• Algérie 1er novembre : "Notre révolution intérieure"

     

    Demain c’est le 1er novembre pour beaucoup de Français c’est la Toussaint avec la visite des cimetières et les fleurs déposées sur les tombes… Mais le 1er novembre et la presse française ne risque pas de vous en parler, c’est aussi la Toussaint Rouge, c’est-à-dire la déclaration de la « guerre d’Algérie » terme employé par la France ou « guerre d’indépendance nationale » terme employé par l’Algérie. Mais en Algérie se produit depuis plusieurs mois une Révolution du Peuple algérien pour l’obtention d’une seconde République… Alors j’ai choisi de vous parler du 1er novembre 2019 en Algérie en vous présentant le récit de l’algérienne Meryem Belkaïd, universitaire depuis six ans en Amérique.

     

     

    Notre révolution intérieure

     

    Combien de fois ai-je écrit la date du premier novembre 1954  sur mes cahiers d’écolière ? Combien de fois ai-je inscrit cette date sur les tableaux noirs des universités américaines où j’enseigne depuis six ans ? Déclenchement de la guerre d’indépendance algérienne. Car bien évidemment, je n’emploie pas l’expression bien trop française de “Guerre d’Algérie” ni celle de “Guerre de Libération Nationale” qui n’aurait pas grand sens devant un public d’étudiants non- Algériens.  

    Combien de fois ai-je expliqué, narré, mis en perspective les événements de cette journée d’automne, bien moins spectaculaire que la légende laisse à croire ? Combien de fois ai-je dit, dans une formule que je pense plutôt efficace pédagogiquement, que le 1er  novembre commence en réalité le 8 mai 1945 avec les massacres de Sétif, Guelma et Kherrata et les poèmes que Kateb Yacine, à 15 ans, écrit en prison. 

    Combien de fois ai-je projeté lors de mes séminaires, le documentaire de Malek Bensmaïl La Chine est encore loin (2010), pour montrer que le fétichisme des dates et les mythes sont commodes surtout pour ceux qui les entretiennent et les  manipulent ad nauseam. Documentaire d’une beauté rare. Film politique qu’on devrait projeter à côté de beaucoup d’autres, dans nos propres écoles et nos propres universités. Le film montre qu’à Ghassira dans les Aurès, l’un des lieux où est partie l’insurrection de 1954, les habitants sont désormais totalement abandonnés à leur sort, méprisés, marginalisés. Les autorités se déplacent chaque année pour célébrer en grandes pompes le 1er novembre et puis elles plient vite bagage et laissent les lieux se délabrer, l’école se figer, les hôpitaux disparaître, les mémoires agoniser.  

    On dit que depuis février 2019, les Algériens se sont enfin réappropriés les symboles de cette révolution nationale et ne se laisseront plus confisquer cette histoire. On a vu Djamila Bouhired battre le pavé après des années de silence et de discrétion politique. On a vu des portraits de Larbi Ben M’hidi, d’Ali la Pointe (et parfois de l’acteur qui l’incarne dans l’iconique Bataille d’Alger) et de Hassiba Ben Bouali. C’est un geste important que de redevenir enfin les auteurs de notre récit national, de ne plus se le laisser dicter. Nous devons apprendre à affronter cette histoire avec sérénité, fierté mais aussi honnêteté intellectuelle.  Nous devons nous atteler à écrire nous-mêmes notre passé mais aussi notre avenir.  

    En cette veille de premier novembre, la situation politique du pays est à un tournant. L’épreuve de force à son paroxysme. Le pouvoir est dépassé par l’ampleur des événements et croit encore naïvement que contrôler des chaines de télévisions lui permettra de gagner la guerre de l’information. Que détenir, avec la complicité d’une justice scélérate, des figures emblématiques de la révolution lui octroie une quelconque légitimité. Qu’emprisonner des militants et des activistes lui donne le contrôle du champ politique. Un pouvoir du siècle dernier qui ne mesure pas la révolution en cours. Il se peut qu’il soit sur le point de céder et c’est ce que nous souhaitons de tous nos vœux. Il se peut aussi qu’il s’engage à maintenir les élections de décembre par tous les moyens. Et tout.e Algérien.ne sait pertinemment que la violence n’est jamais à exclure.  

    Ce que ce pouvoir ignore, c’est que nous avons déjà gagné. Quoiqu’il advienne. La victoire est nôtre. Parce que nous avons réinvesti les rues et les espaces publics. Repris possession de nos corps, de nos voix et de nos mots. Parce que nous n’oublions pas nos morts. Parce que nous allons chanter, danser, écrire, rire et pleurer. Nous aimer à nouveau. Admirer notre jeunesse, nos artistes et nos étudiants. Parce que nous avons fait  la promesse de ne plus laisser quiconque nous dicter notre destin. Parce que nous avons, depuis plus de six mois, entamé notre révolution intérieure que les intimidations, les chars, fourgons et élections de pacotille ne pourront arrêter. 

     

    Meryem Belkaïd 

    Universitaire

     

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