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À la queue-leu-leu

 

À la queue-leu-leu

 

À la queue-leu-leu

Battre la semelle et le pavé 

Autrefois l’expression « À la queue-leu-leu » prêtait à rire, elle nous renvoyait à nos années d’enfance, lorsque sagement, nous allions en rang d’oignons, de la cour de récréation jusqu’à notre classe. Puis, bien des années plus tard, une joyeuse bande délurée voulut nous entraîner dans une chenille endiablée en chantant à tue-tête. Depuis quelque temps, nulle image nostalgique ou bien festive n’accompagne cette formule.

Nous découvrons à notre grand étonnement la triste réalité des récits de nos grands-parents. Les longues files d’attente de la restriction s’imposent à nous, non pas faute de denrées mais pour respecter ces fameux gestes barrières qui entravent notre quotidien. La queue se fait interminable tout autant que sempiternelle dès que nous voulons satisfaire un achat d’une impérieuse nécessité validée par un laisser-passer dûment renseigné.

Devant la boulangerie, à l’entrée du marché, devant un étalage, avant d’entrer dans un supermarché pour ceux qui ne peuvent faire autrement, la file est présente, entêtante, disciplinée tout autant qu’étrangement silencieuse. Elle se meut lentement, imperceptiblement même, donnant le sentiment de s’allonger plus qu’elle ne se dissout.

Vous n’avez d’autre panorama qu’un dos, placé suffisamment loin de vous pour qu’il ne devienne pas lourde menace, risque potentiel de contamination. Notre bon Président nous l’a ressassé à plaisir, voulant sans doute récolter les honneurs d’une victoire qui semble s’éloigner de jour en jour : « C’est la guerre ! ». Nous n’avons pas encore droit aux bons de rationnement mais déjà aux regards en coin, aux visages qui se ferment et à cette détestable impression d’être un danger pour notre prochain.

Pour être en phase avec l’air du temps, c’est dans un silence d’enterrement que s’organise cette pesante cérémonie du pied de grue. Les uns tanguent d’un pied à l’autre, d’autres cherchent un point d’appui contre un mur ou bien un poteau, beaucoup s’accrochent à leur perpétuelle bouée de secours : un petit appareil rectangulaire sur lequel interminablement ils envoient des signaux de détresse.

Une place se libère, une personne en a terminé. Elle déclenche un effet domino, la longue file avance de quelques pas, jouant de l’élastique tant la mise en branle des uns et des autres n’est jamais simultanée. La fraternité a déserté la nation. Que s’est-il passé pour que soudainement cesse toute conversation ? Les chants des oiseaux devraient tout au contraire nous réjouir en l’absence de circulation. Même cette note merveilleusement bucolique ne touche pas ceux qui s’impatientent, qui n’en peuvent plus de réitérer cet affreux pensum.

Un nouveau postulant arrive à contre-sens. Son visage se décompense lorsqu’il découvre ce qui l’attend. Il remonte la file, oublie de s’en écarter, ne respectant pas à cette occasion la distance de sûreté déterminée par un des deux collèges d’experts qui conseillent notre chef de guerre. La défense passive n’est pas encore opérationnelle, personne ne réprimande l’imprudent. Certains détournent la tête, préférant ne pas entrer dans sa zone à risque. L’indifférence ou la lassitude, comment expliquer ce cauchemar qui n’est pas prêt de s’arrêter.

Nombreux sont les visages dissimulés. Il n’est guère possible d’écrire masqués tant les stratégies s’adaptent à la réalité. Pour les uns un foulard, pour d’autres une réalisation artisanale qui parfois se soucie d’une touche esthétique, certains disposent du produit agréé quand nombreux sont encore les visages découverts. Il y a une étrange ironie dans cette dissimulation de la face après les querelles passées sur le port d’un foulard qui faisait alors tache. Nous basculons dans une autre monde, ce petit élément l’atteste symboliquement.

Tout le monde s’écarte à la queue-leu-leu 

Tout le monde en a marre, à la queue-leu-leu 

Tout le monde déchante à la queue-leu-leu 

Tout le monde avance à la queue-leu-leu 

Confilement vôtre.

SOURCE : https://www.agoravox.fr/culture-loisirs/parodie/article/a-la-queue-leu-leu-223322 

 

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C
Ouf ! Je suis épargné d'avoir à faire la queue. Ma fille nous ravitaille et on se fait livrer deux fois par semaine (boucherie et marchand de fruits et légumes).<br /> Ceci étant les problèmes ne manquent pas. Il existaient avant la crise sanitaire, celle-ci les a aggravés. Et notre système social est bien incapable de régler l'ensemble de ces questions.
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