Micro en main, le réalisateur les accueille d'une voix bienveillante, caressante. Il connaît les blessures intimes des anciens d'Algérie. Sept ans au moins qu'il vit avec. Depuis que Simone de Bollardière, la veuve du général qui « osa dire non » à la torture, l'entraîna un jour de 2008 à l'assemblée des « 4 ACG ».
C'est cette association lancée par des paysans du Tarn qui a brisé le silence. « Ils se sont mis à parler, poursuit Emmanuel Audrain, et se sont aperçus : "On a tous vécu la même chose". » Il raconte lentement puis il conclut en désamorçant le malentendu qui guette : « C'est l'histoire de sept hommes, pas de la guerre d'Algérie. »
Retour sur une douleur interdite
• L'histoire du film, les acteurs, le DVD et ses Compléments : voir le blog Retour en Algérie
• Retrouver le commentaire paru sur Rebelles non-violents lors de la sortie du film.
• Voir aussi le portrait publié en 2011 de Rémi Serres, paysan retraité du Tarn, cheville-ouvrière de l'association 4ACG :
Rémi Serres a mal à sa guerre et à sa terre
« Personne n'était intéressé par ça... »
Il poursuit : « J'aimerais poser la question à ceux qui sont allés en Algérie. Arrivez-vous à en parler avec vos enfants, les petits enfants... Oui, Monsieur ?.. » « Personne n'était intéressé par ça... » lâche l'ancien soldat ; aujourd'hui encore... » Le cinéaste-médiateur parle alors de Gilles Champain, l'un des sept de "Retour en Algérie" qui a fini par « offrir à son fils et sa fille le récit de sa vie ; il va maintenant dans les lycées : "J'ai un devoir de vérité," dit-il ».
« Vous avez raison mais… »
Mais « tous les jours, dix jeunes tombaient, ce n'est pas assez souligné dans le film », reproche une voix. Et les crimes de l'autre bord ? » Emmanuel Audrain répond : « Vous avez raison mais ce n'était pas le projet du film de faire le bilan de la guerre d'Algérie. » Souvent la salle elle-même vient le conforter : « Un jour, en 2009, raconte une autre voix, j'étais à l'hôpital et j'ai lu dans les Cahiers de l'Histoire que sous Monsieur Thiers, on prenait les Algériens pour des "inférieurs." Ah ça ne m'a pas fait de bien ! »
Mais la discussion est toujours sur un fil. Soudain, un ancien appelé lance : « Ceux de là-bas, qu'ils nous laissent en paix chez nous ; moi, je suis raciste : chacun chez soi. » Libérer la parole exorcice les tourments mais lâche aussi parfois les vieux démons, Front National aidant. Comment répondre à cela ? Sur le coup, Emmanuel Audrain n'a pas su et se le reprochait plus tard. Comprendre sans toujours accepter : pas simple...
« Il a su filmer les fêlures, entendre les douleurs »
C'est une petite musique dans le silence des grands médias mais elle est nécessaire. Indispensable aussi à son auteur. Le cinéma engagé au plus près des gens, c'est sa passion. Il a toujours offert « une écoute formidable à ceux que la vie a malmenés. Il a su filmer les fêlures, entendre les douleurs. Et nous les restituer avec une immense pudeur », écrit Caroline Troin sur le site Bretagne et Diversité (voir ci-dessous).
« On a besoin de partager ça »
Appris les mots qui apaisent, entraînent dans la réflexion les contradicteurs les plus résolus. Par la suite, est venu notamment "Le testament de Tibhirine", (2006), le drame des moines assassinés en Algérie en 1996. Inévitablement, parfois, des anciens d'Algérie étaient déjà dans la salle, tel un ancien parachutiste compagnon de régiment de l'un des moines. « Dans notre régiment, a-t-il témoigné, on ne torturait pas, par contre la torture s'est faite à grande échelle, oui. C'est une "tache" que nous, les militaires, continuons tous à porter. »
Aujourd'hui, avec "Retour en Algérie", l'incertitude est totale quand la soirée commence. « Parfois tu te fais agresser mais tu réponds : "Dites bien le fond de votre pensée" ; je viens à côté, je mets la main sur l'épaule quand le gars est ému. L'important est qu'on se parle, qu'on échange. Alors, il finit par dire : "D'accord, je comprends". Rencontrer des gens, c'est le plus beau des voyages. »
Michel Rouger