• Le cinéaste Alexandre Arcady écrit à Roger Hanin

    Le cinéaste Alexandre Arcady écrit

     

    à Roger Hanin

    Le cinéaste Alexandre Arcady écrit à Roger Hanin

     

    Le cinéaste Alexandre Arcady rend hommage à son ami de longue date Roger Hanin, décédé en février 2015 à l'âge de 89 ans. Citant Albert Camus, Arcady écrit une lettre ouverte louant le souvenir de l'ex-commissaire Navarro, qui savait si bien conjuguer son enfance algérienne, sa religion et son travail en France. Alexandre Arcady a notamment réalisé Le Coup de Sirocco, un long métrage portant sur la vie et l'exil des pieds-noirs d'Algérie. Roger Hanin avait tourné dans un autre de ses films, Le Grand Pardon, en 1982.  

    À Roger Levy, dit Roger Hanin, mon ami d’Alger.   

    "Dans un univers privé d’illusion et de lumière, l’homme se sent un étranger. Cet exil est sans recours." (Albert Camus) 

    Vendredi 13 février. Il est 7h30, et l’avion d’Air Algérie va décoller. Toujours le même sentiment quand je retourne vers Alger. Gravité, joie et excitation. À deux heures de Paris, je vais revoir ma terre, notre terre natale. Mais ce matin, c’est un autre sentiment qui m’accompagne. Roger, je sais que tu es avec moi, je sais que tu es là, je sais que c’est ton ultime voyage. Je sais aussi que tu es seul, dans le noir, pour ce voyage souhaité comme une dernière volonté, et j’ai le cœur brisé.  

    "Alger qui s’ouvre dans le ciel comme une bouche ou une blessure."   

    Le ciel est bas, noir, chargé. Une lumière inhabituelle pour cette terre africaine. Alger est triste. En arrivant, je ne souhaite qu’une chose, retrouver l’odeur des glycines et des jasmins qui enivraient ton enfance et la mienne. Nous survolons le jardin d’Essai, lieu d’innocence et de bonheur. À travers le hublot, je vois la Casbah où, comme moi, tu étais pauvre mais heureux. Cette basse Casbah qui nous a vu naître, toi, rue Marengo, moi, rue du Lézard – quelques centaines de mètres séparaient notre lieu de naissance, quelques mètres et quelques années… La même enfance, le même ciel bleu, les mêmes odeurs et les mêmes images.

    "Nous étions les rois, toi le grand aux yeux verts, moi le petit blond de la Casbah." 

    Sur le tarmac, tapis rouge et musique de circonstance. La ministre de la Culture algérienne, Nadia Labidi, prend la parole pour dire son émotion à ta famille et aux proches qui t’accompagnent dans ce voyage sans retour. Impressionnant cortège sur une autoroute étrangement vide en ton honneur qui nous amène au cimetière juif de Saint-Eugène. De la voiture, je vois défiler tous les quartiers d’Alger et je ne peux m’empêcher de penser à l’incroyable destin que tu as eu, mon cher Roger : sportif, acteur, homme politique, metteur en scène, écrivain… Incroyable existence pour un artiste complet.

    Tu étais l’un des géants du cinéma français. Mais dans ta mort tu as accompli un exploit de plus. Par ta simple volonté d’être enterré sur la terre où tu as vu le jour, tu vas réussir peut-être à réconcilier les trois Dieux du livre. Cela faisait longtemps qu’on n’avait pas entendu retentir sous le ciel de l’Algérie les échos des prières juives. Est-ce un affront pour les musulmans? Pour les ignorants et les intolérants peut être! Pourtant, et il faut le souligner ici, ce sont bien les autorités qui ont autorisé la présence d’un rabbin pour t’accompagner jusqu’à ta dernière sépulture. Cette décision a été prise par le président Abdelaziz Bouteflika qui n’a pas oublié que les Juifs d’Algérie sont aussi les enfants de ce pays.

    En envahissant l’Algérie, en 1830, les soldats français découvraient une importante population juive indigène installée à Alger, à Constantine, à Oran longtemps avant les Arabes ou les Turcs. La plus grande résistante historique en Algérie, la  "Kahina", ne serait-elle pas, selon certains, une Cohen? Le nombre des synagogues aujourd’hui désaffectées, jusque dans les villages les plus reculés, rappelle le souvenir de cette communauté si vivace.  Certains juifs pieds-noirs, aujourd’hui encore, peuvent témoigner du fait que leurs  grands-parents ne s’exprimaient qu’en arabe. C’était le cas de ma grand-mère, Lisa-Messaouda, elle aussi enterrée à Saint-Eugène, tout près de ton père Joseph Levy que tu vas rejoindre dans le même caveau.

    Je sais que tu revenais souvent à Alger, certaines fois nous étions ensemble, comme le jour où le Président Bouteflika t’a remis la plus grande des récompenses algériennes : l’ordre "Achir". Toi qui as toujours refusé toutes les décorations, celle-là, tu l’as gardée précieusement, je la revois derrière ton bureau trônant au milieu des photos de famille. À chacun de tes voyages, tu étais accueilli avec la même amitié et la même affection. Tu étais un enfant du pays comme je le suis moi-même, et tu n’as jamais caché ton lien à cette communauté.

    Certains aujourd’hui aimeraient éradiquer ce passé si riche, aimeraient effacer le souvenir de ces relations si fraternelles et, je pèse mes mots, entre Juifs et Musulmans d’Algérie. Ils n’y arriveront pas. Sur le long terme, le fanatisme ne gagne jamais. Certes, entre Algériens et Juifs d’Algérie, il y a eu de lourds contentieux, le sang a hélas coulé, encouragé parfois par les autorités coloniales qui toléraient les exactions les plus brutales. Le décret Crémieux a aussi été ressenti comme une injustice. Mais l’histoire demeure. Et elle n’est pas oubliée de tout le monde.

    Roger, tu savais tout cela, et, inlassablement, tu as œuvré pour la vérité. Si tu étais aimé à Alger, c’est parce que tu étais un enfant authentique de cette ville, de cette terre. Toi aussi, tu t’exprimais en arabe et tu en étais fier. Toi, cet enfant de la Casbah, combien de fois je t’ai vu, dans l’intimité, au moment où tu voulais te détendre, enfiler une belle djellaba blanche pour être à l’aise…  

    "J’ai grandi dans la mer et la pauvreté m’a été fastueuse"   

    À l’heure où tant de haine s’exprime dans le monde, ta voix puissante et généreuse va nous manquer, surtout en ce moment, où, complètement déconcertée, traumatisée, la France découvre le fanatisme le plus violent et l’intolérance la plus abjecte. En souhaitant être enterré à Alger tu nous adresses le plus beau des messages, celui d’un homme qui, après une vie si brillante, retourne dans son simple linceul à l’authenticité de ses origines. Tu nous indiques la route à suivre "Toujours rester fidèle à ce qu’on est", c’était ta devise, nous ne l’oublierons pas.

    Alexandre Arcady 

    Mercredi 18 février 2015

    Le cinéaste Alexandre Arcady écrit à Roger Hanin

    Alexandre Arcady lors du service commémoratif pour Roger Hanin à Paris, en février 2015 (Sipa)

    Source : http://www.lejdd.fr/Culture/Le-cineaste-Alexandre-Arcady-ecrit-a-Roger-Hanin-718752

     

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