• Un prof sur le front

    Un prof sur le front

    Merci Robert Ménard

    La campagne anti-migrants affichée dans toute la ville de Béziers à la demande de Robert Ménard fut l’occasion de faire un petit cours improvisé avec mes élèves de troisième. En début de chapitre sur les démocraties fragilisées par la montée du fascisme dans les années 30, l’analyse de l’affiche tombait à pic. Réforme du collège oblige, le petit dialogue avec la classe rentre aussi dans le champ de l’éducation morale et civique. Quoi de plus concret pour nos élèves que l’étude d’un document établissant un lien entre le cours d’histoire et l’actualité ?

    Merci Bébert ! Tu m’as offert un cours d’une quinzaine de minutes sur un plateau. Désolé pour le surnom mais à ce niveau d’indigence, on ne peut ni t’appeler Monsieur le maire, ni par ton prénom, ce serait trop respectueux et tu ne le mérites pas. Bébert c’est bien, dans mon imaginaire ça me renvoie au gars qui boit son petit blanc à 9h du mat' au comptoir du bar PMU et qui refait le monde à sa sauce très alcoolisée. N’y vois pas un racisme anti-français, je n’ai rien contre ces gars qui n’ont pas les responsabilités qui sont les tiennes ni ton aura médiatique. Leurs propos ne dépassent souvent pas le seuil du rade contrairement à toi. Je t’imagine bien tapant la discute avec un adjoint puis cognant nerveusement du poing sur la table tel un petit caudillo (proximité de l’Espagne oblige, mais petit führer, ça marche aussi) en lui commandant cette affiche à livrer dans la journée. Entre nous, si le gars qui l’a réalisé y a passé plus d’une journée, vire-le ! Un exercice où tu excelles vu que tu as réussi à te débarrasser ou faire fuir l’ensemble de ton cabinet à la mairie de Béziers en seulement deux ans.

    Une fois l’écœurement passé, j'ai vu dans cette affiche qui a défrayé la chronique une belle opportunité pour la montrer à ma classe de troisième. Une classe de toutes les couleurs, comme dans les quartiers de ta ville que tu stigmatises. Le contexte s’y prêtait bien, on débutait le cours sur les démocraties fragilisées dans les années 30 et les expériences totalitaires en URSS et en Allemagne. Et d’une pierre deux coups, cela m'a permis de faire une petite séance d’éducation morale et civique, la sensibilité des élèves face à ton affiche, l’étude des valeurs et principes républicains que tu as bafoués et enfin le développement de l’esprit critique de mes élèves. J’ai projeté ton affiche un mercredi matin sans rien leur dire si ce n’est qu’elle était visible dans toute une ville du sud de la France.

     

    • Un élève : Je trouve que c’est brutal, on dirait que ce sont des animaux car ils disent "l’État nous les impose", "impose", c’est un mot fort quand même.

              Un élève : C’est où ça ?

    • Moi : À Béziers, dans le sud de la France, entre Montpellier et Perpignan dans le Languedoc-Roussillon (Occitanie depuis peu).
    • Un élève : On reproche aux migrants de venir en France mais ils ne viennent pas sans raison. On entend : "Rentrez chez vous", mais ils n’ont plus vraiment de chez eux, tout est détruit chez eux et on ne peut pas leur reprocher de venir en fait.
    • Moi : Qui peut me la décrire cette affiche ?
    • Un élève : C’est une photo d’un centre-ville avec pleins de migrants qui arrivent, on dirait qu’il y a des habitants en trop dans la ville, qu’ils n’ont rien à faire ici.
    • Un élève : Ils font comme si c’était une invasion !
    • Moi : Pourquoi tu parles d’invasion ?
    • Un élève : « Ça y est , ils arrivent… », avec les points de suspension, comme si c’était des zombies !
    • Moi : Qui est d’accord avec cette remarque ? Toute la classe acquiesce.
    • Un élève : On dirait une affiche de films.
    • Un autre élève : Les migrants sont de dos, on ne voit pas leurs visages !
    • Moi : Très intéressant, continue !
    • Le même élève : Si on voyait leur tête on pourrait être compatissant.
    • Moi : Très bien, les gens qui regardent l’affichent ne doivent pas éprouver de la compassion. Avec un visage, vous avez une histoire, un itinéraire, un parcours, on les voit de dos, en capuches. À votre avis, quel est l’intérêt de l’avoir mis au premier plan avec sa capuche (un homme noir de dos avec une capuche grise) ?
    • Un élève : On dirait des voyous.
    • Moi : Cette capuche pour assimiler les migrants à des voyous ? Vous en pensez quoi ?
    • Un élève : C’est du racisme !
    • Moi : Quel est le monument derrière?
    • Un élève : Une église.
    • Moi : Pourquoi une église selon vous ? (C’est la cathédrale Saint-Nazaire)
    • Un élève : Ils ont mis une église derrière car ils parlent de racisme pour les religions en fait, les personnes devant viennent envahir la ville de Béziers.
    • Moi : Sur cette affiche, Béziers est une ville plutôt... ?
    • Des élèves : Catholique !
    • Un élève : Et les migrants eux sont de toutes les religions.
    • Moi : Oui, beaucoup de ces migrants sont de quelle religion ?
    • Des élèves : Musulmans.
    • Moi : Oui, effectivement, car de nombreux pays peuplés majoritairement par des musulmans sont en guerre, comme l’Afghanistan, la Syrie ou l’Irak. Mais il y aussi des chrétiens dans ces pays et beaucoup d’Africains non musulmans fuient aussi des zones de guerre ou des dictatures.
    • Un élève : C’est du racisme contre les migrants : on va être envahis par des arabes et des noirs ; voilà ce que ça veut dire.
    • Moi : Essayons d’aller plus loin, quelle peut être aussi l’autre signification de l’affiche ? Concentrez-vous sur la phrase en bas ("Les migrants dans notre centre-ville !") et oublions que ce sont des migrants, ça pourrait être qui d’autres ?
    • Un élève : Des zombies ? Rires dans la classe.
    • Moi : Non, on l’a dit ça déjà ! Ils arrivent dans notre centre-ville, des jeunes noirs, arabes, en capuche… D’où pourraient-ils venir aussi ?
    • Un élève : De banlieue !
    • Moi : Continue !
    • Un élève : Des jeunes de banlieue débarquent dans le centre-ville.
    • Moi : Oui, peuplé plutôt par qui, le centre-ville, selon cette affiche ?
    • Un élève : Des vieux ! Rires dans la classe
    • Moi : Mais encore ?
    • Un élève : Un centre-ville où il n’y aurait que des Français de souche !
    • Moi : Sachez que, très souvent, les centres d’accueil pour migrants son situés en banlieue. On ne les retrouve pas face à Notre-Dame-de-Paris. (Après vérification, celui de Béziers se trouve avenue d’Estienne-d’Orves à quelques centaines de mètres de la cathédrale Saint-Nazaire qui figure sur l’affiche.). Cette affiche, on peut la voir à Béziers. Quel organisme ou quelle personne a fait réaliser cette affiche ?
    • Un élève : l’État ?
    • Un autre élève : un journaliste ?
    • Un élève : C’est le maire. Il n’y a que lui qui a le droit de faire ça.
    • Moi : C’est bien le maire de Béziers, oui. Connaissez-vous son nom ?
    • Un élève : Marine Le Pen ? Rires dans la classe
    • Moi : Non, c’est un homme. Jamais entendu parler de lui ?
    • Un élève : Si, déjà entendu mais j’ai oublié son nom, euh Manuel Valls !?
    • Moi : Non, c’est Robert Ménard. Le maire de Béziers s’appelle Robert Ménard, il fait souvent des déclarations fracassantes sur les étrangers en France, il est proche du Front national.
    • Un élève : On dirait que le maire il a peur pour la réputation de sa ville. On est dans une démocratie, il devrait demander aux habitants de sa commune.
    • Moi : Ils l’ont élu… Quel type d’affiche c’est ?
    • Un élève : Une affiche qui veut manipuler les habitants.
    • Moi : Une affiche qui veut manipuler les habitants, c’est… ?
    • Des élèves : De la propagande !
    • Moi : On pourrait raccorder cette propagande à quel type de régime alors ?
    • Un élève : Une dictature !
    • Un élève : Une question Monsieur, c’est les migrants qui ont décidé de venir dans la ville de Béziers ?
    • Moi : Non, c’est l’État via les préfectures. Il y a 10 000 migrants qui vivent aujourd’hui à Calais dans le nord de la France. On va les répartir dans des centres d’accueil un peu de partout en France. Ça se passe mal dans de nombreuses villes qui doivent les accueillir. Petite info, en Allemagne, il y en a un million et trois millions en Turquie. (Erreur de ma part ce jour-là car à Béziers, il s’agit de l’extension d’un centre d’accueil de demandeurs d’asile déjà existant qui passera ainsi de 50 à 90 places)
    • Un élève : C’est rien !
    • Un autre élève : On a l’air de gros racistes là !
    • Un autre élève : Les habitants de Béziers ont réagi comment ?
    • Moi : Ceux qui ont voté pour Robert Ménard plutôt bien je pense mais les autres étaient scandalisés. Que pensez-vous du fait qu’un maire d’une commune française puisse afficher un tel message dans toute la ville car un centre d’accueil pour migrants doit prochainement ouvrir ses portes dans sa ville ?
    • Un élève : C’est grave car déjà elle est raciste.
    • Un autre élève : Non, ça devrait pas être possible car la République française a pour valeur l’égalité et on discrimine ces gens.
    • Moi : En dehors de l’égalité, quelle valeur est aussi remise en cause ?
    • Des élèves : La fraternité !
    • Très bien. Une plainte va certainement être déposée contre le maire pour incitation à la haine (1). Sachez aussi que ces affiches de propagande ont été détournées par de nombreuses personnes. Parfois, la propagande peut se retourner contre celui qui l’a initié, on en parlera lorsque l’on fera l’Allemagne nazie (L'affiche rouge). En voici un exemple, celle du dessinateur Rakidd :

    ·        

    Désolé Bébert, tu m’insulteras de sale prof gauchiste mais venant de toi, c’est un compliment. Jeudi, je vais partir à la rencontre de soixante migrants qui s’installent dans le village natal de ma mère, au pied du Vercors. Un homme a tiré à la carabine sur le centre en signe de bienvenue il y a quinze jours. Il avait peut-être parlé de ton affiche dans le bar PMU du coin. Un habitant a même hurlé lors de la réunion publique : « on ne mangera pas halal ! ». Ta propagande haineuse et celle de tes amis fonctionnent bien malheureusement. D'autres ont aussi expliqué que les Français n'avaient pas fui lors de la seconde guerre mondiale. Il leur faudrait un petit cours d’histoire sur l’exode en mai-juin 1940. 

    ·         Mais, car il y a un « mais » fort heureusement, des habitants ont monté un collectif et contribuent à réussir l’arrivée de ces migrants en faisant des collectes dans le village et les communes limitrophes. Ça marche très bien. J’irai donc jeudi avec mes enfants leur montrer que les Français sont aussi des gens accueillants et que des habitants de notre pays n’a pas oublié son histoire, contrairement à toi Bébert.

    ·         (1) Lundi 24 octobre, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté le recours en référé-liberté engagé par deux associations biterroises à l’encontre de l’affiche anti-migrant car elles ont été retirées des rues quelques heures avant l’audience. Le conseil d’État va être saisi pour juger du fond.

    SOURCE : http://www.politis.fr/blogs/2016/10/merci-robert-menard-34150/

    ·         Photo : PASCAL GUYOT / AFP.

     

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