• Un article de CHARLIE HEBDO

    Un article de CHARLIE HEBDO

    Un article de CHARLIE HEBDO

    Un article de CHARLIE HEBDO

    Soixante-dix ans après le début de la guerre d'Algérie, en France, on peut ériger la statue d'un tortionnaire de la bataille d'Alger et reconnaître la responsabilité de l'armée française dans la mort d'un Algérien à quelques jours d'intervalle. Voyage mémoriel à Toul, en Meurthe-et-Moselle, entre les fans de Bigeard et les nostalgiques de l'Algérie française.

    Des années que Marcel Bigeard hante la petite ville qui l’a vu naître, grandir et mourir : Toul. Des années que la figure locale et le tortionnaire de la guerre d’Algérie qu’il était divisent les Toulois. Des années qu’ils se retrouvent ainsi empêtrés dans une bataille mémorielle irréconciliable. Mais voilà que, depuis plus d’une semaine déjà, une statue en l’honneur du para sulfureux trône au milieu d’un square de la ville. Deux mètres cinquante de bronze rutilant et une victoire pour les nostalgiques de l’Algérie Française.

    Car soixante-dix ans après le début de la guerre, la France a beau distiller çà-et-là des marques d’apaisements, les Algériens, autrefois tombés dans le panneau du « Je vous ai compris », ne sont plus dupes devant l’ambivalence française. Ils ont compris qu’un jour Macron pouvait reconnaître la responsabilité de l’armée française dans la mort et la torture de Maurice Audin, d’Ali Boumendjel ou de Larbi Ben M’hidi, et que le lendemain, une statue à l’effigie de leur bourreau pouvait être érigée. Trois petits pas en avant, et un grand pas en arrière.

    Les crevettes Bigeard

    Un article de CHARLIE HEBDO

    « C’est un véritable scandale », s’indigne auprès de Charlie Fabrice Riceputi, historien et auteur de Le Pen et la torture. Alger 1957, l’histoire contre l’oubli (Le passager clandestin, 2023). Alors, bien sûr, il y a eu un Bigeard résistant, un Bigeard député et même un Bigeard ministre de Valéry Giscard d’Estaing. Mais impossible de mettre au second plan « le Bigeard tortionnaire », pour le spécialiste de la guerre d’Algérie. « Contrairement au général Massu, il a toujours revendiqué la torture et ne l’a jamais regrettée », rappelle-t-il. D’après les archives de l’armée consultées par Fabrice Riceputi, le régiment du général serait d’ailleurs celui qui dénombre le plus de morts sous la torture ou d’exécutions sommaires – souvent camouflées en « suicides » ou « évasions » dans les registres.

    Et puis, il y a les crevettes aussi. Une technique bien pratique pour faire disparaître des corps en masse pendant la Bataille d’Alger en 1957 : « À bord d’un hélicoptère, on embarquait des corps morts, ou toujours vivants, avec les pieds coulés dans une bassine de ciment. On les lâchait ensuite au-dessus de la Méditerranée et les gens qui les retrouvaient sur les plages les appelaient « les crevettes Bigeard » », raconte l’historien.

    Bien trop au courant de ce sinistre passé, la Touloise insoumise, Sophie Prévost, prédit déjà à Charlie l’allure de la nouvelle plaquette de l’office du tourisme de sa ville : « Toul : sa cathédrale Saint-Etienne, sa collégiale Saint Gengoult et, maintenant, son tortionnaire d’Algérie. » Engagée contre l’érection de la statue depuis près d’un an, Sophie Prévost ne supporte plus le fantôme Bigeard avec qui elle a grandi et doit désormais partager un square. « Je ne l’ai jamais croisé mais à l’époque, dès que quelqu’un l’avait aperçu, c’était l’événement de la journée. Petite, quand j’allais à la piscine municipale, la rumeur disait que Bigeard venait faire son kilomètre de natation tous les matins avant l’ouverture », se souvient-elle, écoeurée.

    « Il a mis les mains dans la merde comme tout le monde »

    Et s’il en est bien un qui n’ira pas voir la statue de bronze, c’est Philippe Champouillon, ancien combattant de la guerre d’Algérie et Toulois, qui s’est confié à Charlie. Resté muet pendant plus de 60 ans sur ce fardeau qui lui «colle à la peau», l’homme a remué ses souvenirs après la décision du conseil municipal d’installer cette statue de Bigeard. Depuis, il tourne en boucle : « Cette statue, elle représente la guerre d’Algérie. Et la guerre d’Algérie est une honte pour la France ». Puis : « Ici, les gens se sont fait endormir par Bigeard. Ils n’ont pas fait la guerre d’Algérie, ils s’en foutent pas mal », fulmine-t-il.

    Alors, on a fait l’expérience. Quelques numéros et il suffit de demander «Hervé Simonin» au téléphone de l’hôtel de l’Europe pour mesurer à quel point le dieu Bigeard aveugle toujours les Toulois. « J’ai eu la chance de rencontrer le général à quelques reprises. C’était un personnage très attachant. J’ai rencontré ses copains à l’hôtel. Et ça m’a toujours fasciné à quel point ils avaient une admiration sans faille pour lui », détaille le tenancier de l’hôtel qui se réjouit de l’installation de la statue. Résultat, il lui pardonne beaucoup de choses à Bigeard : « Je ne sais pas ce qu’il s’est passé là-bas. Peut-être des choses pas très bien (sic). Mais est ce qu’ils avaient le choix ? Il a mis les mains dans la merde comme tout le monde. »

    Le maire, ancien socialiste et soutien de la statue, serait-il, lui aussi, tombé dans l’aveuglement Bigeard qui semble toucher une partie de ses contemporains ? Ce serait l’exonérer un peu vite de toute intention électorale. Car devant les scores de l’extrême droite aux dernières élections – entre 40 et 50 % -, d’un coup, on comprend mieux cette nostalgérie foudroyante qui semble toucher les Toulois.

    L’extrême droite à la manoeuvre

    Au téléphone, le représentant du RN de Meurthe-et-Moselle avec qui Charlie a pu échanger assure qu’il est « normal » qu’il y ait « une statue d’un général Toulois à Toul ». Malgré la torture qu’il a pratiquée et enseignée? « Pour autant que je sache, il n’a pas été jugé coupable des accusations qui ont été portées contre lui », nous répond le porte-parole, semblant être passé à côté des lois d’amnistie qui ont suivi la guerre. Qu’importe, après tout, colonisation ou pas, « il faut assumer son histoire », pour le RN. De quoi corroborer le discours tenu par la préfète Souliman lors d’une entrevue avec un collectif de Toulois remontés contre la statue. « Elle nous a dit que les guerres étaient sales et que la colonisation avait eu du bon dans l’histoire algérienne », rapporte la militante Sophie Prévost.

    D’ailleurs, si vous doutiez encore des intentions associées à cette statue, sachez que la Fondation Bigeard, qui en a fait don à la mairie de Toul, n’a pas mandaté n’importe quel sculpteur pour la réaliser. L’artiste à l’origine des remous n’est autre que Boris Lejeune, un collaborateur régulier de la revue Catholica proche de l’ultra-droite catholique, à qui l’on doit une statue de Jeanne d’Arc à Saint-Pétersbourg mais aussi un Mémorial de la Terreur, dédié aux religieux tués lors de la Révolution, installé à Orange, fief d’extrême droite depuis de nombreuses années. Un choix tout en cohérence donc.

    Quoiqu’il y ait peut-être une extrême droite que la statue n’aura pas. Le genre qui vous ferait presque relativiser du RN. Car les anciens de l’OAS et de l’Association pour la défense des intérêts moraux et matériels des anciens détenus de l’Algérie française (ADIMAD) trouvent Bigeard un peu trop à « gauche » dans ses choix de carrière d’après 1962. « C’était un excellent militaire et un excellent combattant, mais un piètre politique », lâche Jean-François Collin, ancien président de l’ADIMAD qui se dit «indifférent» devant la statue. Un Pétain ou un Le Pen aurait eu plus d’allure, sans doute.

    SOURCE : Une statue du général Bigeard à Toul : « C'était un personnage très attachant »

     

    « Larbi Ben M’Hidi mérite mieux qu’une fausse monnaie mémorielleLe temps passe si vite j'avais envie de vous montrer cet article du 6 novembre 2014 »

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