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Secret-défense : le Conseil d’État annule la procédure de déclassification
Secret-défense : le Conseil d’État annule
la procédure de déclassification
Ce vendredi 2 juillet, la plus haute juridiction administrative a annulé la possibilité pour l’exécutif de ne pas rendre publics des documents classés secret-défense au terme de l’expiration du délai légal.
Le Conseil d’État a annulé vendredi 2 juillet la possibilité pour l’exécutif de ne pas rendre publics des documents classés secret-défense au terme de l’expiration du délai légal, s’invitant ainsi au cœur d’un vif débat parlementaire.
Pas de restriction de temps
La plus haute juridiction administrative française a estimé que les archives protégées par un délai de 50 ou 100 ans ne pouvaient être soumises à une quelconque restriction au-delà de cette période.
Le Conseil d’État rappelle que les archives classifiées sont communicables de plein droit, conformément à la loi actuelle, à l’expiration de ces délais. En conséquence, le Premier ministre ne peut conditionner l’accès à ces archives à une procédure de déclassification préalable, estime-t-il, selon un communiqué publié sur son site.
Une loi de 2008 prévoit que les archives de plus de 50 ans soient librement accessibles. Mais l’application d’arrêtés datant de 2011 et 2020 imposait de déclassifier, un par un, tous les documents tamponnés comme secrets, entravant de fait leur consultation.
Le Conseil d’État va dans le sens des archivistes, historiens
et associations
Les plaignants – des historiens, archivistes et associations – contestaient ces textes, estimant notamment que cette disposition laissait une marge d’appréciation discrétionnaire illégale à l’administration et ne précisait pas les motifs pour lesquels un refus de déclassification peut être opposé. La décision du Conseil d’État leur donne donc raison.
Mais la décision intervient surtout en pleine polémique politique, puisque le dossier fait partie du projet de loi renforçant les mesures antiterroristes et le renseignement, actuellement discuté dans les deux assemblées.
Mercredi, des sénateurs PS ont dénoncé un énorme retour en arrière et un passage en force après le vote dans la nuit, dans le cadre du projet de loi, de l’article réformant l’accès aux archives.
Je suis très en colère de voir qu’on puisse revenir de façon aussi brutale, et au détour d’un cavalier législatif, sur la loi de 2008, c’est extrêmement grave par rapport à l’écriture de l’Histoire contemporaine et politique de demain, avait déclaré la porte-parole Sylvie Robert lors du point de presse du groupe.
Le président a souhaité faire un travail sur la mémoire […] et derrière ça, on ferme les archives, avait pour sa part dénoncé son collègue Rachid Temal.
Guerre d’Algérie. La déclassification
des archives va-t-elle mener à de nouvelles
découvertes ?
Plus de soixante ans après la fin du conflit, des zones d’ombre persistent sur la guerre d’Algérie. L’accès limité aux archives, souvent classées « secret-défense », rend le travail de recherches complexe sur cette période. L’annonce d’Emmanuel Macron, mardi 9 mars, de faciliter cet accès aux documents classifiés d’avant 1971 donne l’espoir d’en savoir davantage. Historiens et archivistes restent cependant prudents sur les effets concrets de cette déclaration du chef de l’État.
La guerre d’Algérie a-t-elle livré tous ses secrets ? Probablement pas. Près de soixante ans après la fin du conflit, des zones d’ombre persistent. Des familles réclament des informations sur ces proches qu’ils n’ont jamais revu. D’autres aimeraient en savoir davantage sur le massacre d’Oran en 1962 ou encore sur les essais nucléaires menés par la France dans le Sahara dans les années 60.
L’annonce d’Emmanuel Macron, hier, de déclassifier au « carton » « des documents couverts par le secret de la Défense nationale jusqu’aux dossiers de l’année 1970 incluse » peut donner un espoir aux familles, mais aussi aux chercheurs, d’en savoir plus sur cette période de l’histoire. Jusqu’ici, c’était le cas uniquement pour les archives classifiées au « carton » d’avant 1954, date de début du conflit.
Les disparus au centre des attentions
Si « l’histoire de la guerre d’Algérie a été en grande partie écrite », estime Céline Guyon, présidente de l’association des archivistes français, toutes les zones n’ont pas pour autant été explorées. « Des dizaines de milliers de personnes ont disparu durant la guerre d’Algérie. De nombreuses familles ne savent pas dans quelles conditions leur proche a été exécuté ou enterré, regrette Pierre Mansat, président de l’Association Josette et Maurice Audin, qui œuvre pour la reconnaissance des crimes coloniaux. Il y a beaucoup de choses à mettre à jour sur ce plan là et les archives sont essentielles. »
« La question des disparus algériens et français de cette guerre reste effectivement l’un des points aveugles de la recherche historique, appuie Linda Amiri, maître de conférences en histoire contemporaine à l’université de Guyane. Il en va de même pour « les ratonnades » en Algérie qui furent nombreuses, les lieux d’enfermement divers et variés, officieux et officiels, la « Main Rouge » (organisation française secrète). » Pour l’historienne Linda Amiri, qui a notamment travaillé sur l’action du Front de libération national en France, il reste des faits « à exhumer » sur cette guerre d’Algérie, « et d’autres, plus connus, à mieux analyser au regard des nouvelles sources orales et écrites aujourd’hui disponibles ».
En ce qui concerne les essais nucléaires menés dans le Sahara algérien par la France entre 1960 et 1966, autre angle mort de la recherche, l’Élysée a annoncé que les informations resteront secrètes, au grand dam d’Alger qui les réclame.
Réaction mitigée des historiens et archivistes
Les sujets ne manquent donc pas. Mais cette annonce d’Emmanuel Macron, qui fait un pas de plus vers la réconciliation mémorielle, va-t-elle vraiment permettre de faire bouger les lignes ? « Elle montre que les actions menées par les historiens et les archivistes depuis plus d’un an ont été partiellement entendues », estime Céline Guyon, présidente de l’association des archivistes français.
Réaction partagée par Thomas Vaisset, secrétaire général de l’AHCESR (Association des historiens contemporanéistes de l’enseignement supérieur) et maître de conférences à l’université du Havre : « Le président constate qu’il y a un problème, il y a une prise de conscience. Depuis deux, trois ans, il demande que les historiens travaillent sur l’Algérie, mais ce n’est pas possible. » Pourquoi ? Depuis plus d’un an, historiens et archivistes dénoncent un durcissement des administrations sur le respect du secret-défense de certains documents. À tel point qu’un collectif a saisi le Conseil d’État en septembre 2020 contre l’instruction générale ministérielle (IGI) de 2011 sur laquelle s’appuient les administrations pour limiter l’accès aux archives.
Tous les dépôts d’archives ne sont pas concernés
Si cette annonce d’Emmanuel Macron est perçue comme une avancée sur la forme, historiens et archivistes préfèrent rester prudents sur le fond. « Nous sommes sceptiques car peu de choses changent par rapport à hier, soupire Thomas Vaisset qui travaille sur la Seconde Guerre mondiale. La seule nouveauté, c’est que la déclassification qui allait jusqu’à 1954 est élargie jusqu’à 1971. Mais concrètement, je ne verrais pas plus d’archives aujourd’hui que j’en ai vues hier. »
Pierre Mansat, lui, déplore le fait que le « secret-défense » entrave la consultation des documents archivés d’avant 1971, pourtant autorisée à tous grâce au « Code du patrimoine de 2008, rappelle-t-il. Ce n’est pas au président de la République de dire si la loi doit être appliquée ou non. Elle doit être appliquée, c’est tout. »
Céline Guyon ajoute que cela « ne va pas régler les problèmes d’accès aux archives », et ce pour plusieurs raisons. « La mesure de simplification qui est annoncée ne concerne pas l’ensemble des dépôts d’archives, explique-t-elle. À la différence de leurs collègues archivistes au service historique de la défense, les archivistes aux archives nationales n’ont pas les compétences pour déclassifier. Ils doivent continuer, malgré les annonces de l’Élysée, à solliciter les autorités émettrices des documents pour recueillir leur autorisation et surtout pour qu’elles viennent in situ les déclassifier. »
« Une méconnaissance du travail de chercheur »
Dans sa déclaration, l’Élysée parle d’une déclassification « au carton ». Concrètement, cela permet à l’archiviste d’isoler des documents classés Défense présents dans le même carton et de communiquer uniquement ceux qui ne sont pas tamponnés.
Cette technique apporte une difficulté aux étudiants, selon l’historien Thomas Vaisset, et montre « une méconnaissance de la façon dont les chercheurs travaillent. Lorsqu’ils se rendent aux archives, ils rentabilisent leur temps en prenant en photo les documents, feuille par feuille, qu’ils souhaitent étudier ensuite. » Cette reproduction nécessite une marque l’autorisant, tel un coup de tampon. « Quand on déclassifie au carton, on ne met pas cette marque sur chaque document, donc le chercheur ne peut plus le photographier », explique-t-il. Argument également mis en avant par ses confrères Pierre Mansat et Linda Amiri. « Cela pénalise beaucoup les chercheurs qui habitent en province et dans les Outre-mer », avance la maître de conférences à l’université de Guyane.
Les volumes concernés, titanesques, sont aussi à prendre en compte pour rendre accessibles ces documents. « Cela représente des dizaines de milliers de cartons, donc ça ne va pas se faire dans des délais courts, estime la présidente de l’association des archivistes français. Cela peut prendre des mois, voire des années. »
Si les archives publiques restent une source importante pour les chercheurs, elles sont loin d’être la seule. Pierre Mansat sait depuis plusieurs années qu’il n’apprendra plus rien sur le sort de Maurice Audin, mathématicien assassiné par l’armée française dans ces archives publiques. « Pour avancer, il faudrait que nous ayons accès aux archives privées de certaines personnes, comme celles du général Massu détenues par sa veuve. Mais elle refuse de les rendre publiques », détaille-t-il. « Les archives privées sont celles qui apportent le plus souvent de la nouveauté et viennent documenter l’histoire », assure Céline Guyon, la présidente de l’association des archivistes français.
« Proposition de Benjamin Stora sur la mémoire *** Question au gouvernement N° 35964 de M. Alexis Corbière (La France insoumise - Seine-Saint-Denis)Essais nucléaires et archives : ce que reproche l’Algérie à la France »
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Commentaires
Je ne suis ni historien ni archiviste mais il me semble que la prise de position du conseil d'état est en faveur d'un mieux pour leurs recherches.
Je crois aussi que concernant l'opinion publique l'idéologie dominante n'aide pas à la prise de conscience de la nature de la guerre d'Algérie et du rôle qu'on a fait jouer aux appelés du contingent. Là ce n'est pas un texte administratif qui est en cause mais le refus politique d'y voir clair dans ce pan de notre histoire nationale. De ce point de vue le rapport Stora a permis une avancée. Il faut poursuivre sur cette base.