.

    On le dit hypermnésique, mais pour le coup l’ancien chef de l’État a la mémoire qui flanche. À le lire, il vient de voir le loup, et il n’en revient pas. Effaré par sa découverte, il le fait savoir à la France, dans une tribune, en invitant son premier cercle à monter au front. C’est ainsi qu’Éric Ciotti ou Frédéric Péchenard ont diffusé ses éléments de langage. « C'est une forme de provocation. C'est fracturer les Français », a accusé le premier. « La date du 19 mars est un mouchoir rouge », a soupiré le second.

    Nicolas Sarkozy vient de découvrir que François Hollande s’apprête à commémorer un événement déchirant. Il y a cinquante-quatre ans, un 18 mars, les accords d’Évian étaient signés entre la France et le Gouvernement provisoire de la République algérienne, et le lendemain la guerre commencée sept ans plus tôt était censée rendre les armes.

    « Censée », car les armes n’ont pas été rendues : les massacres ont redoublé jusqu’à l’été suivant, des centaines de milliers de « pieds-noirs » sont devenus des « rapatriés », des harkis ont été assassinés, des milliers d'Algériens ont été tués par l'OAS, et les cicatrices mémorielles entre la France et l’Algérie ont très longtemps suppuré.

    Pour les uns, le 19 mars est devenu le symbole des déchirements, voire des trahisons, et pour les autres, en dépit des soubresauts sanglants, c’est l’aboutissement d’un processus irréprochable et juste, celui de la décolonisation et de l’émancipation des peuples.

    Tout cela explique que pendant des dizaines d’années les tenants des deux mémoires se soient vivement affrontés. D’un côté, autour des associations de rapatriés, électoralement puissantes sur la façade méditerranéenne, ceux pour qui le 19 mars était un deuil, et de l’autre, plutôt ancrés à gauche, et notamment autour de la FNACA (Fédération nationale des anciens combattants en Algérie, Maroc, et Tunisie), ceux pour qui le cessez-le-feu, même chaotique, a mis fin à une guerre et à une oppression.

    Donc le débat que semble découvrir Nicolas Sarkozy est vieux de plus d’un demi-siècle, et ses acteurs politiques sont clairement identifiés, jusque dans leurs préoccupations électorales. Le Front national s’est toujours indigné du 19 mars, et sur les quatre mille rues ou places qui entretiennent sa mémoire dans les villes et villages de France, deux ont été débaptisées par des maires d’extrême droite. La gauche a toujours revendiqué cette date, et la présence de François Hollande aux cérémonies du quai Branly ce samedi, au-delà de ses préoccupations électorales, ne fait après tout que prolonger une décision de l’Assemblée nationale datant de 2002, et confirmé par le Sénat en 2012 !

    Quant à la droite classique, elle a toujours été embarrassée par ce symbole, et elle est donc restée relativement discrète. Les pieds-noirs font partie de sa clientèle, mais de Gaulle est toujours une référence fondamentale dans ses discours. Or il est le grand homme qui a fait acter les accords d’Évian, donc le « cessez-le-feu » du 19 mars par un référendum massivement approuvé. Une politique qu’il a failli payer de sa vie. Le 22 août suivant, l’OAS, actionnée par des officines d’extrême droite, tentait de l’assassiner, au Petit-Clamart, dans le département de la Seine.

    Depuis un demi-siècle, et ce n’est pas malheureux, les haines se sont quand même apaisées entre la France et l’Algérie, et la multitude de retrouvailles privées entre les uns et les autres est là pour en témoigner. Mais le décor et le discours politique, le plus souvent inspirés par la prochaine élection, n’ont pas beaucoup varié, et continuent de se crisper, rituellement, aux alentours du 19 mars. Le Front national y va de sa condamnation, la gauche de sa célébration, et la droite parlementaire de ses élongations.

    Rien de bien nouveau en 2016, sauf cette sortie de Nicolas Sarkozy, qui rompt clairement avec l’histoire de sa famille. Voilà que l’ancien chef de l’État recommande de faire silence à propos du 19 mars pour ne pas faire de peine aux nostalgiques de l’Algérie colonisée. Voilà qu’il prend parti là où son parti se tenait à distance, comme l’avait fait Jacques Chirac en inventant une journée du souvenir qui ne s’appuie sur aucun événement précis, le 5 décembre.

    En attaquant Hollande sur l’Histoire, Sarkozy rompt donc avec l’héritage de Charles de Gaulle. Il se tire une balle dans le pied, ou plutôt dans le piédestal. Dans sa course à l’extrême droite, il avait prononcé son discours de Grenoble, et voilà qu’il remet ça, au nom du Petit-Clamart…

    SOURCE : https://www.mediapart.fr/journal/france/190316/sarkozy-et-le-19-mars-de-grenoble-au-petit-clamart 

     

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