Histoire. Guerre d’Algérie : « Le président
de la République semble oublier
le contexte »
Raphaëlle Branche est professeure d’histoire contemporaine à l’Institut des Sciences sociales du politique à l’université de Paris Nanterre. | LÉONORE BRANCHE
Historienne, spécialiste de la guerre d’Algérie (1954-1962), Raphaëlle Branche sera l’invitée d’une rencontre-dédicace à Cholet, lundi 21 février 2022, à l’occasion du 60e anniversaire de la fin du conflit. L’occasion d’évoquer cette guerre oubliée et les récentes déclarations du président de la République, Emmanuel Macron.
Il y a 60 ans, en mars 1962, la guerre d’Algérie prenait fin. L’historienne Raphaëlle Branche, enseignante à l’université de Paris Nanterre, a beaucoup travaillé sur le sujet, elle y a notamment consacré un livre « Papa, qu’as-tu fait en Algérie ? » Elle répond à nos questions à quelques jours de sa venue à Cholet, le 21 février, pour dédicacer son dernier ouvrage et échanger avec Pierre Breton, professeur de philosophie.
Comment en êtes-vous venue à vous intéresser à la guerre d’Algérie ?
Raphaëlle Branche : « Mon intérêt remonte au lycée quand j’ai découvert, par des lectures et le film d’Alain Resnais, « Muriel ou le temps d’un retour », l’importance de ce conflit pour la société française. J’ai aussi pris conscience alors, dans les années 1980, que tous les hommes de 50 ans autour de moi, mes enseignants par exemple, avaient été susceptibles d’avoir fait cette guerre dont, personnellement, j’ignorais tout. Ça a été un choc et, de là, un désir de savoir qui n’a pas cessé. J’ai pu ensuite faire des études d’histoire au moment où les archives publiques commençaient à s’ouvrir et réaliser ainsi la première thèse d’histoire sur les violences illégales de l’armée française entre 1954 et 1962. »
Combien d’appelés ont été envoyés en Algérie et quel est le bilan humain de cette guerre ?
« Tous les hommes en âge de faire leur service militaire ont été envoyés en Algérie, sauf exception. On estime leur nombre à 1,5 million en intégrant non seulement les appelés mais aussi les maintenus, disponibles et rappelés c’est-à-dire des hommes ayant déjà accompli leurs obligations militaires et devant prolonger cette période pour les besoins de cette guerre qui, pourtant, ne disait pas son nom. Le bilan humain ? Si on parle des morts, les chiffres sont en constante évolution côté français suivant qui on compte exactement mais on peut donner des estimations qui permettront de prendre la mesure de ce qui s’est joué en Algérie : au moins 25 000 militaires sont considérés comme « morts pour la France », auxquels il faut ajouter plusieurs milliers de civils français morts du fait du conflit. Côté algérien, l’estimation est d’au moins 400 000 personnes tuées. Le bilan humain nécessiterait de compter aussi les blessés physiques et psychologiques. Un tel décompte n’a jamais été fait officiellement. »
Comment expliquez-vous que cette guerre soit passée sous silence ? Les appelés ont très peu parlé…
« C’est le sujet de mon dernier livre, « Papa, qu’as-tu fait en Algérie ? ». La guerre n’a pas été passée sous silence mais, effectivement, au retour, les appelés ont peu parlé. Ils ont pourtant parlé et ont raconté. Mais ils ont aussi beaucoup euphémisé et alors, à leur retour, il devenait difficile de dire ce qu’on n’avait tu quand on était là-bas. Mais je montre aussi dans mon livre que ce silence relatif est aussi lié aux personnes à qui ils auraient pu raconter et qui n’étaient pas forcément très intéressées ou très réceptives ou même tout simplement capables de comprendre ce qui s’était passé pour eux en Algérie. Mais les choses ont beaucoup évolué et c’est aussi ce que je montre dans mon livre. »
Le livre de Raphaëlle Branche raconte la guerre d’Algérie du point de vue des appelés. | ÉDITIONS LA DÉCOUVERTE
Le président de la République vient de qualifier «d’impardonnable» la tuerie de la rue d’Isly en mars 1962 et a reconnu le massacre d’Oran en juillet 1962 perpétrés contre des partisans de l’Algérie française. Qu’en pense l’historienne?
« Rue d’Isly, à Alger, alors que l’Organisation de l’armée secrète (OAS) avait déclaré que les soldats français étaient devenus des soldats « ennemis » depuis la signature du cessez-le-feu le 19 mars et avait tué dans une embuscade certains d’entre eux quelques jours plus tôt, c’est bien une unité militaire débordée et paniquée qui a tiré sur une foule de Français d’Alger décidée à briser le blocus auquel était soumis le quartier de Bab el Oued, bastion retranché de l’OAS. Emmanuel Macron a reconnu le fait historique de ces balles françaises tuant des Français. Ces victimes étaient déjà honorées au mémorial du quai Branly depuis des années. Le Président leur donne de la visibilité ainsi et reconnaît la responsabilité de l’État mais on peut s’étonner du fait qu’il semble oublier le contexte de l’époque et le fait que l’OAS, très soutenue par les Français de Bab el Oued notamment, était engagée dans une guerre explicite contre l’armée française. L’OAS a tout de même été responsable de plusieurs tentatives d’assassinat du chef de l’État. »
C’est pour contrebalancer son propos de 2017 quand il disait que la colonisation était « un crime contre l’humanité » ?
« Celui qui a dit cela n’était pas président mais candidat. Il me semble qu’il est important de s’en souvenir. En tant que président, Emmanuel Macron n’a pas repris cette affirmation même s’il est possible qu’il n’ait pas changé d’avis. Pourquoi est-ce que reconnaître la responsabilité de l’État dans le massacre de la rue d’Isly serait contrebalancer ? Je vous laisse cette affirmation. Assurément, en tout cas, le président de la République semble désireux de s’adresser à différents groupes qui ont demandé des comptes à l’État français pour ses actions passées. Il s’appuie sur des travaux scientifiques pour élaborer, ensuite, un discours politique qui, il me semble, dit toujours la même chose : j’ai entendu vos demandes et l’État reconnaît les torts qui vous ont été faits et sa responsabilité. Dans les détails, il y a des choix de la part du Président, des omissions ou des insistances qui lui sont propres. »
La date de commémoration de fin de la guerre d’Algérie a longtemps fait débat. Le 19 mars, date des Accords d’Évian en 1962, est-elle indiscutable ?
« Il a en effet fallu des décennies avant qu’une date officielle soit fixée au 19 mars mais la date continue à ne pas faire consensus puisque certains considèrent qu’on oublie, en se focalisant sur le cessez-le-feu, les morts survenues après. Et elles sont nombreuses : soldats français tués par l’OAS, Français d’Algérie enlevés, Algériens tués par l’OAS ou dans des règlements de compte. Sous la présidence de Jacques Chirac, le 5 décembre a été proposé et reste aujourd’hui une date alternative aux commémorations : il y a actuellement deux dates dans le calendrier commémoratif français. Le 19 mars correspond à l’anniversaire du cessez-le-feu, le 5 décembre à celui de l’inauguration du mémorial du quai Branly à Paris. »
Lundi 21 février à 19 h 30 au Passage culturel, place Travot. Gratuit.
« Papa, qu’as-tu fait en Algérie » de Raphaëlle Branche. Éditions La Découverte, 25 €.
Au lycée Champ-Blanc aussi
Avant de venir en dédicace à Cholet, Raphaëlle Branche ira à la rencontre des élèves du lycée Champ-Blanc au Longeron (Sèvremoine), lundi 21 février dans la matinée. Pendant deux heures, elle répondra aux questions des élèves de terminale sur la guerre d’Algérie. C’est un sujet qui figure à leur programme d’histoire et forcément, les élèves ont tous, plus ou moins, un membre de leur famille qui a fait l’Algérie, indique Pierre Breton, professeur de philosophie, qui anime ce projet avec ses collègues d’histoire-géographie.
Source : Histoire. Guerre d’Algérie : « Le président de la République semble oublier le contexte » (ouest-france.fr)Monsieur le Président Macron quand allez-vous rendre hommage aux victimes de l'OAS ? Ecoutez ces terroristes et criminels responsables de 2700 victimes avant et après le 19 mars 1962 :