• Témoignage de Jean Poussin, militaire appelé et instituteur en Algérie.

     

    Témoignage de Jean Poussin

     

    militaire appelé et instituteur

     

    en Algérie.

     

     

    Une réflexion préalable en France

     

    Né en Bretagne en août 1938, j’aurais dû faire mon service militaire à partir de 1958, j’étais étudiant et sursitaire, j’ai donc été appelé avec la classe 59/2B en novembre 1959, mon frère aîné avait été rappelé en Algérie, il venait de rentrer, le cadet était resté en France comme soutien de famille, j’étais mobilisable en Algérie.

                 Lors de mes trois jours à Dinan, j’ai exprimé mon désir de ne pas rester en France, de partir en Algérie, comme tout le monde, et ma volonté de ne pas y faire la guerre, enseigner par exemple, même si j’acceptais de porter les armes. Mon dossier a été égaré, j’ai dû recommencer mes 3 jours, avec les mêmes convictions, avec les mêmes tests, si bien que la deuxième fois j’étais très bon pour la télégraphie en morse, malgré ma faiblesse d’oreille. Mon dossier a été marqué au crayon rouge.

                 Avant de partir, j’étais en relation avec des équipes de la Mission de France, nous lisions Témoignage Chrétien (nous continuerons de le recevoir en Algérie mais enveloppé dans la première page d’un quotidien local) ; nous avions fait une réflexion sur la France en Algérie, sur la torture, sur la désobéissance militaire, sur l’objection de conscience (interdite alors). J’ai pris la décision de demander à partir pour y être présent.

                 J’ai refusé de faire les écoles de gradés (EOR et ESOR), j’ai fait deux mois de classes à Dinan au 71ème régiment d’infanterie, j’ai appris à tirer et à faire la guerre, j’ai fait quatre mois de formation radio et de chiffre (code secret militaire) à St Malo, refusé les galons et suis parti en Algérie comme 1ère classe début mai 1960.

     Nous roulons pendant une longue journée au fond d’un camion bâché pour faire St Malo-Marseille. Nous embarquons aussitôt et c’est deux jours à manger des nouilles pour nourrir les poissons, à fond de cale ou lovés dans les cordages d’un rafiot pourri « Le Président de Casalet » (il a coulé peu après), et nous découvrons Oran, « Ici la France », est-il écrit sur le port.

      
    D’abord planqué en Algérie

     

    Ensuite, c’est 400 km de tortillard d’Oran à Vialar (Tissemsilt) : nous arrêtons à chaque gare (toutes incendiées), à chaque passage à niveau pour fermer puis réouvrir les barrières routières. Deux locomotives, un wagon de poteaux électriques anti-mines que nous changeons de place pour tromper l’ennemi. Mais il n’y a pas d’ennemi, il n’y a pas de guerre d’Algérie, c’est du  maintien de l’ordre.

     A ma grande surprise, malgré mes « compétences» en radio » , je suis affecté au 1er Bureau Personnel Officiers du 110ème R.I.M, dans une maison bourgeoise réquisitionnée, (au pied du minaret qui cinq fois par jour transmet l’appel à la prière ou les signes d’une prochaine opération dans l’Ouarsenis) comme secrétaire particulier du Colonel du régiment, le Colonel Puech. On vient de me planquer sous haute surveillance. J’apprends à taper à la machine, je frappe le courrier du colonel, participe à la rédaction des textes des décorations des officiers supérieurs, suit les avancements, fait le ménage du bureau du Colonel, classe ses papiers, suis chargé de détruire les brouillons de sa corbeille à papier (au lieu de la femme de ménage qui est algérienne). L’adjudant Amadazi, mon chef de bureau supporte mal mes avantages.

     Le Colonel Puech me met à l’aise tout de suite, il connaît mon dossier, il me dispense donc de le saluer militairement, me demande seulement de rectifier la position avant de lui serrer la main. Il me dit qu’il comprend mes états d’âme et me parle de son frère qui est évêque dans le sud de la France, que je peux lire et commenter tous ses papiers ; je suis, bien sûr, tenu au secret militaire.

     La ville de Vialar (Tissemsilt) est pleine de compagnies opérationnelles, il y a un deuxième bureau, un troisième, un quatrième, et un cinquième : le renseignement, les opérations, l’intendance et l’action psychologique. Il y a aussi un B.M.C.(bordel militaire de campagne privé) pour le moral de la troupe, bonjour pour les dégâts.

     Nous rencontrons parfois un aumônier militaire et le Curé de la paroisse. Je fais connaissance avec un Segréen Georges Bien qui approvisionne l’intendance.

     Nous faisons du théâtre, parlons d’action psychologique, des frigos et de la gégène du deuxième Bureau auquel sont affectés deux collègues dont un séminariste qui se dit favorable (et je crois, actif) aux interrogatoires musclés. Les retours d’opérations sont parfois suivis d’arrosages orgiaques. Ma situation de planqué involontaire ne me donne pas plus d’informations : je savais, j’étais écœuré,  mais n’avais pas d’autre solution que de m’accrocher à l’idée de scolariser les enfants algériens.

     Le Colonel me dit satisfait de mes services, je lui sers de confident pendant deux mois, ce qu’il ne peut pas faire avec le Lieutenant-Colonel (opérationnel) de St Ferjeux et autres gradés qui gravitent autour du PC. Je l’informe de ma volonté de servir comme instituteur dans le bled. J’ai un avantage dans la maison, je n’ai aucune recherche d’avancement.

     Au bout de deux mois, le Colonel me dit « Poussin, si tu tiens toujours à aller faire l’école aux algériens, tu pars demain, dans un bled paumé et dangereux, si par la suite tu regrettes, tu me fais savoir et je te reprends. »

     

                      

     

     La S.A.S. de Sahari à Nadourah, sud-est Oranais

     

     Je suis ravi de partir avec la prochaine navette à 70 Km vers le sud, via la 2ème compagnie de Burdeau (Mahdia), j’ai juste le temps de constater qu’il y a, dans cette ancienne conserverie, des frigos « réaffectés » et arrive à la S.A.S. (Section administrative spécialisée) de Sahari, à Nadourah (aujourd’hui Dayet Terfas), région de Tiaret.

     C’est une ancienne ferme (ferme Frugès) fortifiée pour les besoins du maintien de l’ordre. Ce sont 90 harkis (supplétifs) qui forment une harka montée et sont encadrés par une poignée de Français. Un jeune Capitaine marié à une Kabyle dirige le tout avec un Lieutenant appelé, un Sergent qui a fait l’Indochine et une dizaine d’appelés qui assurons les services de confiance : deux radios (l’un est de la Vallée en 49), deux cuistots, deux armuriers, deux magasiniers, un infirmier et moi-même qui vais devenir instituteur. Il y a une quarantaine de chevaux entretenus et équipés pour les patrouilles, on m’en affecte un qui me servira surtout à visiter les familles des élèves absents : j’y vais seul, en civil et sans arme.

     Le capitaine, le Sergent et leurs familles vivaient dans les maisons de maître de la ferme Frugès, l’infirmerie était installée dans un baraquement, la troupe s’était lovée dans des petites dépendances dispersées aux quatre coins de la ferme et munies de meurtrières et guérites pour prévenir des attaques éventuelles. La nuit, les harkis habitaient avec leur famille à côté et à l’extérieur de la SAS, dans des cités en parpaing. Le jour ils étaient de service dans le camp. A tour de rôle, une dizaine de harkis dormaient à l’intérieur pour monter la garde, ils étaient à la fois une protection et une menace. Les 40 chevaux étaient logés dans les anciennes étables.

     Je ne sortirai en patrouille à cheval que deux ou trois fois avec un poste radio (ANPRC.10) que j’avais fixé sur le dossier de ma selle arabe ; j’eus l’occasion de visiter des mechtas et de limiter les dégâts de collègues trop zélés dans les fouilles. Il y eut parfois des prisonniers à la SAS, ils étaient ici traités ordinairement mais ensuite expédiés ailleurs…

     Ce fut le cas, en fin 1961, de mon ami Chachoua Kuider, collègue instituteur algérien que je ne revis jamais, ainsi que quelques harkis soupçonnés d’être en même temps fellaghas (nous pensions qu’ils l’étaient presque tous, nous en avons eu la confirmation en 1988). 

     

                Instituteur et militaire à Sahari

     

     J’étais là volontaire pour ouvrir une école à l’intérieur de la SAS et accueillir les enfants non scolarisés, leur apprendre à lire, écrire et compter en français, je n’étais pas là pour obtenir du renseignement. Mon collègue infirmier appliquait la même déontologie (nous étions dans la phase ambiguë de la pacification). De juillet 1960 à décembre 1961, je fis la classe pratiquement sans interruption : pas de jeudi ni vacances, les élèves avaient une telle soif d’apprendre et nous avions pris tellement de retard. Les effectifs évoluèrent de 30 à 60 puis 90 élèves, de 6 à 12 ans, dont trois enfants français du couple de secrétaires de mairie (Les Dureng) et le fils du Sergent Faure et de madame. Avec le surnombre, on me nomma un aide, jeune algérien appelé qui avait été scolarisé (Ali Rahmani). La plupart des élèves étaient des enfants de harkis ou autres habitants du bled. Mon collègue Chachoua Kuider, instituteur normalien algérien prenait les grands dans une école construite en dehors du poste militaire, près de la mairie.

     Un bâtiment en parpaing et en cours de construction me fut affecté pour en faire l’école et me loger  (il avait d’abord été construit pour et par les collègues du contingent pour se loger ! )

     L’aménagement de ma classe se fit avec les moyens du bord : tables à tréteaux, bancs avec planches et parpaings, les abreuvoirs devinrent des lavabos collectifs, un petit et ancien château d’eau fut transformé en douche, la dotation militaire de savon de Marseille fut en partie «détournée» pour l’école, ainsi que le projecteur 16 mm du cinéma aux armées, avec le film « Crin blanc », quelques Charlot et des Laurel et Hardy.

     

         

     

     Outre mes tâches d’enseignant, j’assurais la maintenance et le démarrage ( ?) de deux moteurs Bernard diesel qui produisaient l’un  l’éclairage et l’autre le pompage de l’eau potable, lorsque l’énorme éolienne était au calme plat ou en rideau. Je participais aussi à la protection nocturne du camp en faisant fonction d’officier de quart, ce qui signifiait contrôler les sentinelles harkis qui nous « protégeaient » et assurer les liaisons radios de sécurité : tout silence radio signifiait que le camp avait été attaqué et enclenchait l’assaut des compagnies les plus proches, situées à 30 km de piste. Je portais une arme à répétition pendant ces missions et je dormais avec, sous mon oreiller, parfois « la culasse en arrière » surtout lorsque des camps comme le nôtre venaient de sauter : nous étions prêts à nous défendre si nous étions agressés. 

      En dehors de cela, je faisais la classe avec une tenue discrète et le moins possible militaire, c’est ainsi que je reçu le Colonel Puech dans ma classe avec un pantalon militaire et un pull rouge, alors qu’il venait me féliciter, sans prévenir, et m’annoncer que, malgré-moi, il me nommait caporal-chef, afin que, maintenu sous les drapeaux, (mai 1961) je puisse continuer avec une solde vitale.

     Je faisais la classe avec la méthode « Ali et Omar », manuel de lecture et de calcul à la fois, outil de travail moderne pour l’Algérie, après l’antique méthode « nos ancêtres les Gaulois ». A cause du grand nombre, j’utilisais la répétition : après la leçon, j’interrogeais quelques dix élèves qui me semblaient avoir mieux compris et ils devenaient les répétiteurs. C’est ainsi qu’une de mes répétitrices Khadra Belfedhal, fille du Caïd devint la référence de la classe. Elle nous servait d’interprète et de garde-fou. Si un élève parlait, imprudemment, de ce qui s’était passé chez lui, la veille, elle se levait et haranguait la classe sans me demander mon avis ; ensuite me menaçant de son index, elle me disait « Maître, tu n’as rien entendu», j’acquiesçais volontiers et le cours reprenait. (Elle m’a écrit en France en juin 1962, je l’ai revue en 1988 et ai échangé à ce sujet).

     

         

     

     Le Putsch d’Alger, pendant une permission

     En début 1961 l’armée « organisa » le referendum en allant chercher les électeurs en camions et en leur expliquant de mettre le bulletin blanc (Oui) dans l’urne et de jeter le bulletin violet (Non). Nos deux classes servirent de lieux de vote. 

     En Avril 1961, j’eus droit à une permission en France, mais elle fut écourtée par le Putsch d’Alger ; permissionnaires nous serons re-mobilisés à Marseille contre l’invasion en France des Putschistes et pour garder des compagnies pétrolières. Oubliés pendant 15 jours au pied des citernes d’essence, nous serons portés déserteurs dans nos affectations algériennes, notre permission étant terminée.

     J’eus aussi droit à 15 jours de vacances au bord de la Mer, à Arzew, par les services sociaux des armées. De 110ème RIM, nous étions passés 36ème Bataillon d’infanterie.

     Pendant une patrouille, un des harkis prit la fuite avec un cheval et des munitions. On apprit qu’il fut tué par la suite lors d’une opération dans l’Ouarsenis. Plusieurs harkis furent interrogés et embarqués au 2ème Bureau de Burdeau (Mahdia), ainsi que l’instituteur Chachoua Kuider.

     

                

     Après ce fut le replis, nos régiments furent déplacés vers le nord (Messouket), nous abandonnions nos positions et les gens que nous avions protégés et mouillés. Après notre départ, les Dureng, secrétaires de mairie, furent assassinés en présence de l’un de leurs jeunes enfants. Les gendarmes de Sougueur (Trezel) leur rendaient souvent visite pour  les protéger, mais toute présence française devait être alors effacée, à moins qu’il s’agisse d’un crime crapuleux. C’était des gens de passage et non pas des gens du pays ; les Dureng étaient très estimés de la population locale avec tout ce qu’ils avaient fait pour eux. Par la suite, j’ai revu les enfants, à Ussel dans leur famille, ils étaient choqués et je n’ai su quoi dire.

     Les harkis restant de la SAS de Sahari s’en sont bien tirés (sauf un), ils sont devenus Moudjahidin, ils nous l’ont confirmé en 1988. Ils avaient vécu avec la présence militaire française tout en souhaitant la libération par le FLN.

     Je serais bien resté en tant que civil, mais tout le monde m’a dit que c’était trop dangereux et que je risquais de me faire couper les c… Il y avait l’OAS, il y avait le FLN, il y avait des règlements de compte, je suis rentré en France en février 1962, quelques temps avant les accords d’Evian.

         

     Retour en France

     Je me suis retrouvé dans l’enseignement agricole, j’ai repris des formations complémentaires. Un jour que je me déplaçais avec une moto de petite qualité, des gendarmes m’ont arrêté, simple contrôle de routine. Il s’est avéré qu’ils me cherchaient de gendarmerie en gendarmerie pour me remettre une décoration « mais c’est lui ! »  Citation à l’ordre du régiment, attribution de la croix de la valeur militaire avec étoile de bronze, à remettre en mains propres. Cette décoration me fut remise par l’un des gendarmes au garde-à-vous, pendant que l’autre tenait la moto, sur la route de Rouen à St Georges sur Fontaine.

     Cité à l’ordre du Régiment, le Caporal Poussin Jean, 36° Bataillon d’Infanterie.

     « Jeune Caporal du Contingent, modèle de conscience professionnelle et de dévouement. Instituteur militaire depuis le 1er Octobre 1960 à la Section Administrative Spécialisée de Sahari, le Caporal Poussin Jean s’est dévoué entièrement à sa tâche et a rempli dans des conditions souvent difficiles la mission d’instruire et d’éduquer de jeunes musulmans analphabètes.

     A assuré en outre, le bon fonctionnement d’une cantine scolaire, la direction du foyer de jeunes et le service de l’assistance médicale gratuite avec la même joie de servir. A ainsi grandement aidé à faire apprécier l’action pacificatrice de la France. »   Signé le Général de Brigade Fayard, 4ème D.I.M., le 6 Mars 1962.

     C’était ma revanche, moi qui avais refusé la guerre et les galons, d’être décoré avec la médaille jusqu’ici destinée à ceux qui avaient tué des fellaghas.

     Cette décoration à titre pacification était accompagnée d’une lettre au ministre de l’éducation nationale, pour une décoration qui n’est jamais venue. 

               

     

            

                      

    Pèlerinage et rencontres sur les lieux, vingt-six ans plus tard

     En 1988, vingt-six ans après mon retour, j’ai eu envie de revoir les lieux et les personnes. J’ai écrit des lettres nominatives, qui sont revenues avec « n’habite pas à l’adresse indiquée. » J’ai aussi envoyé des lettres aux administrations, et là j’ai eu plusieurs réponses, car elles sont tombées entre les mains d’anciens élèves : le maire, le secrétaire de mairie, le directeur d’école… Le contact était renoué.

     Nous atterrissons à quatre, un couple d’amis, mon épouse et moi-même, à Alger le 25 Juillet 1988 pour un séjour de 15 Jours. Nous avions un passeport, des adresses, des dinars, mais pas de visas, devenus obligatoires en réaction aux lois Pasqua. On nous menace de reprendre le prochain avion pour un retour rapide. Le chef de l’aéroport prend nos papiers, nos adresses et nos recommandations, nous demande d’attendre, il nous retrouve une heure plus tard et nous interroge sur notre passé et nos intentions… il tient déjà dans la main nos visas de régulation : parmi mes anciens élèves, un nom a compté c’est celui du maire de Nadourah, (Bouharket Mohamed) qui est enseignant et politique FLN. Ouf !

     Notre ami instituteur et ancien élève, qui devait nous prendre à l’aéroport ne vient pas, mais nous rencontrons par hasard ( ?) un inconnu qui deviendra un ami, Saïd Kaci d’origine Kabyle, qui propose de nous mettre sur le chemin en nous conduisant et nous hébergeant chez lui, à Vialar (Tissemsilt). Le lendemain matin, avant son travail, Saïd nous conduit jusqu’à Burdeau (Mahdia) et là nous prenons un taxi jusqu’à Nadourah (aujourd’hui Dayet Terfas). Nous arrivons dans une petite ville qui a beaucoup construit, il y a six classes sur place, mais nous sommes au pied de notre ancien poste militaire qui n’a pas changé. La ville est encore endormie et je contemple les lieux...

     Et tout d’un coup des gamins par dizaines sortent, certains criant : « le maître est revenu , le maître est revenu ! » Je réalise soudain que, pour leurs parents, j’ai été le premier maître dans ce village. Ensuite c’est l’accueil officiel à la mairie, avec le maire et son administration, un discours en arabe (langue officielle) et traduction simultanée (j’ai peur un moment que le maire, ancien élève, ait tout oublié de la langue française), un accueil triomphal et beaucoup d’émotions. Nos bagages sont emportés chez nos hôtes qui changent chaque soir. Nous parlons de la guerre avec des anciens harkis, je dis que je savais, ils sont fiers de confirmer.

     Nous parlons de l’évolution du pays, les inquiétudes sont à peine perceptibles en campagne, alors que la crise est sous-jacente et que la tension est déjà là dans les grandes villes, jeunesse nombreuse, chômage en vue, barbes, foulards et autres insignes irano-islamiques.

     Je souhaite revoir, parmi d’autres, une ancienne élève Khadra Belfedhal, on nous-y conduit à Tiaret, avec un interprète, elle est l’épouse du principal du lycée. Nous rencontrons son mari arabisant qui ne comprend pas : « vous faites erreur, ma femme n’a jamais fréquenté l’école française »,  puis leurs deux filles qui font la transition, enfin mon ancienne élève qui ne se souvient plus de rien, mais dont la mémoire resurgit rapidement. Le langage français lui revient, elle me fredonne « alouette, je te plumerai », chanson que je lui aurai appris, elle me parle du film « Crin blanc », son mari découvre apparemment stupéfait. Je lui rappelle ses interventions de sécurité, en classe, elle se souvient.

     Après de nombreux kahoua et gâteaux, le départ est accompagné d’échanges de cadeaux pas seulement conventionnels, la bise et l’émotion vont de soi. Elle me remet, entre autre, un petit livre en français sur l’islam (1972), que je n’ai le droit d’ouvrir que plus tard ; elle y a écrit, au préalable dans la cuisine, de sa main et en français, avec la connivence de ses filles ces quelques mots « un petit souvenir, de la part de Belfedhal Khadra, votre élève bien aimée, merci ! » 

     

     Tourisme aussi

        Le couple d’amis qui nous accompagnait était déjà venu en Algérie après 1962 et avait des relations amicales aux quatre coins de l’Algérie. Nous visitons le sud, Ghardaia, l’ouest, Nemours (Ghazaouet), Oran, Alger, Tizi-Ouzou et la Kabylie.

     Partout nous sommes bien accueillis, il n’y a pas d’autres touristes, c’est la période des vacances scolaires. Nous apprécions la densité du réseau de transport en commun : les bus sont pleins ; les femmes et les enfants d’abord, nous les étrangers ensuite et les hommes s’il reste de la place. Partout les policiers nous regardent favorablement, ils paraissent informés de notre venue. La chaleur  est étouffante, en particulier dans la fournaise de Relizane

     Seule grande ligne moderne, nous découvrons le confort des trains couchettes (wagons-lits français sur des rails autrichiens) entre Oran et Alger.

     Nous sommes en 1988 : politiquement tout paraît calme, sauf à Alger où le climat est plus tendu et laisse présager les émeutes qui suivront.

     Des témoignages 47 ans après

     Suite à ce témoignage, j’ai reçu des e-mail ou des communications téléphoniques de personnes qui avaient envie d’en parler : algériens, fils de harkis, enfants de coopérants, pieds-noirs, soldats du contingent, enfants d’appelés ou de militaires de carrière.

     La guerre d’Algérie s’est mal passée, et s’est mal terminée

     Certains me parlent du départ avec « la valise ou le cercueil », mais aussi l’abandon des harkis, leur drame et celui des capitaines de S.A.S.

     Beaucoup ne parlent pas. Et c’est ce que les enfants déclarent dans les écoles « la guerre d’Algérie, mon papy il ne veut pas en parler ».

     Ce témoignage, c’est aussi un hommage à mes collègues de Sahari :

     Jean Claude Guillemot, Robert Lejeune, Robert Nicolas, Claude Coutard, Gérard Houdoin, Renévot (le bigouden) … il en manque.

     

     

     

     

     

     

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