• « Non, nous n’étions pas TOUS, des tortionnaires »…

     

    « Non, nous n’étions pas TOUS, des tortionnaires »…

     

     

    Une image liée à la guerre. A l’horreur de la guerre.

    Et de repenser au terme de « Crevettes Bigeard », durant la guerre d’Algérie.
    Pour éliminer physiquement des milliers d’Algériens dont on ne retrouvera jamais la trace, le général Bigeard avait imaginé un technique infaillible : sceller les pieds des prisonniers vivants, dans un bloc de béton et les larguer de 200 ou 300 mètres d’altitude d’un avion ou d’un hélicoptère en pleine mer. L’horreur de la guerre.
     

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    L’ignominie de la colonisation : c’est peut-être pour cela que la 3e génération du feu se plaint d’être la mal aimée du monde combattant et même tout simplement oubliée, dixit l’article signé Jean-François Drillien dans le dernier numéro de « l’Ancien d’Algérie ».

     

     

    Le 3 décembre 2000, il y a donc près de 18 ans « La Dépêche.fr » publiait le témoignage  de Guy, un appelé de la guerre d’Algérie, vous allez le reconnaître facilement, avec lui je suis presque d’accord sur le titre de son témoignage, sauf que j’ajouterai un mot « Non, nous n’étions pas TOUS, des tortionnaires »… A titre personnel je n’ai rien connu, rien vu de la « sale » guerre, là où j’étais, pendant 21 mois, il ne s’est absolument rien passé… J’ai donc tout appris bien longtemps après… J’ai surtout appris qu’il n’y avait pas que la guerre d’Algérie, il y avait aussi et surtout le colonialisme et la généralisation de la torture… alors je soulignerai, une fois encore, cette belle phrase :

    Ces mots simples de Simone Veil (qui va entrer au Panthéon le 1er juillet prochain) résument mieux que mille discours la réalité et l’ignominie de la colonisation. « Je n'oublierai jamais le moment où, pour la première fois, j'ai senti et compris la tragédie de la colonisation. [...] Depuis ce jour, j'ai honte de mon pays. Depuis ce jour, je ne peux pas rencontrer un Indochinois, un Algérien, un Marocain, sans avoir envie de lui demander pardon. Pardon pour toutes les douleurs, toutes les humiliations qu'on lui a fait souffrir, qu'on a fait souffrir à leur peuple. Car leur oppresseur, c'est l'Etat français, il le fait au nom de tous les Français, donc aussi, pour une petite part, en mon nom. » Tout est dit. 

    Guy, un appelé: « Non, nous n'étions pas

    des tortionnaires »

    « MA plus grande crainte désormais, lorsqu'on verra dans les cérémonies notre drapeau de la FNACA, la Fédération nationale des anciens combattants d'Afrique du Nord, est que certains nous vomissent dessus : ''Tiens, voilà les tortionnaires! ''.

    Les deux millions de Français qui ont combattu en Algérie ne méritent pas cet anathème. L'écrasante majorité d'entr'eux n'a jamais pratiqué la torture. »

    Guy Darmanin a « fait » la guerre d'Algérie dans les rangs des appelés du contingent. De 1961 à juin 1962. Il parle au nom des « camarades consternés depuis quinze jours ». « Moi, dit-il, j'ai utilisé la ''gégène'', le générateur électrique de campagne, mais uniquement pour assurer les transmissions. Nous refusons que les accusations portées aujourd'hui contre l'armée soient généralisées. Nous ne sommes pas concernés par ces agissements qui furent le fait de quelques unités spéciales. »

    « Aussaresses nous fait honte »

    Guy « condamne sans réserves » les déclarations du général Paul Aussaresses qui a froidement raconté « avoir tué 24 personnes » après les avoir torturées, parce qu'on « ne pouvait pas les libérer dans un tel état ».

    « Ses ''aveux'' m'ont affecté profondément, poursuit-il, comme beaucoup d'anciens combattants, j'ai honte pour la France, j'estime qu'il a sali l'armée, qu'il nous a tous salis. Je souhaite que ses décorations prestigieuses, en particulier la Légion d'honneur, lui soient retirées sans tarder. La guerre, c'est la guerre, mais de là à affirmer ''je suis prêt à recommencer! '' Pouah!»

    Guy Darmanin se montre favorable à toute « démarche pouvant concourir au rétablissement de la vérité et à tourner définitivement une page très douloureuse de l'histoire de notre pays. Mais si l'on ouvre les dossiers il faut les ouvrir des deux côtés, car le FLN a lui aussi utilisé des méthodes barbares ».

    Par contre, estime l'ancien sous-officier, il ne faut pas se tromper de cible: «L'enchaînement infernal a été provoqué par le gouvernement de l'époque. Quand des copains étaient tués dans des conditions atroces par le FLN, nos soldats étaient animés d'un esprit de vengeance.»

    « Des camarades sont devenus fous, ils sont toujours enfermés »

    Guy Darmanin reproche aux plus hautes autorités politiques d'avoir fermé les yeux. « Le ministre des Affaires algériennes, Robert Lacoste, avait, paraît-il, un tas de dossiers concernant la torture par ces groupes de barbouzes. Il aurait pu et dû l'arrêter. Je ne peux pas croire que des généraux aient ordonné de telles atrocités sans l'aval du pouvoir. »

    Le contingent français a payé un lourd tribut à cette « sale guerre ». « La guerre, c'est toujours sale, enchaîne Guy Darmanin, mais nous étions partis pour mener des opérations de maintien de l'ordre dans un département français. 30000 soldats sont morts en Algérie, la plupart avaient 20 ans. Nous avons vu défiler un cortège interminable de 250.000 malades ou blessés, certains marqués à vie. Des garçons qui ont été contraints par leurs supérieurs de commettre des actes de répression aveugle en ont perdu la raison. Ça, on n'en parle jamais. Combien des nôtres sont-ils toujours enfermés dans des asiles psychiatriques, comme à l'hôpital Marchant de Toulouse ? Nous allons les voir de temps en temps, tout le monde les a oubliés. On a vu récemment des images terribles sur une chaîne de télévision. Un jeune soldat tirait sur un fourré qui bougeait, pendant une opération : une fillette se trouvait derrière. Lorsqu'il a vu son cadavre, il est devenu fou sur le champ. Ce n'était pas un tortionnaire, nous n'étions pas des tortionnaires. »

    https://www.ladepeche.fr/article/2000/12/03/278420-guy-un-appele-non-nous-n-etions-pas-des-tortionnaires.html 

     

    Guerre d´Algérie : une thèse souligne

     la généralisation de la torture 

     

    Le travail d´une jeune historienne, fondé notamment sur le décryptage des journaux de marche des régiments français durant le conflit algérien, confirme que la torture n´a pas été seulement le fait de quelques militaires sadiques et isolés
    Une jeune normalienne, Raphaëlle Branche, a soutenu, mardi 5 décembre 2000, sa thèse de doctorat d´histoire intitulée « L´armée et la torture pendant la guerre d´Algérie. Les soldats, leurs chefs et les violences illégales » devant un parterre d´universitaires et de journalistes. Ce travail vient éclairer le débat actuel sur la torture durant la guerre d´Algérie en présentant notamment un décryptage inédit des « journaux de marche des opérations » tenus par chaque régiment, du dépouillement de nombreuses archives civiles et militaires et de longs entretiens avec des militaires. La thèse confirme que la torture n´a pas été une création ex nihilo de la guerre d´Algérie et qu´elle n´a pas seulement été le fait de quelques militaires sadiques et isolés. Les signataires de l´« appel des douze » en faveur d´une condamnation publique de la torture en Algérie devaient réitérer leur demande, mercredi 6 décembre 2000.

     

    Le Monde, 6 décembre 2000 

    Guerre d´Algérie : une thèse souligne

    la généralisation de la torture

    L´HISTOIRE a percuté l´actualité, mardi 5 décembre, dans la salle de l´Institut d´études politiques (IEP) de Paris où Raphaëlle Branche, une jeune normalienne, soutenait une thèse de doctorat d´histoire sur la torture pendant la guerre d´Algérie, dirigée par Jean-François Sirinelli. Un travail de quatre ans et de 1211 pages, entrepris dans un climat d´indifférence générale et achevé au moment même où la France vit en pleine « catharsis », selon le mot de l´historien Pierre Vidal-Naquet, membre du jury. Mais le tumulte du grand retour de la mémoire qui se poursuit dans les médias depuis six mois n´a pas pénétré cette enceinte universitaire pleine à craquer. A aucun moment d´une séance de quatre heures, présidée par Jean-Pierre Rioux, les règles de la stricte discussion historique n´ont été transgressées.
    Non, la torture n´est pas une création ex nihilo de la guerre d´Algérie ; non elle n´a pas été seulement le fait de quelques militaires sadiques et isolés, expose, en substance, le travail de Mme Branche. La torture, au contraire, s´inscrit dans une histoire, celle de la colonisation et de sa remise en cause radicale entre 1954 et 1962. Son ampleur ne s´explique que par la dimension totale de l´affrontement : l´ennemi était alors constitué non pas seulement par une armée mais, progressivement, par tout un peuple rebelle à l´ordre colonial que la France avait décidé de maintenir, par un mélange de méthode forte et, tardivement, de tentatives de réformes politiques et sociales.
    Cette thèse est issue du décryptage inédit des «journaux de marche des opérations» tenus par chaque régiment, du dépouillement de nombreuses archives civiles et militaires et de longs entretiens avec des militaires.
    L´originalité de ce travail réside d´abord dans l´analyse des origines de la torture, de ses différentes formes et de son ampleur. Ainsi, selon Raphaëlle Branche, un détour par la guerre d´Indochine s´avère indispensable : c´est là, dans son combat perdu contre les communistes du Vietminh, que l´armée française a puisé sa perception de la guerre révolutionnaire et des moyens de la combattre ; c´est aussi dans le désastre et l´humiliation de Dien Bien Phu qu´est née une certaine volonté de vengeance. Le discours de l´armée, dont les hauts responsables n´étaient pas nécessairement dupes, selon la thèse, consistait à assimiler le FLN à une subversion communiste et la rébellion à une guerre révolutionnaire de type indochinois. Dans cette vision, exacerbée par un profond racisme, il s´agit non seulement de lutter contre des maquisards armés mais aussi contre tous les nationalistes liés à un réseau de résistance à la colonisation française. D´où l´importance primordiale accordée au renseignement et le développement, en Algérie, de l´« action psychologique », transposition des méthodes subies par les prisonniers français aux mains du Vietminh.
    Les détachements opérationnels de protection (DOP), l´un des nombreux sigles qui cachaient les structures spécialisées dans les « interrogatoires poussés », sont nés en Indochine, explique Mme Branche, où leur tâche se cantonnait à l´utilisation d´agents infiltrés chez l´ennemi. Exacerbée, la religion du « renseignement » allait faire le reste.


    UNE « RÉALITÉ PROTÉIFORME »

    Certes, la torture policière existait en Algérie avant l´insurrection de 1954, comme en témoigne la mise en garde immédiatement lancée, dès cette date, par François Mauriac. Certes, l´armée y a eu largement recours pendant la « bataille d´Alger », qui fut, en 1957, un « point de non-retour » à cet égard. Mais le passage à une guerre totale correspond, selon la thèse, à l´arrivée à la tête de l´état-major d´Alger du général Salan en décembre 1956. Les mises en garde contre le recours à la torture contenues dans les instructions militaires, cessent alors. Si la Ve République naissante s´efforce, en vain, de faire reculer la « gangrène », la IVe s´est illustrée par sa duplicité. Ainsi, dans les archives d´Hubert Beuve-Méry, fondateur du Monde, Raphaëlle Branche a retrouvé la trace du « gros dossier » qu´il avait transmis en octobre 1956 à Guy Mollet, alors président du Conseil. Lourd des multiples témoignages parvenus au journal, ce document ne semble nullement avoir été utilisé par un homme qui, publiquement, assurait que les cas de torture se comptaient « sur les doigts de la main ».
    « Réalité protéiforme »pratiquée sans trace écrite, la torture est implicitement justifiée par la recherche de renseignements sur des réseaux. Mais son efficacité paraît limitée à l´égard du but affiché. Les codes utilisés pour répertorier la qualité des réponses obtenues par la violence se traduisent par des « X1 » ou « X0 », c´est-à-dire « beaucoup de bruit pour rien », a remarqué Jean-Charles Jauffret, professeur d´histoire à l´IEP d´Aix-en-Provence, membre du jury. C´est que la torture, d´outil de renseignement, est devenue aussi en Algérie un instrument de terreur et d´humiliation, comme en témoignent la mise à nu systématique des victimes, le fait que ni les enfants ni les vieillards n´ont été épargnés, la fréquence des viols commis au moyen d´objets.
    « La torture n´a jamais été un moyen parmi d´autres d´obtenir des renseignements, car elle détruit la dignité humaine de façon radicale, a soutenu Raphaëlle Branche. Le fait que des Algériens soient torturés était considéré comme aussi important que le fait que tous les Algériens aient peur de subir de tels traitements. » Pour l´historienne, la torture ne se réduit pas à un corps-à-corps mais s´inscrit dans un contexte plus large incluant les spectateurs présents, la collectivité des Algériens et l´Etat français. « Torturer, ce n´est pas seulement faire parler, c´est aussi faire entendre qui a le pouvoir », a-t-elle expliqué.


    « LA FACE CACHÉE »


    Dans ces conditions, la torture ne fait nullement figure d´exception, mais comment en mesurer l´ampleur ? Ce type de traitement n´était pas pratiqué systématiquement, répond la thèse, mais « elle faisait partie des violences qu´il était possible d´infliger et cette tolérance, voire ces encouragements ou ces recommandations des chefs, explique qu´elle ait été pratiquée sur tout le territoire algérien pendant toute la guerre et dans tout type d´unité ». La torture a-t-elle été systématique ? La réponse est négative si l´on observe qu´il n´existait pas de structure cohérente chargée de la torture, à l´exception des DOP. Mais elle devient positive, si l´on considère « le contexte incitatif produit par une certaine vision du monde, des Algériens, de la guerre », a argumenté Mme Branche.
    Pour autant, son travail ne fait pas l´impasse sur la réalité des chiffres. Il estime «crédible» le nombre de 108175 Algériens passés par la ferme Améziane, dans le Constantinois, le plus connu des centres de torture, nombre avancé en 1961 par le journal Vérité-Liberté, en précisant que des personnes ont pu y être internées à plusieurs reprises. A propos d´un témoignage sur la torture par l´électricité - la «gégène» -, la thèse va plus loin en affirmant que « des centaines de milliers d´Algériens […] ont éprouvé dans leur chair » pareille souffrance.
    Avant de décerner à Raphaëlle Branche, à l´unanimité, la mention très honorable et les félicitations, les membres du jury ont multiplié les formules dithyrambiques. Ce travail qualifié de « magistral », « fera date », ont-ils pronostiqué, car il « révèle la face cachée de la République », a ajouté Pierre Vidal-Naquet. Tous historiens, ils ont admis n´être pas sortis indemnes de sa lecture.
    L´armée et la torture pendant la guerre d´Algérie. Les soldats, leurs chefs et les violences illégales. Thèse pour le doctorat d´histoire. Institut d´études politiques de Paris. Décembre 2000. Un livre tiré de cette thèse doit être publié prochainement.

    Philippe Bernard

    Le Monde daté du jeudi 7 décembre 2000

    Le choix du jour

    Les blessures laissées par la torture

    en Algérie

    Mercredi, 27 Juin, 2001

    L'Humanité

    Enfin, la télévision consacre une émission sans la moindre compromission sur l'usage généralisé de la torture pendant la guerre d'Algérie.

    Pièces à conviction. Tortures en Algérie : ces aveux qui dérangent. France 3, 23 h 20.

    Il sera presque une heure du matin, hélas, quand se terminera cette émission. Si vous craignez de ne pas tenir le coup ou si vous redoutez le réveil, demain matin, n'oubliez pas de brancher votre magnétoscope. Élise Lucet, avec ses Pièces à conviction, offre en effet ce soir le plus complet et le meilleur des magazines vus jusqu'ici à la télévision sur le sujet toujours aussi douloureux de l'usage systématique et à grande échelle de la torture par l'armée française pendant la guerre d'Algérie. Le travail de la journaliste et de son équipe est sensible à l'écran. L'attitude d'Élise Lucet elle-même, volontaire et sans concession, devant le général Aussaresses, permet à tout un chacun de démasquer l'arracheur de dents (de l'expression mentir comme un...) sous l'uniforme. Sans rien nier des traumatismes laissés de part et d'autre par cette sale guerre qui refusait de dire son nom, l'émission est une démonstration sans appel de l'abandon par les pouvoirs publics de ses responsabilités et de la terrible dérive de l'armée française engluée dans une guerre coloniale sans merci et sans autre issue que l'indépendance algérienne.

    Dès le premier témoignage, celui d'un ancien légionnaire sous-officier dans un régiment parachutiste, la terrifiante réalité s'impose. L'homme, aussi franc que froid, évoque sans fioriture mais sans euphémisme, directement, quasi cliniquement, les sévices infligés aux suspects. Des descriptions qui font froid dans le dos, qui révulsent et qui se terminent par l'évocation des trop fameuses corvées de bois et les cadavres dénudés laissés aux chacals, invités à terminer les basses oeuvres. Les témoignages et rencontres en Algérie se suivent, se croisent : une victime d'un attentat du FLN à Alger, des rescapés de la torture, algériens et français, des appelés du contingent. Les reportages sont enrichis de documents d'archives, de rappels historiques, et, petit à petit, l'ampleur du phénomène et les responsabilités des uns et des autres s'éclairent.

    Face à la France officielle et ses mensonges, face aux militaires tenants de la ligne "terrorisons les terroristes" et leurs méthodes insultant les valeurs fondatrices de notre pays, les rares voix des hommes haut placés dans l'appareil d'Etat qui ont osé dire non, brillent d'autant. Grâce à des images du document d'André Gazut, toujours non diffusé en France (!), sur le général de Bollardière, et à quelques bribes, essentielles, du discours de Paul Teitgen, haut fonctionnaire, on mesure mieux ainsi le gouffre noir dans lequel s'enfonçait la France coloniale.

    Au fond du trou noir, hélas, victimes comme témoins, ils sont nombreux à y avoir perdu au moins un peu de leur âme. Certains gardent les traces des sévices sur leur corps, beaucoup dans leur esprit. Parmi les appelés, même ceux qui n'ont pas vu mais " seulement " entendu les cris des suppliciés, ne s'en remettent pas. Pour le Dr Hadjadj, militant du Parti communiste algérien, torturé, et qui a fini par " donner " le nom d'Henri Alleg quand les paras, jugeant que la souffrance physique n'y suffirait pas, ont menacé de torturer sa femme sous ses yeux, le calvaire - comble d'injustice - dure encore. Sera-t-il apaisé d'entendre Henri Alleg, militant communiste et auteur de la Question, parler avec toute l'humanité qu'on lui connaît de leur histoire commune ?

    Elise Lucet, lors de l'interview d'Henri Alleg, laisse son interlocuteur s'adresser aux plus hautes autorités de l'État pour qu'elles reconnaissent et condamnent enfin l'usage de la torture pendant les " événements d'Algérie ". Au-delà du rappel intransigeant des principes, bafoués alors, ce geste soulagerait enfin le Dr Hadjadj, Josette Audin dont le jeune mari, mort sous la torture, est toujours officiellement en fuite, et tous ceux, nombreux, qui souffrent encore de ce traumatisme.

    Dany Stive

    La torture pendant la guerre d’Algérie

    S’il est une guerre qui mérite vraiment le qualificatif de «SALE», c’est bien la guerre d’Algérie. Ce qualificatif est faible, quand on connaît les horreurs, les crimes monstrueux, les tortures horribles et inhumaines commises au nom de la France sur la population Algérienne, tortures et crimes commis par des généraux, des colonels, et notamment par les parachutistes. Tortures et crimes connus et couverts par les gouvernements français. Personne aujourd’hui ne conteste la réalité de ces tortures.

    Mais au cours de cette guerre, tout a été fait pour les cacher, les camoufler et l’opinion publique française a été soumise à un mensonge systématique. On osait parler de «PACIFICATION» mais derrière ce mot usurpé, c’est une politique d’extermination qui était menée. Un général, le général Aussaresses n’a-t-il pas eu le culot monstre d’écrire un livre pour tenter de justifier ces crimes, ces tortures ! Voici, quelques témoignages de ces tortures.

     

    Documents révélateurs

    Deux documents sont particulièrement révélateurs. Le 1er  juillet 1955 - soit un mois et demi avant l’insurrection du Constantinois du 20 août, considérée par de nombreux historiens comme le vrai début de la guerre d’Algérie - un texte contresigné par le ministre de l’intérieur de l’époque, M. Bourgès-Maunoury, et le ministre de la défense nationale, le général Koenig, était diffusé dans tous les régiments français d’Algérie. Cette « instruction n° 11 », qui a recueilli « la pleine adhésion du gouvernement », stipule que « la lutte doit être plus policière que militaire (...) Le feu doit être ouvert sur tout suspect qui tente de s’enfuir (...) Les moyens les plus brutaux doivent être employés sans délai (...) Il faut rechercher le succès par tous les moyens. » Autre découverte de Claire Mauss-Copeaux : un texte du 3 août 1955, signé par le même général Koenig, mais aussi par le ministre de la justice, Robert Schuman. Il précise la conduite à tenir en cas de plaintes faisant suite à « de prétendues infractions » attribuées aux forces de l’ordre : « une action supprimant la responsabilité pénale de ses auteurs (...) [sera suivie] d’un refus d’informer ( ...) Les plaintes devront faire l’objet d’un classement sans suite, dès lors qu’il apparaîtra incontestable que ces faits sont justifiés par les circonstances, la nécessité, ou l’ordre de la loi. » En d’autres termes, le pouvoir civil assurait d’avance aux militaires l’impunité pour les dépassements qu’il exigeait d’eux. Et cela, deux ans avant la «bataille d’Alger », supposée avoir constitué le tournant en matière d’exactions.

     


    Jacques Duquesne, condamné à mort par l'OAS


    Jacques Duquesne a recueilli, en plein conflit, de nombreuses preuves des "bavures" de l'armée française. La plupart des photographies qui accompagnent son texte ont été prises par des soldats qui y assistaient. Pour la première fois. J'étais en Algérie depuis plusieurs jours, en reportage pour La Croix. J'avais rencontré de multiples personnes de tous bords. Alger était calme: l'armée avait mis à mal une bonne partie de l'organisation du FLN (Front de libération nationale). Mais qui pouvait dialoguer avec des Algériens comprenait bien vite que cette victoire militaire avait été payée d'une défaite politique. Ceux qui osaient parler, même parmi les plus modérés, chuchotaient souvent que les méthodes de la répression les faisaient basculer dans le camp nationaliste. Revenait, obsédante, la question de la torture, et celle des disparitions : des hommes, des femmes parfois, qui avaient été arrêtés et dont on n'avait plus jamais eu de nouvelles, dont les cadavres, pensait-on, étaient jetés à la mer, lestés d'une pierre. 3000 était le chiffre le plus souvent avancé alors. Jacques Chevallier, le maire d'Alger, me parla même de 5000.

     

    La « gégène »

    « Non, nous n’étions pas TOUS, des tortionnaires »…

    La torture le plus souvent pratiquée, un peu partout, fut vite connue sous le nom de "gégène": c'était le passage d'électricité à travers le corps par l'intermédiaire d'électrodes placées parfois dans le sexe des femmes et reliées à un magnéto. On a souvent affirmé que le général Massu était appliquée à lui-même, "pour voir". Je ne peux l'affirmer. Il m'a dit, je m'en souviens, qu'il ne fallait pas exagérer, que ce n'était pas "terrible". D'autres, quoi qu'il en soit, étaient destructrices: absorption forcée de plusieurs litres d'eau à l'aide d'un tuyau de caoutchouc placé dans la bouche, ce qui pouvait entraîner la mort, coups multiples, ongles arrachés, immersion dans une baignoire jusqu'à étouffement, pendaison par les poignets durant des heures, les pointes des pieds frôlant le sol. Celle-ci fut appliquée aussi à des femmes. On n'écrit pas cela aisément. Il y en eut d'autres, plus affreuses.

    Le cou tranché, le sexe

     dans la plaie

    Le pouvoir politique, c'est le troisième acteur. Il transfère à l'armée, à Alger, tous les pouvoirs de police. Autrement dit: débrouillez-vous. Une folie. S'attaquer à l'appareil souterrain du FLN est une œuvre policière ardue à laquelle les militaires ne sont pas évidemment préparés. Dans le bulletin ronéotypé "Messages des forces armées", un officier anonyme parle en juillet 1957 de "confusion totale et permanente". Il s'interroge: "A quelles règles se raccrocher ? A quelle expérience ? En fonction de quels critères juger ? "Lourde est la responsabilité d'un pouvoir politique désemparé, lâche, qui laisse les exécutants se dépêtrer seuls dans un tel bourbier. La torture, les exécutions sommaires, le pire, Guy Mollet, président du Conseil, le savait; Robert Lacoste, ministre de l'Algérie, le savait; Max Lejeune, secrétaire d'Etat aux Forces armées, le savait; les radicaux Bourgès-Maunoury et Félix Gaillard, présidents du Conseil en 1957 et 1958, le savaient. L'opposition le savait aussi, comme le démocrate-chrétien Georges Bidault, qui osa pourtant déclarer à la tribune de l'Assemblée qu'il fallait employer en Algérie "tous les moyens, mais seulement les moyens, que l'on pouvait enseigner aux petits enfants des écoles".

    On torturait par routine - ou par sadisme

    Sous la torture, en outre, les gens avouaient n'importe quoi pour échapper, ne serait-ce qu'un instant, à l'insupportable douleur. Mustapha X, dont je parlais, m'a dit après sa libération: "S'ils avaient voulu, je leur aurais dit que j'avais chez moi un sous-marin. Un grand nombre de ces tortures n'avaient d'ailleurs pas pour but la recherche du renseignement immédiat. On torturait par routine - ou par sadisme, sale maladie qui s'attrape vite - des suspects à peine suspects, avant tout interrogatoire. Où on les plaçait dans des postures humiliantes, les femmes surtout, des postures qui n'étaient absolument pas nécessaires pour obtenir de quelconques aveux, la souffrance physique y suffisant amplement.


     

    Témoignage de Louisette Ighilahriz

    Témoignage de Louisette Ighilahriz, militante indépendantiste torturée en 1957 à Alger alors âgée de vingt ans, elle fut atrocement torturée à l'état-major de la 10e division parachutiste du général Mass. Interrogé par "Le Monde", le général Massu, à l'époque investi des pouvoirs de police à Alger, reconnaît que le recours à la torture n'était "pas indispensable" et se déclare favorable à une condamnation officielle de la torture .Si la plupart des anciens acteurs de la guerre entre la France et l'Algérie semblent aujourd'hui admettre l'existence de la torture au long du conflit, ils sont en revanche divisés sur la question de savoir si l'on doit reconnaître ces actes comme une faute dont il faut se repentir ou comme la conséquence inévitable des combats. Les partisans d'une enquête et d'une "repentance" se heurtent au front de tous ceux qui, anciens acteurs engagés de la guerre, présentent la torture comme un "mal nécessaire" et ne sont pas disposés à faire leur mea-culpa face à ces atteintes aux droits de l'homme.


     

    Né d’un viol collectif de militaires français… J’accuse l’Etat

    français 

     

    Le témoignage de Mohamed Garne est bouleversant, effroyable tant l’évocation rappelle que dès qu’un silence se brise sur cette période de la guerre, ce sont autant de preuves qui se dressent sur le passé colonial de la France. Le cas Mohamed Garne ne pouvait effectivement être unique tant la pratique des viols des militaires français s’était érigé, tout comme la torture, en véritable système de répression contre toute forme de rébellion et de résistance des Algériens. Ce passé colonial sans qu’il soit transcrit directement, occupe le cadre pour en constituer en quelque sorte, le personnage central. La vie de Mohamed Garne, son histoire, les péripéties et les souffrances et les blessures des autres, le sacrifice et l’héroïsme de sa mère, l’inconsolable mère qu’il a retrouvée 28 ans après sa naissance, réfugiée dans un cimetière pour fuir son passé et fuir l’ingratitude des siens et la méchanceté des autres.


     

    " Le commandant O" : "J'en ai tué 24"

    L'armée française a systématiquement pratiqué l'assassinat et la torture sur ses adversaires. Un débat public à ce sujet est en cours en France depuis des mois. Dans La Guerre d’Algérie, Yves Courrières parle du "commandant O". Pierre Vidal-Naquet, parle de lui comme étant le chef de file "de ce qu'il faut bien appeler une équipe de tueurs professionnels" et souligne que son nom "ne figurera guère que dans un seul dossier publié. "Personnellement, je n'ai jamais torturé, et pourtant, je n'ai pas les mains propres. Il m'est arrivé de capturer des types haut placés au sein du FLN et de me dire : "Celui-là est dangereux pour nous, il faut le tuer" et je l'ai fait, ou je l'ai fait faire, ce qui revient au même. "Ce qu'il faut que vous compreniez, car c'est essentiel, c'est que cela ne me faisait pas plaisir. Et si j'ai moi-même procédé à des exécutions sommaires - "J'en ai tué 24", précise-t-il , c'est que je voulais assumer ce genre de choses, et non pas mouiller quelqu'un d'autre à ma place. C'est d'ailleurs pourquoi je ne veux pas accuser le pouvoir civil de l'époque. Affirmer qu'il nous donnait des ordres dans ce domaine serait faux et, surtout, s'abriter derrière, cela reviendrait à dire que les militaires se déchargent de leurs responsabilités.

    « Marc Lavoine : « Deux Algériens ont sauvé mon père de la mort »La France n'a pas encore expurgé son passé colonial en Algérie »

  • Commentaires

    2
    Vendredi 16 Mars 2018 à 20:09

    Malheureusement, comme j'avais à me déplacer de poste en poste et d'un djebel à l'autre pour soigner militaires et habitants des douars, j'ai reçu souvent des confidences d'appelés qui avaient assisté à des interrogatoires impitoyables...Un chauffeur appelé se complaisait à soumettre de malheureux suspects à la question. Il était d'ailleurs devenu sadique et s'en vantait...

    On torturait partout, dans les SAS, au GMS, partout...On était tellement conditionné qu'on ne réagissait plus. Hors du contexte, on réalise l'horreur.

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    Mercredi 14 Mars 2018 à 13:41

    Je n'ai personnellement pas été témoin direct de la torture mais un jour on m'a commandé de garder des Algériens qui avaient été tabasses toute une nuit. C'est que la ligne téléphonique reliant une des batteries de mon régiment à la batterie de commandement qui passait devant le douar où habitaient ces gens avait été l'objet de sabotage.

    Après cette affaire on avait construit un bâtiment en dehors de notre cantonnement pour les interrogatoires.

    Sur la réalité de la généralisation de la torture je peux citer le livr de Jacques Inrep "Soldat peut-être... tortionnaire  jamais". On eut lire l'article de mon blog que je lui ai consacré, lien http://cessenon.centerblog.net/2085548-Soldat--peut-etre%E2%80%A6-tortionnaire--jamais-

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