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Les mains sales de la récup’
Les mains sales de la récup’
- Par Juliette Keating
Le respect dû au défunt abominablement assassiné n’aura donc pas assourdi les braillements des tartuffes de la laïcité. On aurait pu attendre un peu de décence devant l’insoutenable, mais nous sommes en période électorale et il convient de faire feu de tout bois pour racler dans la fange quelques suffrages de cette opinion publique si avare d’approbation en ces temps difficiles pour chacunE. L’opportunisme reste le trait commun à tout le spectre politique le plus en vue : l’occasion est trop belle, le crime trop parfait dans son horreur, pour ne pas en « profiter ».
De tous ces défenseurs subits des professeurEs, de toutes ces zélatrices soudaines de l’éducation nationale, on retiendra les larmes de crocodiles versées sur le cadavre de l’homme qui devrait aujourd’hui profiter, lui, de vacances bien méritées. Mais leur regard est ailleurs et leur cœur bat pour d’autres combats que d’améliorer les conditions de travail des professeurEs, de donner les moyens d’un enseignement public ouvert et diversifié, de lutter contre les inégalités scolaires et les discriminations qui pourrissent de longue date le climat du pays plongé depuis des mois dans la crise économique et sanitaire.
Plutôt que d’offrir à chacun et chacune de nos enfants les outils culturels et intellectuels qui leur permettent de s’armer contre tous les fanatismes, de résister aux manipulations et de penser par elles-mêmes, les irresponsables au pouvoir réduisent le nombre d’heures de cours, ferment des classes, augmentent les effectifs, refusent de recruter des enseignantEs supplémentaires. Doit-on rappeler que l’assassin de Samuel Paty est un jeune adulte que l’on a vite renvoyé à son identité « tchétchène » alors que réfugié a six ans il a fréquenté nos écoles, nos collèges comme tous les enfants de France ?
Mais de ceci, qu’elle importance, puisqu’il s’agit de capitaliser sur la « guerre » contre l’islamisme et de fourbir un nouvel arsenal répressif bon teint qui satisfera les braves gens évidemment sidérés devant l’atrocité du crime. On trouve des coupables partout, surtout parmi celleux qui pensent et disent que l’opprobre jetée aux MusulmanEs à chaque nouvel attentat, la défiance généralisée qui en découle, alimentent le ressentiment des unEs contre les autres, désunissent les populations qui vivent ensemble dans les mêmes quartiers, partagent le même quotidien. On ne fait pas d’amalgame, nous rétorque-t-on. Mais alors pourquoi, quand une représentante de l’UNEF se joint au rassemblement d’hommage au professeur assassiné, est-elle insultée parce qu’elle porte le voile ? Dans la grande leçon nationale sur la sacralité de la liberté d’expression, on accepte donc les musulmanEs pourvu qu’iels soient invisibiliséEs et contritEs.
La récupération politique d’un crime ajoute à l’horreur du crime lui-même, et la nausée vient devant le spectacle de tant de lâcheté collective face aux desseins des extrêmes-droites : conquérir les esprits et les cœurs pour plus facilement s’emparer du pouvoir. À ce terrible jeu, il n’y aura que des perdants.
Et pendant ce temps
« la France est une cible »
Nous rabâchent les mains sales
de la récup'
voilà une des causes…
Aux larmes, citoyens !
Si les échanges commerciaux sont quelque peu chahutés par la pandémie, il est un domaine qui ne connaît pas la crise, c’est celui des armes.
Les marchands de mort se frottent les mains, ignorant superbement les ravages qu’ils provoquent dans le monde. Dans ce festival de canons, de fusils, de chars d’assau(l)t, d’hélicoptères d’attaque, d’avions de chasse, la France est très fière de sa troisième place sur le podium de la honte. Cette place d’honneur, elle la doit à ses fidèles clients champions de la démocratie : l’Egypte, l’Arabie saoudite, les émirats arabes unis, la Jordanie, le Koweit, etc. Premier fabricant et vendeur d’armes en Europe, notre pays emploie des dizaines de milliers de personnes dans ses usines Thalès, Safran, Dassault, Nexter (chars Leclerc), ou encore Airbus, septième fabricant d’armes mondial. Ce domaine de l’armement est considéré comme un fleuron de l’industrie française. Mais comme il faut rester moralement présentable, on n’utilise pas le mot armes , on parle de produits, de technologies de défense destinés non pas à « tuer », mais à « protéger ». Une hypocrisie qui permet de cacher les dizaines de milliers de victimes que font ces armes au Yemen et ailleurs. C’est qu’il y en a tellement de populations à « protéger » partout dans le monde ! Les « protecteurs » se pressent d’ailleurs au Salon Eurosatory, l’un des plus grands salons de l’armement que notre pays s’enorgueillit d’accueillir en grand pompe tous les deux ans. Et si on s’avise de poser aux « protecteurs » des questions sur l’utilisation des armes qu’ils achètent, ils opposent un chaste « secret défense », un terme qui, en passant, permet de museler toute velléité des parlementaires à demander des explications.
Plus de 500 000 personnes sont tuées chaque année par armes à feu dans le monde, 80 % des victimes sont des civils. Au Yemen, selon l’ONU, le conflit a déjà fait plus de 230 000 morts. Et ça continue : chaque jour, on bombarde les hôpitaux, les marchés, les écoles, les transports. D’où viennent ces armes ? Voir plus haut… Mieux encore : en plus des marchands « officiels », il faut savoir que le trafic d’armes est des plus lucratifs pour ceux qui s’y adonnent, en compagnie des trafiquants de drogue, de médicaments et d’êtres humains.
Et comme pour parachever le rôle éminent de la France dans ce commerce de la mort, une enquête menée cet été 2020 par « La Chronique d’Amnesty international » nous apprenait que « la France s’apprêtait à accueillir et former des militaires saoudiens dans un centre flambant neuf à Commercy, dans la Meuse ». Dans ce même numéro du supplément d’automne de « La Chronique », un militant yéménite des droits humains, Ali Jameel, regrettait que la France « soit prête à échanger ses valeurs pour une poignée de dollars. Le gouvernement français privilégie ses bénéfices économiques sur ses valeurs humanitaires », avant d’ajouter « c’est triste de penser que dans mon pays, tout ce que les gens connaissent de la France, ce sont ses canons ».
source : « Bref », supplément automne de la « Chronique d’Amnesty International » d’octobre 2020.
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