Charlie Hebdo : témoignage-choc de Luz, dessinateur de la une post-attentat
Survivant à l'attentat du 7 janvier et auteur de la couverture du numéro "Tout est pardonné", Luz s'exprime dans un poignant témoignage.
Il a survécu au terrible attentat du 7 janvier parce qu'il "fêtait son anniversaire" et était "resté longtemps au lit avec [sa] femme, plus longtemps que prévu". Le dessinateur-survivant de Charlie Hebdo, Luz, a confié un poignant témoignage au site Vice News, le premier depuis la parution du numéro qui a suivi les attaques terroristes, sur laquelle il avait représenté Mahomet avec une pancarte "Je suis Charlie".
Sous protection policière, Luz a reçu la journaliste dans son appartement volets clos, protégé contre les snipers. Revenant sur son arrivée sur les lieux, quelques minutes avant les premiers coups de feu, le dessinateur déclare avoir être arrêté par "des gens qui m'ont interpellé et qui m'ont dit qu'il y avait deux mecs en arme qui viennent de rentrer dans l'immeuble". Quelques minutes après les premiers tirs, Luz est entré dans l'immeuble. Il y a alors découvert "des traces de pas ensanglantées. J'ai compris après que c'étaient les traces de sang de mes amis", avant d'être saisi par la vision d'un "copain face contre terre".
"Personne sait comment réagir à ça" témoigne Luz des sanglots dans la voix. Poursuivant son récit de l'horreur, il précise "Il y avait besoin de ceintures pour faire des garrots, et je me suis rendu compte que je n'avais pas de ceinture, c'est pourquoi j'en porte une maintenant". Encore sous le choc, Luz ajoute "On n'est pas préparés à ça à Paris. Ça arrive en Syrie, ça arrive en Afrique (…) cette peur, cette angoisse, cette pétrification, on n'a pas l'habitude de ça".
Revenant sur l'incroyable mobilisation mondiale qui a suivi les attentats sous le slogan "Je suis Charlie", Luz précise "C'est bien que les gens nous ai soutenus, ça nous redonne de l'espoir". Il ajoute néanmoins que les journalistes de Charlie "ont toujours navigué entre les provocateurs et les chevaliers blancs défenseurs de la liberté d'expression". D'où ce paradoxe : "Tout d'un coup tout le monde disait 'Je suis Charlie'. Devenir nous-mêmes un symbole c'était difficile, parce que Charlie s'est battu contre les symboles".*
N'occultant pas néanmoins une certaine hypocrisie qui a été dénoncée lors de cette mobilisation, Luz est toujours sous le choc de certaines participations de chefs d'Etat à la marche parisienne. "Quelle ironie que de savoir que derrière nous il y avait un représentant de l'Arabie Saoudite (…) mais il n'est pas Charlie, en laissant un blogueur croupir dans une geôle et le flageller, c'est pas Charlie ça !". Le dessinateur affirme avoir mis en garde François Hollande contre ces contradictions. Il affirme l'avoir mis en garde en lui disant : "Vous avez plein de chefs d'Etats à côté de vous qui vont être là. Recommandez-leur de donner à leur peuple la possibilité de se foutre de leur gueule, à travers des dessins, des journaux".
Revenant enfin sur sa fameuse couverture "Tout est pardonné" du numéro post-attentat, tiré à sept millions d'exemplaires, qui a provoqué de violentes manifestations dans le monde musulman, Luz explique que "Ce Mahomet-là fait référence à celui [du numéro "Charia hebdo"] qui nous a valu un incendie, des polémiques, et surtout que 17 personnes ont été tuées". Il expliqué s'être "adressé [au personnage Mahomet] d'une certaine manière", pour lui "Mon pauvre, toi que j'ai dessiné en 2011 (…) c'était presque un pardon mutuel qu'on se faisait.". Luz ajoute que par cette couverture, Mahomet lui déclarait à travers son dessin "C'est pas grave. Toi tu es vivant tu vas pouvoir continuer à me dessiner".
Luz explique enfin n'avoir aucune intention d'arrêter de tels dessins. "Je ne suis pas contre la foi des gens. Par contre, je veux bien critiquer les rabbins, les curés, les mollahs, les gens qui interprètent la foi des autres à des fins politiques et pas toujours pas pacifiques. Je continuerai à le faire".