France-Algérie : La reconnaissance
des crimes de guerre et des crimes
coloniaux est avant tout une affaire
franco-française
Par Hafid ADNANI*
Après la publication du rapport de l’historien Benjamin Stora sur la réconciliation mémorielle entre la France et l’Algérie, le gouvernement algérien a réclamé lundi 8 février 2021, « la reconnaissance des crimes coloniaux » de la France, par la voix de son porte-parole Ammar Belhimer. Mais cette reconnaissance, aussi importante soit-elle pour la société algérienne, et elle l’est au plus haut point, est également une question éminemment importante pour la société française elle-même.
« La résistance de la France à ne pas reconnaître ses crimes a ses raisons. Elles sont connues de ceux qui ont la nostalgie du passé colonial et l’illusion de l’Algérie française », explique M. Belhimer dans un entretien accordé au journal gouvernemental arabophone El Massa lundi 8 février. Il a également ajouté que « le criminel fait généralement l’impossible pour éviter d’admettre ses crimes, mais cette politique de fuite en avant ne peut pas durer ».
1. Belhimer salue la remise par Paris des restes de 24 résistants algériens tués au début de la colonisation française au XIXe siècle, en juillet dernier, mais il estime que « l’accomplissement moral le plus important est la reconnaissance des crimes coloniaux de la France ».
Cette injonction algérienne officielle est en réalité comme un miroir réfléchissant qui invite les officiels français et donc la société française dans son ensemble, à un exercice d’introspection sur un point noir, très insuffisamment exploré à l’heure qu’il est, de sa propre histoire. Un exercice qui, en dehors de sa nécessité absolue, est d’ores et déjà inscrit dans une évolution logique qui semble incontournable, à condition de ne pas céder aux pressions électorales et à la tentation du déni.
J’entends déjà les protestations : il ne s’agit pas pour moi, loin s’en faut, de dire ici que cette introspection n’est pas nécessaire en Algérie également. Car les Algériens, qui ont été les premières victimes de ce qu’on appelle la deuxième colonisation, et cela est indéniable, ont le devoir de regarder en face, et sereinement si possible, leur propre histoire. Mais là n’est pas mon sujet aujourd’hui.
La seconde guerre mondiale
La reconnaissance solennelle des crimes de l’Etat français sous l’occupation, a été faite par le Président Jacques Chirac le 16 juillet 1995. Peu de temps après son élection à la présidence de la République, il s’exprimait en ces termes à l’occasion du 53e anniversaire de la rafle du Vélodrome d’Hiver : « Ces heures noires souillent à jamais notre histoire et sont une injure à notre passé et à nos traditions. Oui, la folie criminelle de l’occupant a été, chacun le sait, secondée par des Français, secondée par l’État français. La France, patrie des Lumières, patrie des Droits de l’homme, terre d’accueil, terre d’asile, la France, ce jour-là, accomplissait l’irréparable. »
Cette reconnaissance historique, 50 ans après la fin de la seconde guerre mondiale, fut suivie de l’engagement du Premier ministre Lionel Jospin et de son gouvernement de 1997 à 2002, et une politique de reconnaissance poursuivie par Jacques Chirac de 2002 à 2007, jusqu’à la reconnaissance de la responsabilité de l’État français par le Conseil d’État, dans un avis daté du 16 février 2009 qui fait également état de la réparation nécessaire de « ces souffrances exceptionnelles » qui ne sauraient se résumer, selon lui, à des considérations financières mais appelle la reconnaissance solennelle du préjudice collectivement subi par ces personnes, du rôle joué par l’État dans leur déportation ainsi que du souvenir que doit à jamais laisser, dans la mémoire de la nation, leurs souffrances et celles de leurs familles.
Des évolutions sur l’Algérie mais le chemin semble
encore long
Jusqu’en 1999, la France officielle refuse de parler de « guerre d’Algérie ». Le chemin « pour faire reconnaître la vérité », selon les mots du président Macron au moment de la reconnaissance , qui était la sienne, de la responsabilité de l’État français dans la mort « sous la torture » de Maurice Audin, a été long : il a fallu attendre 1999 et une proposition de loi socialiste pour que l’Assemblée nationale reconnaisse officiellement que la France avait bien mené une « guerre » en Algérie de 1954 à 1962. Jusqu’à cette date, dans les documents officiels, « les événements » étaient qualifiés de simples « opérations de maintien de l’ordre en Afrique du Nord ».
Au plus haut sommet de l’État, tout ce qui touchait à l’Algérie, qu’il s’agisse de la colonisation ou de la guerre, a été tabou pendant longtemps. Valéry Giscard d’Estaing, premier président français à effectuer, en 1975, une visite officielle dans l’Algérie indépendante, se gardera de condamner la colonisation. Son successeur, François Mitterrand, qui était ministre de l’Intérieur et de la Justice en 1954 lors de l’embrasement de l’Algérie, n’en fera rien non plus. Lui qui avait refusé la grâce de Fernand Yveton, confiera en privé à Robert Badinter : « J’ai commis au moins une faute dans ma vie, celle-là. ».
Jacques Chirac a, de son côté, raconté dans ses mémoires la fin de non-recevoir qu’il avait opposée à la demande d’Alger de faire reconnaître la responsabilité de la France. « Je ne l’ai naturellement pas acceptée », écrivait-il.
En 2007, en visite à Alger, Nicolas Sarkozy déclare que « le système colonial a été profondément injuste » mais souligne « qu’à l’intérieur de ce système, il y avait beaucoup d’hommes et de femmes qui ont aimé l’Algérie, avant de devoir la quitter ». Il évoque aussi les « crimes terribles » commis pendant cette guerre « qui a fait d’innombrables victimes des deux côtés ». Cette année-là, la veuve de Maurice Audin interpelle Nicolas Sarkozy sur le sort de son mari, sans obtenir de réponse du chef de l’État.
En 2012, François Hollande, également à Alger, reconnaît « les souffrances que la colonisation a infligées au peuple algérien », ajoutant que « pendant 132 ans, l’Algérie a été soumise à un système profondément injuste et brutal ». Il se recueille, dans la capitale algérienne, devant une plaque en l’honneur de Maurice Audin. En juin 2014, il infirme la thèse de l’évasion avancée à l’époque pour expliquer la mort du mathématicien. « Maurice Audin ne s’est pas évadé. Il est mort durant sa détention », affirme-t-il dans un communiqué. Le 19 mars 2016, il est le premier président de la République à commémorer la fin de la guerre d’Algérie, une initiative qui provoque une levée de boucliers.
En février 2017, le candidat Emmanuel Macron avait estimé que la colonisation de l’Algérie avait été « un crime contre l’Humanité », ce qui n’a pas manqué de susciter de violentes contestations.
En reconnaissant la responsabilité de l’État français dans la mort « sous la torture » de Maurice Audin, Emmanuel Macron opère un tournant mémoriel dont l’ampleur rappelle, selon tous les commentateurs, celui de Jacques Chirac concernant la Shoah en 1995.
Mais pourra-t-il aller au sujet de la colonisation et de la guerre d’Algérie de manière générale, aussi loin que Jacques Chirac sur la seconde guerre mondiale ?
La réalité de l’Algérie française du point de vue français : « un secret de famille » toujours difficile à percer
Imaginons une famille qui a un lourd secret du type « destructeur » dans la classification des psychologues. Une famille dont les membres vont si mal, conséquence du choix (facile) de l’occultation d’une vérité difficile à reconnaître.
Et le mal être se transmet d’une génération à l’autre, aux enfants puis aux petits-enfants, sans que ces derniers ne saisissent totalement la vérité qui leur est cachée depuis si longtemps, ou par opposition, la nature du mensonge dans lequel ils ont vécu. Ils se retrouvent alors réduits à toutes sortes de spéculations, ou à des comportements inquiétants et destructeurs pour eux-mêmes et pour leur entourage.
L’homme est un être d’interaction, nous dit la psychothérapeute Anne Ancelin Schützenberger, et comme l’a découvert et nommé l’américain Jacob Levy Moreno (1965), il baigne dans un co-conscient et un co-inconscient familial et groupal, auxquels nous pouvons adjoindre une transmission familiale transgénérationnelle inconsciente qui se manifeste au travers de ses angoisses, cauchemars, actes manqués, accidents, etc. – souvent à des dates répétitives marquantes.
Le poids du secret, nous disent toujours les psychologues, peut être terrible et causer des ravages sur plusieurs générations.
Dans « La reine du silence » publié en 2004, la fille de l’écrivain Roger Nimier, tué dans un accident de voiture lorsqu’elle avait 5 ans, Marie Nimier, évoque admirablement les ravages causés par le fait qu’on lui a caché la vérité et qu’on ne l’a pas emmenée à l’enterrement, mais qu’on lui a seulement parlé d’un accident de voiture. Pour Marie Nimier, parler dans ce livre, c’est voir sa souffrance connue et, d’une certaine manière, reconnue par tous.
Plus récemment, Camille Kouchner, dans son récit « La familia grande », publié en janvier aux éditions du Seuil, met au grand jour un secret qui lui a fait tant de mal et qui a fait tant de mal à sa famille : l’inceste dont a été la victime son frère jumeau. Elle parle dans ce livre pour dire cette horrible vérité dont la dissimulation et l’impunité l’a faite souffrir et a fait souffrir toute sa famille, durant des années. Puisque les faits sont prescrits, parler, pour elle, au grand jour, sans être contredite par l’auteur des faits, est synonyme de reconnaissance de ce qui est arrivé.
Selon les psychanalystes Nicolas Abraham et Marie Török, les secrets sont traumatisants à dire, et la première génération a le souci d’en protéger la famille et les enfants trop petits pour y faire face. Pour ce qui concerne la seconde génération, le non-dit devient comme un caveau interne, une tombe ou une crypte dans son cœur, et ensuite comme un “fantôme” clamant et se manifestant par des maux.
Freud disait : « Ce que la bouche tait, s’exprime par les doigts » et Anne Ancelin Schützenberger : « Ce que l’on ne met pas en mots, s’imprime et s’exprime par des maux ».
La psychologue Florence Calicis écrit également : « Parfois, nos patients, qu’ils soient enfants, adolescents ou adultes, souffrent mais, malgré leurs recherches dans leur histoire personnelle, et ce, avec notre aide, ils n’identifient pas d’événements traumatiques majeurs ou de raisons d’aller si mal. Avec l’expérience, j’ai trouvé fort important d’explorer avec eux l’histoire de leur famille d’origine, et parfois sur plusieurs générations. La clé de l’énigme s’y est souvent trouvée. Car on peut avoir hérité des traumatismes de ses ancêtres, sans en être conscient. »
Car il y a les « transmissions invisibles » comme l’écrit clairement également Anne Ancelin Schützenberger. Il y a de l’indicible et de l’implicite dans nos vies, des « habitus » qui se co-construisent, et se transmettent, mais aussi de grandes blessures.
La révélation de ces secrets, quelle que soit la difficulté à le faire, est un préalable pour tout travail de reconstruction ou de co-reconstruction, à toute forme de salut.
Le déni de cette réalité est une grande souffrance pour les parties prenantes, en même temps qu’une bombe à retardement pour tous.
Seule la vérité peut apaiser
Quittons donc les familles pour aller plus loin, vers des communautés de femmes, d’hommes et d’enfants. Les liens sociologiques entre les familles et les communautés sont par ailleurs si fort et les analogies existent dans le langage même et dans les fonctionnements. Ainsi une communauté religieuse secrète et ancienne à Paris et révélée récemment s’appelle-t-elle « la Famille ». Il en est de même pour les organisations mafieuses comme les « cinq familles » new-yorkaises fondée à partir du dix-neuvième siècle. Le dictionnaire Larousse donne les deux définitions suivantes d’une communauté : « Ensemble de personnes unies par des liens d’intérêts, des habitudes communes, des opinions ou des caractères communs. » et « Ensemble des citoyens d’un État, des habitants d’une ville ou d’un village. ».
Etant entendu que les mécanismes anthropologiques qui régissent ces communautés sont comparables en plusieurs points à celles des familles nucléaires ou élargies et que le lien de « filiation » même recouvre en réalité deux formes différentes : il a une dimension biologique certes, mais également « adoptive » et constitue le fondement absolu de l’appartenance sociale. Au-delà des questions juridiques qui entourent la définition du lien de filiation, les sociologues, mais aussi les psychologues, les psychologues sociaux et les psychanalystes, insistent sur la fonction socialisatrice et identitaire de ce lien. Il contribue à l’équilibre de l’individu dès sa naissance puisqu’il lui assure à la fois protection (soins physiques) et reconnaissance (sécurité affective).
Tenant compte par conséquent de cette analogie, on conclut que si l’on considère la communauté française dans son ensemble, on peut affirmer qu’il y a des modes de fonctionnement de cette dernière qui s’apparentent à ceux d’une grande famille : sentiment d’appartenance, histoire et secrets.
Auschwitz est devenu un musée, mais la vérité sur le camp d’extermination a mis plusieurs décennies à être connue et reconnue.
Quelle vérité ? Qu’Auschwitz fut la plus grande usine de mort de la Solution finale, la plus grande des machines mises en place pour en finir avec les Juifs et les Tziganes.
Longtemps, dans le bloc soviétique tout comme à l’Ouest, on a voulu ignorer la spécificité du génocide. Les « déportés raciaux » furent confondus avec les « déportés politiques ».
Ne pas reconnaître la réalité des camps de la mort et le génocide des juifs pendant la seconde guerre mondiale, c’était à coup sûr saper toute chance de paix entre les français eux-mêmes, toute chance d’apaisement de la société française, et toute chance de réconciliation en Europe. Car dans la grande communauté européenne, il n’aurait pas été possible d’obtenir des relations saines et durables entre les différents membres, avec des secrets et des crimes abominables qui ne sont même pas reconnus.
De manière générale de surcroit comme chacun sait, et à travers cette lapalissade que j’ose avec une analogie à nouveau (personne- société) : être en paix avec soi-même précède toute possibilité d’une relation sereine avec les autres.
C’est le cas pour la reconnaissance officielle et solennelle des crimes de l’Etat français pendant la seconde guerre mondiale qui touchent à la fois la France elle-même, et ses relations avec les autres pays du monde.
La reconnaissance est un préalable à toute avancée, notamment lorsqu’il s’agit de crimes. La reconnaissance de la vérité tout simplement, lorsque cette dernière est de surcroît clairement établie, par le travail des historiens. Il n’y a que la vérité qui puisse apaiser les consciences.
Un mouvement international en marche, avec une France qui semble encore en retrait
L’Allemagne a décidé de qualifier de génocide les massacres commis sur les Hereros et les Namas entre 1904 et 1908 par son armée, dans l’actuelle Namibie. Cette extermination était « un crime de guerre et un génocide », a reconnu, vendredi 10 juillet 2015, le ministère des affaires étrangères allemand. Par ailleurs, en 2011 et 2014, des crânes d’Africains expédiés en Allemagne à des fins « anthropologiques » ont été restitués aux autorités namibiennes. Des négociations ont effectivement lieu depuis 2015 entre les deux pays en vue de panser ces plaies historiques.
Le 30 juin 2020, à l’occasion du soixantième anniversaire de l’indépendance du Congo. Le roi Philippe, héritier de la monarchie belge, exprimait publiquement, et pour la première fois, ses « profonds regrets » pour les « blessures » causées par la colonisation. Dans une lettre remise à Felix Tshisekedi, Président de la République démocratique du Congo, il évoquait « les actes de violence et de cruauté qui ont été commis et qui pèsent encore sur notre mémoire collective ».
Partout dans le monde, dans le sillage de la mort de George Floyd, des citoyens s’insurgent contre des avenues ou des statues érigées à la gloire de personnalités controversées, qui ont cautionné l’esclavage ou la colonisation. Des statues d’hommes liés à l’esclavage ou aux colonies sont déboulonnées en Belgique et au Royaume-Uni.
San-Francisco débaptise un tiers de ses écoles aux noms désormais controversés. Ainsi en a décidé une commission chargée d’éliminer la glorification de personnalités liées à l’esclavage, au racisme ou aux violations des droits de l’homme.
Mais en France, et si on se limite à la colonisation de l’Algérie, aucune reconnaissance officielle à ce jour des nombreux crimes commis, pourtant établis historiquement, au nom de l’Etat français, au nom de la « mission civilisatrice » de la France, depuis 1830.
Sans être dans l’angélisme vis-à-vis de ce qui est amorcé ailleurs, le constat aujourd’hui est qu’en France, le processus semble plus complexe à s’installer pour des raisons qu’il ne s’agit pas d’analyser ici.
Le Maréchal Bugeaud : ce que dit l’histoire
Prenons ici un exemple, un seul exemple parmi tant d’autres, tristement célèbre, mais il reste, hélas, un seul exemple ; car ils sont innombrables dans cette histoire d’aliénation, d’humiliation, de mort et de crimes, qui n’en finit pas, cette histoire qui ronge encore l’Algérie et la France :
Thomas-Robert Bugeaud, maréchal français ayant vécu au 19e siècle, a participé à la colonisation de l’Algérie en commettant d’abominables massacres (parfaitement reconnus par les historiens, qui se sont basés sur des archives tout à fait officielles).
Nous ne parlons pas ici de supputations, mais de faits établis historiquement et qui ne sauraient être réfutés.
Le général Bugeaud instaure une prime à la tête coupée et qui encourage décapitations, vols, pillages, assassinats collectifs par « enfumades » dans des grottes et autres emmurements des combattants… Son disciple, le général Achille de Saint-Arnaud, témoigne avec fierté le 17 juillet 1851 :
« J’ai fini la campagne comme je l’ai commencée, par une brillante affaire […]. On a tué plus de deux cent kabyles. Le camp est plein d’armes et d’oreilles. ».
Pourtant, on peut toujours se promener rue Bugeaud à Marseille ou Lyon, arpenter l’avenue Bugeaud à Paris, ou prendre en photo une statue du maréchal Bugeaud à Périgueux encore aujourd’hui.
Dans le même temps et tout-à-fait logiquement, tous ces crimes qui sont imputables au Maréchal Bugeaud et qui sont connus encore une fois des historiens ; ces crimes qui ont été commis au nom de la France ne sont toujours pas reconnus officiellement par cette dernière, comme des crimes de guerre, ou des crimes contre l’humanité : L’article 7 du « Statut de Rome » donne la liste des crimes de droit commun qui sont des crimes contre l’humanité dès lors qu’ils sont commis sur ordre « dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique dirigée contre toute population civile » : meurtre ; esclavage ; déportation ; emprisonnement abusif ; torture ; abus sexuels ; persécution de masse ; disparitions ; apartheid…
Il semble évident que sans un regard historique apaisé sur cette réalité (journal télévisé de France 2 récemment : La France doit-elle reconnaitre des torts en Algérie ? Poser la question de cette manière est assez glaçant…) sans qu’elle soit présente dans les manuels d’histoire et sans reconnaissance officielle des crimes commis par le Maréchal Bugeaud au nom de la France (peut-on encore se poser des questions sur le caractère criminel de ces faits historiques ?), il sera très difficile d’apaiser une société française qui est au fond d’elle-même très blessée, malade même de cette réalité, encore cachée puisqu’elle n’est pas reconnue au grand jour.
Il sera, bien entendu, et dans le même temps, impossible d’aboutir à des relations apaisées en Français et Algériens. Entre la France et les rive sud de la méditerranée par extension.
Au lieu de cela, de cette logique implacable d’une vérité qui prend l’escalier (en lieu et place de l’ascenseur que prennent souvent le mensonge et le déni) mais qui finit toujours par s’imposer, la société française est encore confrontée pour ce qui concerne son histoire algérienne, à une ignorance qui s’est historiquement installée, et dont il serait bien long ici encore d’expliquer les mécanismes mis en place sciemment et méthodiquement et tout au long de cette histoire, toujours dans le but de justifier l’injustifiable.
Elle est également confrontée au déni, mais aussi à une résurgence (même si elle a toujours été là), d’une dangereuse pensée raciste et néocolonialiste que nous aurions pensée désuète.
On peut citer dans le même ordre d’idée d’autres exemples historiques édifiants : du siège de Zaatcha, en 1849 par les troupes du général Herbillon, à la guerre de 1871 de Mokrani et de Cheikh Aheddad, en passant par les massacres de Sétif, de Guelma et de Kherrata, déclenchés par les évènements du 8 mai 1945, jusqu’aux massacres du 14 juillet 1953 à Paris, puis du 17 octobre 1961 toujours à Paris, la torture, les viols et les exactions commises pendant la guerre de 1954 – 1962…et c’est loin d’être exhaustif.
No future ?
La réalité encore aujourd’hui, est le déni, le refoulé de la colonisation et de la guerre d’Algérie, mais aussi le « complexe de Néron », encore bien installé et théorisé par Albert Memmi dans son « Portrait du colonisé ». Le complexe de Néron consiste à continuer à chercher par tous les moyens des justifications à des actes, encore une fois, injustifiables, jusqu’à par exemple, pointer les effets « positifs » de la colonisation (loi du 23 février 2005) voire à assumer publiquement le crime pour certains, comme on a pu le voir récemment de la bouche d’un chroniqueur français, pourtant d’origine algérienne, qui a affirmé qu’il se situait “aujourd’hui du côté du général Bugeaud”.
Cette réalité n’est pas seulement un grand obstacle à des relations algéro-françaises sereines en 2021, elle est un obstacle pour la société française elle-même ; elle implique tous les français, qu’ils soient d’origine algérienne ou non. Des citoyennes et des citoyens de la famille « France » qui ont besoin de cette reconnaissance, donc de la vérité pour apaiser leurs esprits. Car justice ne pouvant être faite en raison des nombreuses lois d’amnistie qui se sont étalées de 1962 à 1982, il ne reste donc plus qu’un acte politique qui puisse s’accompagner d’une pédagogie, d’un travail de grande ampleur, pour résoudre une ancienne équation qui ne saurait ne pas trouver de solutions, car il y va de chacun, et surtout des jeunes. Il y va de l’avenir…
…A moins que le qualificatif envisageable juridiquement** de « crime contre l’humanité » remette en cause l’ordre établi, car (seuls) les crimes contre l’humanité sont imprescriptibles, comme l’a rappelé Robert Badinter récemment.
Toutes les affirmations de cet article sont référencées. L’auteur, faute de temps, ne les a pas toutes citées, mais se tient à disposition des lecteurs si nécessaire pour cela.
*Hafid ADNANI est né en Algérie. Journaliste et cadre supérieur de l’éducation nationale, il est également doctorant en anthropologie au Laboratoire d’Anthropologie sociale du Collège de France.
**y compris sur le plan juridique contrairement à ce qu’on entend : une convention internationale, ratifiée par la France, puis entrée en vigueur le 23 décembre 2010, fait de la disparition forcée (par exemple) un crime contre l’humanité. Et trois ans plus tard, le code pénal français reprend cette qualification : article 211-1 et définit la disparition : article 221-12.