Jean-François GAVOURY écrit :
En prenant l’initiative de publier un tel article, Michel Dandelot tend à rendre un hommage à l’ensemble des victimes de l’OAS en Algérie et en France : je l’en remercie et y vois une sorte de pré-célébration du XIe anniversaire du dévoilement par le Maire de Paris, au cimetière du Père Lachaise, le 6 octobre 2011, du premier monument dédié par une institution publique à cette catégorie de victimes de la guerre d’Algérie : une « pauvre espèce », que le traitement au plus haut sommet des administrations et services de l’État au cours des neuf premiers mois de cette année a maintenue à l’écart de la République et de la Nation.
Suite à l’article que j’ai fait paraître il y a quelques jours (lien ci-dessous) je tiens à rappeler cet autre hommage qui a eu lieu aussi dans l'Oise il y a 10 ans.
Paris, 8 mai 2012.
Précisément un siècle, un an, un mois et un jour après sa naissance dans cette commune de l’arrondissement de Senlis (Oise), Mello a rendu hommage en même temps qu’honneur à la mémoire de Roger Gavoury dans le cadre des cérémonies anniversaires du 8 mai 1945.
Son nom figure désormais sur le Monument aux Morts, fraîchement restauré.
Je vous propose de bien vouloir trouver en pièce jointe, pour information, la teneur du propos qui a été le mien en cette circonstance au cours de laquelle l’unité du monde combattant s’est manifestée de façon exemplaire.
Bien cordialement,
Jean-François Gavoury
Pupille de la Nation
Orphelin de guerre
Président l'Association nationale
pour la protection de la mémoire
des victimes de l'OAS (ANPROMEVO)
Cérémonie d'hommage
à la mémoire
de Roger Gavoury
le 8 mai 2012 à Mello (Oise)
Intervention de Jean-François Gavoury
Madame le maire de Mello,
Monsieur le vice-président du conseil général,
Monsieur le maire de Cires-les-Mello,
Messieurs les représentants du monde combattant,
Mesdames et Messieurs,
Les deux premiers tiers du siècle dernier ont été marqués par la guerre.
La plus longue d’entre elles a été celle d’Algérie :
- la plus longue à être reconnue telle et à prendre cette dénomination, trente-sept ans après sa cessation ;
- la plus longue à panser ses plaies, puisque cinquante années n’y ont pas suffi ;
- la plus longue, enfin et surtout, par sa durée : sept ans et plus (sept ans huit mois) et même bien davantage (dix-sept ans si, comme Mohammed Harbi, l’on fait remonter son début à un fait générateur survenu à Sétif il y a soixante-sept ans jour pour jour, un mardi, le 8 mai 1945 !).
Le nombre des événements survenus durant cette guerre est évidemment en corrélation avec sa durée. Certains d’entre eux ont été occultés par les pouvoirs publics, en particulier ceux se rapportant à la page franco-française du conflit, celle qui s’est écrite en 1961-1962.
Cependant, l’historienne Anne-Marie Duranton-Crabol, dans son ouvrage de 1995 intitulé "Le temps de l’OAS", a su voir dans l’assassinat de Roger Gavoury un "événement marqueur" dans l’histoire du mouvement factieux : "Cruel hommage, écrivait-elle, rendu à l’efficacité du commissaire d’Alger, payant les coups portés à l’Organisation par la cellule qu’il avait créée au sein de la sûreté urbaine."
Dès 1971, dans son livre "Le temps de la violence", l’ancien préfet de police d’Alger Vitalis Cros insistait sur le fait que l’assassinat du commissaire Gavoury avait tenu "une grande place dans la presse et à la radio". Cela est incontestable, et les journaux de l’époque en témoignent, ainsi que les archives sonores de l’INA : je renvoie aux documents de la phonothèque de l’Institut national de l'audiovisuel, aujourd’hui accessibles librement sur Internet.
Le temps aurait pu affecter cet événement. Il n’en est rien. On le doit, paradoxalement, à ceux qui ont cru devoir ériger en héros les assassins de ce serviteur de l’Etat, allant même jusqu’à le qualifier de traître à la patrie.
Osons le dire : aujourd’hui comme hier, la justice de la République a fonctionné. Les monuments révisionnistes magnifiant certaines figures réputées emblématiques de l’Algérie française - en fait des assassins multirécidivistes - ont été condamnés par le Conseil d’État.
Simultanément, les profanateurs de la mémoire de l’une de leurs victimes étaient pénalement sanctionnés au plus haut niveau de juridiction.
Madame le maire, je n’abuserai pas du temps de parole que vous avez bien voulu me laisser.
Ce n’est, en effet, ni à moi ni à mes frères ni à aucun des membres de la famille Gavoury de dire les mérites que l’enfant de Mello s’est acquis, durant sa carrière administrative, au service de l’intérêt général et de la sécurité de ses concitoyens.
Du reste, vous l’avez fait avec objectivité, exhaustivité et même émotion et point n’est besoin, me semble-t-il, d’abonder dans le registre du panégyrique posthume.
Ce qui importe et nous donne à réfléchir dans ce regard rétrospectif posé sur l’Algérie en guerre, c’est le fait que la sûreté nationale s’y est illustrée telle l’ultime rempart de la paix publique et de l’ordre républicain.
Imagine-t-on ce qu’il serait advenu, au moment où une partie de l’armée désertait, si la police avait à son tour versé dans l’insubordination ?
De la même façon, on doit saluer ces appelés du contingent qui ont refusé de s’inscrire dans la démarche de pronunciamento qui leur était proposée, sachant rester dans la fidélité à la République et dans l’obéissance à un Gouvernement tant légal que légitime.
Puisqu’elles nous font l’amitié et l’honneur de nous entourer en ce moment d’hommage à un Mort pour la France, sachons exprimer notre gratitude aux associations du monde combattant représentées ici :
Association républicaine des anciens combattants (ARAC) ;
Fédération nationale des anciens combattants en Algérie, Maroc et Tunisie (FNACA) ;
Fédération nationale des déportés et internés, résistants et patriotes (FNDIRP) ;
Union nationale des combattants – AFN.
L’Office national des anciens combattants et victimes de guerre est absent de cette manifestation. Mais j’ai reçu de son directeur départemental, M. Philippe Dumont, la déclaration suivante : « Je souhaite qu’en cette année marquant le cinquantième anniversaire de la fin de guerre en Algérie, la cérémonie d’hommage à Roger Gavoury permette aux habitants de Mello et, au-delà, à ceux de l’Oise, de mesurer l’ampleur du sacrifice consenti par votre père, mais également par tous ceux qui ont servi notre pays avec courage, honneur et dignité. ».
Saluons par conséquent la mémoire d’une autre victime de la guerre d’Algérie dont j’ai découvert le statut de Mort pour la France en même temps qu’un lien avec la commune de Mello en la personne de Jacques Govaert, né le 22 janvier 1941, et qui n’avait pas atteint l’âge de la majorité lorsque la mort l’a saisi, de l’autre côté de la Méditerranée, le 15 décembre 1961.
Merci, enfin, à Mme Juston, sous-préfet de Senlis, et à M. Françaix, député de la circonscription, pour leurs messages de sympathie adressés dans les jours précédant la présente cérémonie.
Jean-François Gavoury
Pupille de la Nation
Orphelin de guerre
Officier ONM
Article écrit par le regretté François Nadiras de la LDH de Toulon
en 2010
Le 31 mai 1961, le commissaire central Roger Gavoury était poignardé à son domicile par un commando de l’OAS.
Roger Gavoury
Roger Degueldre, chef des commandos "Delta", avec l’accord de l’état-major de l’OAS en la personne de Jean-Jacques Susini, avait décidé d’éliminer le responsable de la lutte contre les menées subversives en Algérie.
Degueldre avait confié la réalisation de cet assassinat à Albert Dovecar et Claude Piegts. Tous trois ont été par la suite condamnés à mort par la justice française et fusillés (Dovecar et Piegts le 7 juin 1962, Degueldre le 6 juillet 1962). [1].
Il y a 44 ans, Roger Gavoury, commissaire divisionnaire de la sûreté nationale, commissaire central d’Alger, était lâchement assassiné à coups de poignard, dans la nuit du 31 mai au 1er juin 1961, à l’intérieur de son studio de la rue du Docteur Trolard (à Alger).
Il y était attendu par un commando composé de légionnaires, notamment Albert Dovecar (dit Bobby), déserteur du 1er R.E.P., et Claude Tenne.
Roger Gavoury est né le 7 avril 1911 à Mello, dans l’Oise.
Sa carrière de commissaire de police débute à Hazebrouck en 1936. Il occupe différents postes avant de participer à l’organisation de la sûreté nationale marocaine, de 1956 à 1959.
Roger Gavoury
Volontaire pour une affectation en Algérie, il y exerce d’abord la responsabilité de commissaire central adjoint d’Alger, à partir de février 1960. Comme auparavant à Casablanca et Rabat, où les circonstances l’avaient conduit à s’opposer aux activistes passés dans la clandestinité, il s’y illustre par son courage.
Sourd aux menaces de mort, insensible au plasticage de son appartement le 14 avril 1961, il n’est jamais armé ni accompagné d’un garde du corps. Il se voit attribuer la Croix de la Valeur Militaire avec étoile d’argent le 21 avril 1961 pour sa participation "très importante à la lutte contre la rébellion" et pour avoir "payé courageusement de sa personne, au cours des événements de décembre 1960, en se portant constamment aux endroits où la violence des manifestations prenait la forme la plus dangereuse, afin de limiter les heurts entre les communautés".
Présent dans sa famille à Charleville (Ardennes) au moment du putsch des généraux, il regagne Alger au plus vite [2] et s’y voit confier la charge de commissaire central.
Sa mort en service commandé, un mois plus tard, lui vaut d’être promu contrôleur général à titre posthume et de recevoir la croix de Chevalier de la Légion d’Honneur. En marge de son acte de décès est portée la mention "Mort pour la France". Sa citation à l’ordre de la Nation rend compte des qualités professionnelles qui lui sont reconnues : "Fonctionnaire d’élite, d’un loyalisme absolu à l’égard des institutions républicaines, a toujours exercé ses délicates et périlleuses fonctions avec une compétence et une autorité dignes des plus grands éloges. Nommé à Alger depuis plus d’un an, s’est distingué par son attitude courageuse et son sens du devoir particulièrement élevé et a tenu à rester à son poste malgré les menaces de mort dont il était l’objet".
Obsèques de Roger Gavoury, le 3 juin 1961, dans l’enceinte de l’École de police d’Hussein-Dey à Alger.
D’après Anne-Marie Duranton-Crabol [3], l’assassinat de Roger Gavoury, est un "événement-marqueur" dans l’histoire de l’OAS débutante. « Cruel hommage rendu à l’efficacité du commissaire central d’Alger, payant les coups portés à l’Organisation par la cellule qu’il avait créée au sein de la Sûreté urbaine, le meurtre servait d’avertissement pour tous ceux qui tenteraient de contrer le mouvement clandestin. ».
Rappelons que ce crime a été commis le jour même où un verdict de clémence était rendu à l’encontre de deux des généraux putschistes, Maurice Challe et André Zeller, condamnés par le Haut tribunal militaire à une peine de 15 ans de détention criminelle et à la privation de leurs droits civiques.
Comment ne pas associer au souvenir de Roger Gavoury celui de trois de ses collègues, victimes de l’OAS au cours de la même année 1961 : le 31 août, le commissaire Ouamri ; le 20 septembre, le commissaire principal Goldenberg abattu au volant de sa voiture ; le 9 novembre, le commissaire Joubert, mortellement touché par une rafale de pistolet-mitrailleur à la veille de son retour en métropole.
« L’horizon commence à blanchir et bientôt, je l’espère, luira sur l’Algérie l’aube de la paix.
« Je voudrais, de toute mon âme, être le Central de la pacification, la vraie cette fois, celle des esprits.
« Je rêve d’une Alger où les hommes s’entraiment enfin, sans plus être séparés par des races, des religions ou des mers. »
Ces paroles de paix ont été prononcées par Roger Gavoury devant ses collaborateurs lors de la prise de ses fonctions de commissaire central d’Alger, quelques jours seulement avant son assassinat par l’OAS, le 31 mai 1961.
Après l’inauguration de la stèle de Perpignan, le 5 juillet 2003, après l’hommage empêché des nostalgiques de l’OAS à Marignane le 6 juillet 2005, souvenons-nous qu’il fut l’une des premières victimes de cette organisation terroriste [4].
Notes
[1] Claude Tenne, l’auteur des coups mortels portés contre Roger Gavoury, a été condamné à la réclusion criminelle à perpétuité. Il parvient à s’évader du pénitencier de Saint-Martin-de-Ré le vendredi 3 novembre 1967. Il réintègre la France, après l’amnistie de 1968, mais ses agissements lui valent une nouvelle condamnation à une lourde peine d’emprisonnement en 1983.
[2] Apprenant les événements d’Alger, Roger Gavoury avait tout d’abord envisagé de rejoindre son poste en se faisant parachuter au dessus de la ville.
[3] Anne-Marie Duranton-Crabol, Le temps de l’OAS, éd Complexe, 1995.
[4] Lors des inaugurations de stèles à la mémoire des fusillés de l’OAS, et lors de commémorations qui s’y déroulent, les noms de Degueldre, Dovecar et Piegts sont, après celui de Bastien-Thiry, cités par l’intervenant qui invite l’auditoire à reprendre avec lui, à haute voix, "MORTS POUR L’ALGÉRIE FRANCAISE, MORTS POUR LA FRANCE".
Roger Gavoury et ses trois fils