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Travail commun sur l’histoire coloniale Benjamin Stora chargé officiellement d’une mission sur «la mémoire de la colonisation»
Travail commun sur l’histoire coloniale
Benjamin Stora chargé officiellement
d’une mission sur «la mémoire
de la colonisation»
Le président français, Emmanuel Macron, a enfin franchi le pas en désignant l’historien Benjamin Stora, spécialiste de l’histoire commune, à engager un travail conjoint sur les questions mémorielles.
Le travail de mémoire commun entre chercheurs des deux rives, dont on parle avec insistance ces derniers jours, commence à prendre forme et ses contours se précisent peu à peu.
Quelques jours après la déclaration du président Abdelmadjid Tebboune, où il annonçait, lors d’un entretien télévisé, diffusé dimanche 19 juillet, la désignation de Abdelmadjid Chikhi, notre «Monsieur Archives», comme représentant de l’Algérie dans le travail engagé conjointement avec la partie française sur les questions mémorielles, c’est au tour d’Emmanuel Macron de franchir le pas en chargeant officiellement ce vendredi l’historien Benjamin Stora d’une mission sur «la mémoire de la colonisation et de la Guerre d’Algérie».
C’est ce qu’a indiqué l’Elysée dans une annonce relayée par l’AFP, une démarche qui vise à favoriser «la réconciliation entre les peuples français et algérien».
Les conclusions de M. Stora sont «attendues à la fin de l’année», précise-t-on, et cette mission, de l’avis de l’Elysée, «permettra de dresser un état des lieux juste et précis du chemin accompli en France sur la mémoire de la colonisation et de la Guerre d’Algérie, ainsi que du regard porté sur ces enjeux de part et d’autre de la Méditerranée».
Le président de la République, Abdelmadjid Tebboune, avait affirmé, lors de sa dernière rencontre télévisée avec deux confrères de la presse nationale, en évoquant cette démarche historiographique commune : «On s’est entendu avec le président français, Emmanuel Macron, en ce qui concerne la mémoire pour travailler de façon normale (…).
Pour faciliter les choses et sortir de la crispation politique et l’exploitation politicienne, il (Emmanuel Macron, ndlr) a nommé un historien connu, et son vis-à-vis est Abdelmadjid Chikhi. Aujourd’hui, c’est le plus au fait (du dossier). Il est responsable des Archives nationales et c’est un spécialiste (des questions historiques).
On leur a communiqué son nom.» M. Chikhi a été nommé le 29 avril 2020, faut-il le rappeler, en qualité de conseiller auprès de la présidence de la République chargé des Archives et de la Mémoire nationales.
Dans un autre entretien accordé cette fois au journal français L’Opinion, et publié le 13 juillet, M. Tebboune avait expliqué sa vision au sujet de cette «coopération mémorielle» en déclarant : «Nous avons évoqué cette question avec le président Macron. Il connaît bien les événements qui ont marqué notre histoire commune.
L’historien Benjamin Stora a été nommé pour accomplir ce travail mémoriel du côté français. Il est sincère et connaît l’Algérie et son histoire, de la période d’occupation jusqu’à aujourd’hui. Nous allons nommer son homologue algérien dans les 72 heures. Ces deux personnalités travailleront directement sous notre tutelle respective.
Nous souhaitons qu’ils accomplissent leur travail dans la vérité, la sérénité et l’apaisement pour régler ces problèmes qui enveniment nos relations politiques, le climat des affaires et la bonne entente.»
Il est utile de rappeler que ce rapprochement sur le terrain de l’histoire a été sans doute conforté de façon significative par le rapatriement par l’Algérie, le 3 juillet, des restes mortuaires de 24 combattants de la résistance populaire du XIXe siècle, qui étaient longtemps séquestrés au Musée de l’Homme, à Paris. Un geste qualifié par M. Tebboune de «grand pas» dans son interview au journal L’Opinion.
«Paix des mémoires»
Dans la lettre de mission de Benjamin Stora, le président français, Emmanuel Macron, a plaidé pour cette approche concertée en disant combien il «importe que l’histoire de la Guerre d’Algérie soit connue et regardée avec lucidité. Il en va de l’apaisement et de la sérénité de ceux qu’elle a meurtris».
M. Macron y voit, par ailleurs, une entreprise qui offre «la possibilité pour notre jeunesse de sortir des conflits mémoriels». «Je souhaite m’inscrire dans une volonté nouvelle de réconciliation des peuples français et algérien», a-t-il insisté, notant au passage que «le sujet de la colonisation et de la Guerre d’Algérie a trop longtemps entravé la construction entre nos deux pays d’un destin commun en Méditerranée». De son côté, l’historien Benjamin Stora, dans une interview à RFI diffusée ce jeudi, a tenu à préciser d’emblée qu’«il n’est pas un représentant de l’Etat français».
Il a indiqué, en outre, que «les débats entre historiens de toute façon existent depuis très longtemps sur l’histoire française et algérienne. Mais naturellement, il faut poursuivre ce débat». «Je ne peux que me féliciter, poursuit-il, du fait que les deux responsables d’Etat puissent encourager ce type de production.»
Dans la foulée, l’auteur de La gangrène et l’oubli, la mémoire de la Guerre d’Algérie a livré quelques pistes sur les aspects autour desquels devraient s’articuler cette coopération : «Je travaille avec d’autres historiens qui sont des universitaires, et si on peut effectivement être encouragés, notamment par la création de postes, par l’accès aux archives, par la libre circulation d’une rive à l’autre de la Méditerranée, si on peut faire en sorte que cette coopération soit fructueuse pour aider les historiens à rédiger cette histoire, bien entendu, je n’en suis que plus favorable.»
Pour le reste, M. Stora a estimé, dans cette même interview, qu’une écriture commune de l’histoire de la colonisation reste assez problématique : «C’est très difficile parce qu’il existe des rapports à cette histoire qui sont très différents d’une rive à l’autre.
L’histoire de la décolonisation et de la colonisation fabrique du nationalisme des deux côtés, c’est-à-dire le nationalisme impérial, colonial, du côté français, pendant très longtemps, et naturellement le nationalisme de libération nationale de l’autre côté de la Méditerranée. Ce sont des points de vue qui sont naturellement différents d’une rive à l’autre.» D’après lui, «chaque pays, chaque groupe, possède ses mémoires, fabrique une identité à partir d’une mémoire particulière (…).
On ne peut jamais définitivement réconcilier des mémoires. Mais je crois qu’il faut avancer vers une relative paix des mémoires pour précisément affronter les défis de l’avenir, pour ne pas rester prisonniers tout le temps du passé parce que l’Algérie et la France ont besoin l’une de l’autre…»
Benjamin Stora semble ainsi avoir foi en ce projet : «Aujourd’hui, 60 ans après, on peut effectivement trouver des points d’accord sur la caractérisation du système colonial, un système injuste, inégalitaire, arbitraire, violent. Et on peut avancer sur la base de cet accord dans l’écriture historique pour pouvoir parler aux nouvelles générations.»
L’auteur de Messali Hadj, pionnier du nationalisme algérien considère que «par le fait qu’il (Emmanuel Macron, ndlr) me demande de faire un rapport sur l’état de cette mémoire et comment faire pour avancer, c’est-à-dire trouver des solutions sur le plan pratique au niveau de l’écriture de l’histoire, ce sont à mon sens des pas tout à fait importants et intéressants». «Je ne crois pas que ce soit simplement une affaire de générations.
Je crois surtout que c’est une affaire de volonté politique, c’est-à-dire le fait qu’aujourd’hui, les responsables politiques de part et d’autre décident de regarder en face cette histoire, de la traiter, d’essayer de prendre des mesures pour avancer ensemble», a-t-il souligné, avant de conclure : «On a effectivement de part et d’autre de la Méditerranée une volonté d’approcher au plus près une histoire qui soit celle des faits eux-mêmes, et qui ne soit pas une histoire idéologisée en permanence, ou instrumentalisée en permanence.»
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