• ISLAMOPHOBIE. « BANALISATION ET RADICALISATION SE NOURRISSENT DANS UNE DIALECTIQUE PERVERSE »

     

    ISLAMOPHOBIE. « BANALISATION

    ET RADICALISATION

     SE NOURRISSENT

     DANS UNE DIALECTIQUE

    PERVERSE »

    ISLAMOPHOBIE. « BANALISATION  ET RADICALISATION SE NOURRISSENT DANS UNE DIALECTIQUE PERVERSE »

    Alors qu’une marche contre l’islamophobie est organisée dimanche à Paris, le politologue Olivier Le Cour Grandmaison revient sur l’escalade des dernières semaines et les polémiques nées autour de l’appel à manifester le 10 novembre.


    Vous dénoncez la banalisation de l’islamophobie, comment se caractérise-t-elle ?


    Olivier Le Cour Grandmaison : On assiste à un double phénomène. La banalisation de l’islamophobie est engagée depuis de longues années. Depuis qu’on a vu surgir une islamophobie élitaire d’abord de l’extrême droite, puis de la droite et d’une partie de la gauche socialiste prétendument républicaine et laïque. Ce à quoi nous avons assisté ces dernières semaines c’est une radicalisation sans précédent dont l’auteur est Eric Zemmour.

    Ses propos sont d’une extraordinaire violence langagière et symbolique puisqu’ils font des musulmans une menace prétendument existentielle pour la nation française, pour les institutions républicaines, pour la laïcité, l’identité nationale. Ce processus de radicalisation contribue, au fond, à banaliser les discours islamophobes antérieurs dans la mesure où d’abord ils ne sont pas ouvertement présentés comme tels et surtout ils apparaissent comparativement extraordinairement tempérés. C’est une dialectique perverse où radicalisation et banalisation se nourrissent l’une l’autre.


    Quelles traductions de cette « dialectique perverse » observez-vous ?

    Olivier Le Cour Grandmaison : On aurait pu penser eu égard à la remarquable violence de ces propos que cela contribuerait à tempérer la rhétorique islamophobe très largement dominante. Or c’est l’inverse qui s’est produit. Avec la volonté de construire cette « société de vigilance ». Avec les discours proprement stupéfiants tendant à énumérer des signaux faibles qui consistent par exemple à avoir une pratique religieuse plus intense au moment du ramadan.

    Avec les propos de Jean-Michel Blanquer sur le voile qui certes est autorisé mais n’est pas souhaitable. Avec le refus de qualifier comme tel l’attentat de Bayonne… Cela confirme aussi une forme politique de radicalisation : des propositions dont il est facile de démontrer qu’elles ont été d’abord défendues par l’extrême droite ont migré du côté des Républicains, puis de la République en marche quand elles ne sont pas défendues par d’anciens ou d’actuels membres du PS. On assiste à une stupéfiante involution politique.


    A vos yeux, l’Islamophobie recouvre-t-elle le racisme qui s’exerce à l’égard des immigrés et de leurs enfants mêmes Français ou est-ce une réalité différente ? 


    Olivier Le Cour Grandmaison : Le discours islamophobe ne stigmatise pas les gens avant tout en raison de leur supposée appartenance ethnico-raciale mais en raison de leur réelle ou supposée religion et/ou civilisation. Cela s’apparente à ce que je caractérise comme une forme de racisme différentialiste. Il repose sur trois processus : alterisation, c’est-à-dire faire de l’autre en tant que musulman un tout autre ; infériorisation parce qu’ils sont pensés comme inférieurs du point de vue civilisationnel et religieux ; barbarisation qui consiste à leur imputer des caractéristiques telles qu’ils sont présentés comme des menaces majeures pour l’identité nationale, l’union nationale, la laïcité et les grands principes républicains et démocratiques.


    Pourquoi le terme d’islamophobie pose-t-il problème à gauche ?


    Olivier Le Cour Grandmaison : Caroline Fourest et Gilles Kepel ont réussi à imposer parmi un certain nombre de médias, de responsables politiques et plus largement, y compris au sein de l’université, cette fable selon laquelle le terme islamophobie serait d’invention récente. Il faudrait chercher ses inventeurs du côté de l’ancien président iranien Mahmoud Ahmadinejad et du côté des Frères musulmans en Egypte.

    La répétition d’une fable dans le temps ne la transforme pas en vérité. Or il est complètement faux de dire cela. Le terme est d’usage parfaitement courant parmi les spécialistes des colonies et les orientalistes du début du XXe siècle. On assiste d’ailleurs déjà à des polémiques entre ceux qui dénoncent la politique islamophobe de la France et les autres qui taxent les premiers d’islamophilie. Les termes comme les polémiques attachées à leur usage sont beaucoup plus anciens que ce qu’on veut nous faire croire.


    Certains estiment que le terme est investi de la volonté d’empêcher la critique de la religion…


    Olivier Le Cour Grandmaison : Il s’agit d’un faux procès. Qui peut croire que des militants antiracistes de gauche ne sont pas critiques vis-à-vis de certaines pratiques de l’Islam dans un certains nombre d’Etats qui, par ailleurs, sont soutenus officiellement par les autorités françaises, comme l’Arabie Saoudite. Par exemple, je ne vois aucune contradiction entre défendre la possibilité pour les femmes en France de porter le voile dans l’espace public et le fait de défendre les iraniennes ou saoudiennes qui elles refusent de le porter. Dans les deux cas il s’agit d’affirmer un principe fondamental : la liberté d’expression politique et religieuse, et la liberté pour les femmes de se vêtir comme elles le souhaitent en fonction de leurs convictions.


    N’y a-t-il pas un risque d’instrumentalisation par les tenants d’un Islam politique radical ?


    Olivier Le Cour Grandmaison : Que certains cherchent à investir le terme d’une signification particulière ce n’est pas nouveau. C’est même fort classique dans le cas de luttes politiques qui passent bien souvent par le langage. A l’adresse de celles et ceux qui ont des pudeurs de gazelles vis-à-vis de l’appel à manifester : si le terme « islamophobie » ne leur convient pas, ils peuvent fort bien venir avec des pancartes sur le « racisme antimusulman ».


    Pourquoi estimez-vous qu’en France cette question est connectée à la colonisation ?


    Olivier Le Cour Grandmaison : Historiquement, sur le plan académique et universitaire, on voit surgir à la fin du XIXe et au début du XXe siècle en France une islamophobie savante, élaborée dans les plus prestigieuses institutions entre autres au Collège de France sous la plume notamment d’Ernest Renan qui bénéficiait d’une très grande légitimité. Alain Soral ou Jean-Gilles Malliarakis ont réédité des textes très violemment islamophobe d’orientalistes des années 1920 avec l’objectif de lester d’un vernis scientifique et académique leurs écrits et propos islamophobes contemporains. Dans d’autres cas, cette filiation n’est pas revendiquée voire n’existe pas directement. Mais dès lors que l’Islam et les musulmans sont pensés comme des problèmes grave pour la République et les institutions démocratiques, il est parfaitement logique de retrouver toutes une série d’expressions langagières, d’arguments et de thématiques qui ont beaucoup à voir avec l’islamophobie savante et élitaire telle qu’elle a prospéré sous la IIIe République.


    Certains, comme Yannick Jadot, ont aussi justifié leur prise de distance avec l’appel à manifester dimanche sur la base de leur contestation de l’existence d’un « racisme d’Etat » en France. Qu’en pensez-vous ? 


    Olivier Le Cour Grandmaison : À ma connaissance l’expression n’est pas utilisée dans l’appel. Qu’il y ait des débats au sein des gauches et parmi les universitaires sur racisme d’Etat et/ou racisme institutionnel, c’est assurément le cas. Mais, même si elle est très connexe, c’est une autre question. Prenons un exemple concret : les contrôles au faciès. Ils sont assumés par les autorités policières, par le ministre de l’Intérieur donc par le gouvernement et le chef de l’Etat et relèvent bien de pratiques racistes et discriminatoires. Ces pratiques policières ne se développent pas à l’insu de celles et ceux qui sont au pouvoir mais elles sont favorisées, cautionnées et couvertes par eux. En raison de la place qu’occupe la police dans l’appareil d’Etat, nous sommes en droit de considérer que nous sommes bien là confronté à un racisme d’Etat puisqu’une catégorie particulière de la population est spécifiquement désignée aux forces de police.

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